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“Les transitions verte et numérique doivent être justes et équitables” : entretien avec Cillian Lohan, vice-président du Comité économique et social européen (CESE)

Vice-président du CESE depuis octobre 2020, Cillian Lohan, également à la tête de l’ONG Green Economy Foundation en Irlande, connaît les questions climatiques et environnementales de près. Dans un entretien à Toute l’Europe, il fait part de ces attentes concernant la COP26 et la transition écologique en Europe.

Cillian Lohan – Crédits : Frédéric Sierakowski / Comité économique et social européen
Cillian Lohan – Crédits : Frédéric Sierakowski / Comité économique et social européen

Voix de la société civile en Europe, le Comité économique et social européen (CESE) produit des avis à destination des institutions de l’Union européenne sur l’ensemble de ses domaines de compétence. Ses 329 membres sont issus d’une grande diversité d’organisations, tels que des syndicats de travailleurs, de patrons ou encore des ONG.

Devenu son vice-président en charge de la communication en octobre 2020, Cillian Lohan, de nationalité irlandaise, a commencé à siéger au CESE en 2015 et a une longue expérience des questions climatiques et environnementales. Dirigeant la Green Economy Foundation, une ONG œuvrant dans le domaine du développement durable en Irlande, il a également été délégué pour des initiatives des Nations unies, à l’instar des négociations climatiques de la COP et du Forum politique de haut niveau sur les objectifs de développement durable.  

Cillian Lohan est aussi une figure importante du monde de l’économie circulaire. Il a notamment participé à la création de la plateforme des acteurs européens de l’économie circulaire, développée par le CESE et la Commission européenne, dont il a été le premier président.

Dans un entretien accordé à Toute l’Europe, il présente ses attentes pour la COP26 qui se tient à Glasgow en Ecosse depuis le 31 octobre jusqu’au 12 novembre. Selon lui, la transition vers une économie verte est incontournable et exige d’établir un haut niveau d’ambitions, mais celle-ci ne doit jamais perdre de vue la justice sociale.

Toute l’Europe : Le président de la COP26 Alok Sharma demande aux dirigeants du monde d’honorer l’accord de Paris sur le climat, signé lors de la COP21 en 2015, et donc de limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés Celsius, de préférence 1.5 °C. Qu’attendez-vous concrètement de ce sommet ?

Cillian Lohan : Les attentes sont élevées pour chaque rencontre de la COP. Plusieurs politiques de l’Union européenne indiquent que nous pouvons prendre le leadership en matière de climat. Nous disposons de notre “loi climat” européenne, qui rend l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050 contraignant. Nous avons aussi une stratégie européenne d’adaptation au changement climatique, intégrant à la législation européenne les objectifs mondiaux d’adaptation à ses effets, issus de l’article 7 de l’accord de Paris sur le climat, ainsi que ceux de développement durable des Nations unies, particulièrement l’objectif numéro 13 [mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques NDLR]. Ces exemples peuvent servir de force motrice pour le changement, et à faire preuve de leadership de manière très pratique avec ce que nous faisons au sein de l’UE.

Quel est donc pour vous le défi majeur de cette COP ?

L’un des plus importants défis de la COP26 est de transformer les ambitions et cibles climatiques en feuilles de route très concrètes. En termes pratiques, deux aspects sont très importants. L’un d’entre eux est de continuer à considérer des solutions basées sur la nature, telles que la bioéconomie, la transition vers une économie circulaire, en tant que stratégies essentielles. Les subventions aux énergies fossiles sont aussi un enjeu crucial. Au CESE, nous appelons à une bascule immédiate de 50 % des subventions attribuées aux producteurs d’énergies fossiles vers le développement et la production d’énergies durables à travers l’Europe. Au niveau mondial également, les subventions aux énergies fossiles doivent être transférées et ce très significativement.

Nous attendons aussi du sommet un accroissement de l’engagement structuré de la société civile. De manière répétée, nous avons montré qu’il y a beaucoup de savoirs dans les organisations de la société civile et de liens avec la population, qui permettent de mettre en œuvre les ambitions climatiques et environnementales. La réalisation des objectifs établis à Paris en 2015 ne pourra se produire qu’avec l’engagement et la participation des citoyens. La société civile organisée devrait ainsi être une composante majeure de la transition écologique.

