L’Europe continue de perdre sa biodiversité. Sur le Vieux Continent comme ailleurs, de nombreux écosystèmes sont menacés par l’agriculture intensive, l’étalement urbain, la pollution et des espèces envahissantes. Les émissions sans précédent de gaz à effet de serre provoquent aussi le réchauffement du climat, et par là même une diminution de la biodiversité, par exemple à cause des sécheresses et d’un déficit de précipitations.
L’état de la biodiversité dans le monde et en Europe
Selon le dernier rapport publié par le WWF en 2022, les populations des vertébrés sauvages ont décliné de 69 % en moyenne entre 1970 et 2018. L’association suit en effet depuis 1998 l’indice planète vivante (IPV) qui mesure l’abondance de 32 000 populations de mammifères, oiseaux, poissons, reptiles et amphibiens dans le monde.
Et c’est sans compter la plupart des espèces pollinisatrices, parmi lesquelles on trouve les abeilles, bourdons ou papillons. “La production, le rendement et la qualité de trois quarts des principales sortes de culture vivrières mondiales […] bénéficient de la pollinisation animale”, estimait en 2016 un rapport de l’IPBES, un consortium international de chercheurs. Mais en Europe, 9 % des espèces d’abeilles et de papillons sont menacés.
Ce même groupe de chercheurs a publié en mai 2019 un autre rapport, qui étaye une nouvelle fois ces constats. Basé sur un travail comprenant environ 15 000 références scientifiques, il présente des “preuves accablantes” et un “panorama inquiétant”, selon les termes de Robert Watson, président de l’IPBES. Environ 1 million d’espèces sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies - y compris en Europe - “provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier”, indique le document.
Cet effondrement de la biodiversité est notamment lié à une restriction des zones dans lesquelles vivaient ces espèces du fait de la dégradation des terres (75 % de la surface terrestre ont été sévèrement affectés par les activités humaines et plus de 85 % des zones humides ont disparu), de la déforestation ou de l’expansion urbaine. L’intensification de l’agriculture et de la pêche ont aussi pesé sur la qualité des habitats et le fonctionnement des écosystèmes. Enfin, les espèce exotiques envahissantes provoquent le déclin des espèces indigènes. Importée des Etats-Unis, l’écrevisse de Louisiane a par exemple colonisé une large partie du sud-ouest de la France, menaçant ses cousines déjà installées en Europe.
La stratégie de l’Union européenne en matière de biodiversité à l’horizon 2030
Face à cette réalité, l’Union européenne dispose d’une politique en matière de biodiversité. Régulièrement renouvelée, sa dernière version de 2020 a porté un objectif ambitieux à horizon 2030 : protéger 30 % de la superficie marine et terrestre de l’UE. Il est intégré au Pacte vert, un chantier prioritaire du mandat de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Cette stratégie repose sur un premier pilier : la protection des milieux naturels. D’ici à 2030, 30 % des terres et des mers européennes devront en bénéficier et une attention particulière doit être accordée aux forêts. L’UE s’appuie ici sur son réseau Natura 2000 (voir plus bas).
Le deuxième pilier consiste à restaurer la biodiversité. Il s’agit de privilégier l’agriculture biologique et la biodiversité dans les paysages agricoles, d’enrayer le déclin des pollinisateurs, de rétablir le courant libre sur 25 000 kilomètres de cours d’eau, de planter 3 milliards d’arbres ou encore de réduire de moitié l’usage de pesticides mais aussi leur degré de nocivité. L’exécutif de l’UE a proposé en juin 2022 un règlement sur la restauration de la nature qui inscrirait ces différents objectifs dans le marbre de la législation européenne. Le texte prévoit de rétablir tous les écosystèmes dégradés d’ici à 2050.
La stratégie de la Commission européenne évalue des besoins de financements. D’ici à 2030, elle estime ainsi que 20 milliards d’euros doivent être consacrés chaque année à la protection de la biodiversité (financements européens, nationaux et privés confondus).
Outre cet engagement financier, l’exécutif européen entend faire de l’UE un leader en matière de protection de la biodiversité sur la scène internationale. Cela passe par l’intégration de la dimension environnementale dans tous les choix économiques et commerciaux faits sur son territoire, mais aussi par des ambitions diplomatiques et un dialogue avec les autres puissances mondiales. En matière d’action extérieure, l’UE s’est engagée à intégrer le respect de la biodiversité à “tous ses engagements bilatéraux ou multilatéraux”.
