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Pollution : "Nous ne pouvons pas nous satisfaire de l'état écologique actuel des eaux européennes"

Président de France Nature Environnement et membre du Comité économique et social européen (CESE), Arnaud Schwartz appelle l’UE à se doter de meilleurs outils pour contrôler l’état des eaux européennes.

Arnaud Schwartz avait piloté un avis sur la protection de l’environnement par le droit pénal en 2018
Arnaud Schwartz avait piloté un avis sur la protection de l’environnement par le droit pénal en 2018 - Crédits : CESE

Herbicides, pesticides, médicaments… Fin octobre, la Commission européenne a proposé de réviser la liste des polluants des eaux de surface et souterraines que les Etats membres doivent surveiller. Plusieurs directives imposent en effet des normes et des valeurs seuils pour de nombreuses substances - identifiées par la législation européenne - qui polluent nos nappes phréatiques et nos rivières.

Le Comité économique et social européen (CESE) doit voter de son côté, lors de sa session plénière le 22 février, un avis sur la proposition de la Commission. Rencontre avec Arnaud Schwartz, rapporteur sur le texte pour le CESE.

Toute l’Europe : Dans quel état se trouvent les cours d’eau européens aujourd’hui ?

Arnaud Schwartz : Les eaux de surface et souterraines en Europe sont globalement en mauvais état. Depuis 2000, il existe une directive-cadre qui était censée nous permettre d’atteindre un bon état écologique des eaux en 2015, autant en qualité qu’en quantité. Nous sommes en 2023 et nous n’y sommes pas pour l’instant. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle. C’est pourquoi la Commission européenne veut réviser la liste des polluants dont il va falloir limiter la présence et réaliser un suivi dans les eaux de surface et souterraines.

En quoi consiste la révision proposée par la Commission européenne fin octobre ?

Il y a de nouveaux polluants qui n’étaient pas listés dans le passé. Des autorisations de mise sur le marché de différentes molécules ont eu lieu depuis les dernières actualisations de 2013 et 2014. La révision inclut aussi les sous-produits de dégradation qui s’avèrent être toxiques, voire plus toxiques que les molécules initiales elles-mêmes. Celles-ci deviennent des sous-produits lorsqu’elles sont relâchées et dégradées dans l’environnement. Il s’agit de les intégrer dans les listes pour en assurer le suivi et en limiter la présence.

Etes-vous satisfait de cette proposition ?

Nous soutenons l’ajout de polluants critiques aux listes des substances prioritaires pour les eaux de surface et souterraines. Cependant, plusieurs points posent problème.

Dans le cadre de sa proposition, la Commission veut par exemple supprimer un élément de la directive-cadre sur l’eau qui prévoyait un délai contraignant de 20 ans pour éliminer les substances dangereuses prioritaires. Nous lui avons posé la question de la raison d’une telle initiative, mais la Commission botte en touche sur ce sujet. Elle prétend qu’il y a d’autres éléments législatifs qui permettent de mettre la pression sur les sources de pollution lorsqu’elles ne sont pas traitées au bout d’un certain nombre d’années. Mais il n’y a pas de limite temporelle dans la législation, à part ces 20 ans qui pourraient disparaître.

Nous aurions aussi aimé voir plus de mesures sur les interactions entre les molécules. Il faut limiter plus fortement la présence de certains cocktail chimiques. Avant une mise sur le marché, il n’y a pas suffisamment de prise en compte des autres substances qui seront présentes dans le produit final commercialisé. Or, c’est souvent l’alliance, l’interaction entre la molécule et les adjuvants qui se trouvent dans un herbicide, un fongicide ou un insecticide qui crée le danger et augmente la toxicité.