En décembre 2022, les Nations unies ont adopté un cadre mondial en la matière à l’occasion de la conférence sur la biodiversité (COP15). L’accord, auquel participent l’UE et ses Etats membres, prévoit la protection de 30 % des terres et de 30 % des mers de la planète à échéance 2030.
Les législations encadrant la biodiversité et le réseau Natura 2000
La directive “concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages”, adoptée en 1992 et plus connue sous le nom de directive “Habitats”, instaure des mesures afin de préserver certaines espèces listées, telles que les interdictions de leur commerce, de leur cueillette, de leur capture ou encore de la détérioration de leur environnement (articles 12 et 13).
La directive “concernant la conservation des oiseaux sauvages” - surnommée la directive “Oiseaux” - adoptée en 1979 et révisée en 2009, a pour objet “la protection, la gestion et la régulation” des “espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des Etats membres”. De même que la directive “Habitats”, elle interdit la vente ou la détention d’un certain nombre d’espèces.
Les deux textes sont les principaux instruments législatifs mis en place pour assurer la conservation et l’utilisation durable de la nature dans l’UE. Ces directives encadrent par ailleurs le réseau Natura 2000, créé en 1992. Il s’agit d’un réseau européen qui répertorie des zones de l’UE contenant une faune et une flore dotées d’une grande valeur patrimoniale. Les sites répertoriés sont soumis à des règles précises afin de permettre la conservation d’espèces et d’habitats particulièrement menacés.
Sur un site Natura 2000, les projets d’infrastructures et d’activités humaines sont soumis à une évaluation afin de déterminer s’ils peuvent avoir un impact significatif sur les habitats ou les espèces végétales et animales. Si c’est le cas, ils ne sont pas autorisés.
En 2022, le réseau Natura 2000 regroupait 18,5 % de la surface terrestre du territoire de l’UE et 8,9 % de sa surface marine. Il concernait 231 types d’habitats naturels et 617 espèces d’oiseaux.
En France, le réseau Natura 2000 couvre plus de 7 millions d’hectares, soit 12,9 % du territoire terrestre hexagonal. Le territoire français estampillé Natura 2000 est composé de 43 % de forêts, de 29 % de prairies et de landes et de 20 % de zones agricoles.
Les hauts plateaux du Vercors bénéficient par exemple du statut de Zone de protection spéciale (ZPS) permettant de protéger les landes, pelouses, forêts et habitats rocheux caractéristiques de ces lieux. Le site est géré par des acteurs de terrain, c’est-à-dire les collectivités territoriales, les associations locales, les habitants, les usagers et les entreprises.
Le réseau Natura 2000 concerne également 34 % de la surface marine française. L’estuaire de la Gironde et les pertuis charentais constituent, par exemple, des espaces “Natura 2000”.
Les directives “Oiseaux” et “Habitats” prévoient que les Etats membres rassemblent un certain nombre de données répertoriées par l’Agence européenne de l’environnement concernant la faune et la flore sur leur territoire, de telle sorte qu’une évaluation à l’échelle de l’UE soit rendue possible.
L’Union européenne s’est par ailleurs dotée en 2014 d’un règlement sur la prévention et la gestion des espèces exotiques envahissantes. Il interdit de mettre sur le marché, de conserver, de transporter ou encore de libérer dans l’environnement des spécimens constituant une menace pour la biodiversité. La liste est souvent mise à jour. Cela concerne par exemple l’ailante, un arbre originaire de Chine, ou encore le tamia de Sibérie, un écureuil lui-aussi venu d’Asie.
En parallèle, la directive-cadre sur l’eau encadre son usage, protège les rivières, fleuves et lacs. Elle est destinée à lutter contre la pollution, favoriser la soutenabilité des réserves, mais aussi empêcher la marchandisation de l’eau. Elle découpe le territoire de l’Union en “districts hydrographiques” pour lesquels sont établis des plans de gestion.