Par ailleurs, une fois relâchées dans l’environnement, les différentes substances vont interagir les unes avec les autres ! Ce n’est pas pareil qu’une molécule prise toute seule en laboratoire. Nous demandons à ce que les cocktails de produits chimiques soient pris en compte pour déterminer des limites dans les usages et dans leur présence dans l’environnement. C’est une question de santé publique et de reconquête non seulement de la qualité des eaux mais aussi des écosystèmes en général. Nous devons faire attention à ce que nous libérons dans l’environnement pour atteindre un bon état écologique de l’eau et aussi de la biodiversité… dont nous faisons partie.

Vous abordez plusieurs fois la question des données environnementales dans votre avis…

Il y a deux sujets derrière cette remarque. D’abord, en matière de données et de connaissances, il faut une science produite sur des bases indépendantes. Nous avons besoin de scientifiques financés par des fonds publics et dont la carrière ou les recherches ne dépendent pas de financements privés. Certains milieux économiques ont des intérêts de court terme dans les résultats des recherches sur les polluants. J’ai parlé des pesticides mais il y a également des produits industriels pour traiter les textiles ou l’ameublement qui polluent les eaux européennes. Les produits pharmaceutiques sont aussi concernés. Entre autres exemples.

Ensuite, l’enjeu touche aux données fournies par les Etats membres à l’UE concernant la qualité et la quantité des eaux européennes. Pour l’instant, nous notons un investissement inégal de la part des Etats sur ce suivi. Il y a un manque de moyens humains, techniques et informatiques. Les chiffres au niveau européen donnent donc une base de comparaison entre pays qui n’est pas satisfaisante. Certains d’entre eux masquent en partie l’état réel de leurs ressources aquatiques.

Comment améliorer le contrôle des eaux européennes ?

Il faut plus d’agents avec des moyens de travailler sur le terrain, partout dans l’Union européenne. Les méthodes et les standards doivent être similaires. Au niveau central dans l’UE, il faut une structure qui ait des moyens humains et techniques de pouvoir animer ce réseau d’acteurs locaux et nationaux. Les aspects de formation et de méthodologie doivent donc être abordés pour que tout le monde soit au niveau et utilise les mêmes outils. L’Union européenne doit aussi pouvoir obliger les Etats membres à s’exécuter si le travail n’est pas effectué correctement ou dans les délais. Or, l’UE manque de moyens, notamment au niveau de la direction générale de l’environnement (DG ENVI). Puisqu’il y a peu d’agents disponibles pour vérifier que le droit est bien appliqué, ils sélectionnent les dossiers. La Commission est obligée de demander des remontées aux acteurs de terrain pour prouver qu’il y a des problèmes systématiques.

De nouvelles mesures sont-elles prévues ?

Si le texte est validé en l’état, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) va acquérir un rôle central dans l’identification des polluants de l’eau et les normes de qualité. Il lui faudra de nouvelles compétences et qu’elle travaille avec des universitaires un peu partout en Europe. Ces derniers ont la capacité de faire des contre-expertises ou des analyses complémentaires à ce que peuvent fournir les Etats membres et les autorités locales.

Vous proposez un “Pacte bleu” pour l’Union européenne. En quoi consiste-t-il ?

C’est une initiative du CESE en 2023 afin de susciter une réflexion au sein du Conseil, du Parlement et de la Commission européenne. Nous sommes dans une phase clé, marquée par la fin du mandat du Parlement européen qui sera renouvelé l’année prochaine. Il y aura une recomposition de la Commission avec un nouveau programme de travail que nous appelons à être dans la continuité du Pacte vert. Dans ce cadre, il faut qu’il y ait un volet “Pacte bleu”, ou un “Blue Deal”, pour l’Union européenne. L’eau, c’est la vie. Les écosystèmes et les humains en dépendent. C’est un enjeu écologique et économique, de nombreux acteurs ont besoin d’une eau de bonne qualité et en quantité : l’industrie de l’électronique, l’industrie brassicole ou bien sûr plus largement l’ensemble de l’agroalimentaire, pour ne citer que quelques exemples. La société civile organisée et les institutions européennes doivent se saisir de ce sujet et le traduire en plan d’action pour notre continent.

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