Enfin, la directive-cadre stratégie pour le milieu marin s’attache à préserver les écosystèmes marins selon 11 critères précis. Elle constitue donc le pilier environnemental de la politique maritime européenne. Dans ce cadre, la France a par exemple défini des plans d’action pour le milieu marin pour ses quatre régions concernées : le Golfe de Gascogne, la Méditerranée occidentale, la Manche-mer du Nord et les mers celtiques.
L’échelle de mesure, définie dans la directive “Habitats”, est la suivante : favorable (l’espèce ou l’habitat est prospère), insuffisante (il est nécessaire de modifier la gestion de l’habitat ou de l’espèce qui risque d’être menacée) ou médiocre (le type d’habitat ou d’espèce court un grave danger d’extinction).
Les financements européens en matière de biodiversité
La politique européenne en matière de biodiversité est notamment financée via le programme LIFE et par les fonds structurels européens. Le programme LIFE est passé de 3,5 milliards d’euros pour 2014-2020 à 5,4 milliards entre 2021 et 2027. Il constitue le principal cadre de financement de l’UE pour les politiques liées à l’environnement et au changement climatique. La Commission européenne publie annuellement des appels à projet et subventionne par exemple la préservation des sites et des espèces naturelles.
43 projets menés par des universités, des ONG, des autorités locales ou encore des parcs naturels ont reçu des co-financements du programme LIFE entre 2014 et début 2019. En 2017, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a, par exemple, reçu 5,5 millions d’euros dont 3,3 du programme LIFE pour améliorer la gestion des espèces en Guyane, à Mayotte, à La Réunion et à Saint-Martin.
Quel bilan de l’action européenne pour la biodiversité ?
L’année 2020 a été une période charnière pour la politique européenne en matière de biodiversité. Elle marque en effet la transition entre la stratégie 2011-2020 et les nouveaux objectifs annoncés pour 2030. La stratégie 2011-2020 visait :
- Avant 2020 : à “enrayer la perte de biodiversité et la dégradation des services écosystémiques dans l’UE, assurer leur rétablissement dans la mesure du possible et renforcer la contribution de l’UE à la prévention de la perte de biodiversité” ;
- Avant 2050 : à protéger, évaluer et rétablir “pour leur valeur intrinsèque” la biodiversité de l’UE et les services écosystémiques qui en découlent.
A l’heure du bilan, le constat est rude : les objectifs sont loin d’être atteints. La Commission européenne l’a elle-même constaté dans son rapport sur l’état de la nature 2019. S’agissant de l’objectif global, à savoir l’enrayement de la perte de la biodiversité, aucun progrès n’avait été constaté. 81 % des habitats sont considérés comme étant dans un état de conservation “insuffisant” ou “médiocre”. A l’exception des habitats rocheux, tous les autres accusent une dégradation de leur état.
S’agissant des espèces “d’intérêt communautaire” hors poissons (les espèces et les habitats naturels couverts par les deux directives précitées), 63 % d’entre elles sont dans un état de conservation jugé “insuffisant” à “médiocre”.
Etat de conservation des espèces par groupe taxonomique et tendances observées - Source : rapport sur l’état de conservation de la nature dans l’UE, Commission européenne (2020)
En conclusion, la Commission dresse un bilan négatif de l’évolution de la biodiversité en Europe, malgré quelques satisfactions notables : “des progrès limités ont été accomplis par rapport au niveau de référence de 2010 dans la réalisation des objectifs à l’horizon 2020, sauf dans le cas des espèces autres que les oiseaux, où l’objectif a presque été atteint. La dégradation continue de certains habitats et de certaines espèces l’emporte sur les améliorations”.
S’agissant du réseau Natura 2000, dont dépend étroitement la conservation des habitats et des espèces, la Commission déplorait également que “le potentiel du réseau n’ait pas encore été pleinement réalisé”.
En septembre 2016, le Comité économique et social européen (CESE) estimait que la politique européenne en matière de biodiversité “constitue un exemple classique de politique qui ne tient pas ses promesses […] bien qu’elle ait parfaitement cerné les problèmes et mis en place les instruments nécessaires”. En cause : les manques de volonté politique de la part des Etats membres (qui mettent en œuvre la politique européenne de la biodiversité) et de financements alloués… “Ce ne sont pas les lois, les directives, les programmes […] qui font défaut, mais bien leur mise en œuvre et des actions concertées à tous les niveaux d’action politique”, ajoutait l’institution représentative de la société civile.