Dans ses travaux, le CESE souligne l’importance d’amorcer une transition “vers une croissance et des emplois durables”, qui assurerait la prospérité de l’économie et de la population en Europe. Considérez-vous que la transition verte constitue le socle de cette nouvelle croissance ?

L’idée d’une croissance et d’emplois durables constitue un immense défi. Un des points sur lesquels nous insistons au CESE est que le Pacte vert européen est un pacte vert et social européen. Les principes du socle européen des droits sociaux guident les politiques sociales de l’UE et doivent être au centre d’une stratégie complète qui assure que les transitions verte et numérique soient justes et équitables.

Pour y parvenir, des niveaux d’investissement considérables sont nécessaires. Mais ces investissements doivent être pensés en fonction de principes socialement justes. La transition verte doit ainsi être au cœur du nouveau modèle de croissance en y incluant des éléments tels que le mécanisme pour une transition juste [fonds de l’UE pour aider les territoires les plus affectés par la transition écologique NDLR] et le plan d’investissement du Pacte vert européen [destiné à mobiliser 1 000 milliards d’euros sur dix ans pour financer les investissements durables NDLR].

Vous considérez qu’il est “urgent d’investir dans une transition afin de nous libérer de notre dépendance à l’égard de systèmes énergétiques dépassés”. La France défend l’énergie nucléaire en tant que solution à ce problème. Qu’en pensez-vous ?

La meilleure manière de parvenir à lutter contre le changement climatique est de discuter de toutes les options sur la table. L’Union de l’énergie, programme de l’UE lancé en 2015, a pour ambition de permettre aux consommateurs européens d’avoir accès à une énergie sûre, propre et abordable. Une priorité politique renforcée avec le Pacte vert européen.

L’Union de l’énergie comporte trois dimensions centrales. La première consiste à réduire les importations d’énergie. La seconde concerne les subventions aux énergies dommageables au climat et à l’environnement. Enfin, la troisième a trait aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique.

Lorsque l’on parle du nucléaire, nous devons avoir un dialogue réellement efficace au sein de la politique énergétique européenne. Avoir les citoyens au cœur de ce dialogue est la meilleure manière d’identifier quelles sont les options les plus appropriées, ce que la technologie nous permet de faire actuellement et ce qui aboutira au meilleur résultat pour la population en termes d’accès à une énergie propre, abordable et sûre.

Cela étant dit, avec le nucléaire, se pose l’enjeu de ne jamais pouvoir en finir. Autrement dit, que faire des déchets nucléaires ? Les citoyens doivent donc faire partie intégrante du débat sur les choix énergétiques.

Le CESE, qui est la voix de la société civile en Europe, peut-il être un relai fort sur les questions environnementales ? Quelles propositions aux institutions européennes pouvez-vous faire ?

Etant donné cette fonction représentative du CESE, il est crucial de s’assurer que nos voix soient entendues. A cet effet, une approche ascendante est toujours la clé d’initiatives couronnées de succès. C’est la valeur ajoutée du CESE : il rassemble les partenaires sociaux traditionnels, que ce soient les employeurs ou les travailleurs, et y ajoute les organisations de la société civile, ONG et autres groupes. Ainsi, nous sommes capables d’apporter une contribution aux institutions européennes provenant de multiples perspectives, qui ont été en mesure de s’accorder sur une position commune.

Nous avons assisté au développement de différentes plateformes, qui sont liées à travers les institutions de l’UE. Nous accueillons, par exemple, très favorablement la plateforme des acteurs concernés par l’ambition “zéro pollution”. Cette plateforme sera conduite à collaborer avec une autre, que nous avons développée nous-mêmes avec la Commission européenne, la plateforme des acteurs européens de l’économie circulaire. C’est ainsi que nous sommes capables de rassembler les parties prenantes avec les décideurs et de favoriser le dialogue. Nous pouvons ensuite mesurer, de manière très pratique, l’impact que nous avons au sein des institutions par l’apport de contributions cohérentes provenant directement des groupes de citoyens, des acteurs des domaines concernés, des partenaires sociaux, des organisations de la société civile, s’exprimant d’une même voix.

Dans le but d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, l’exécutif européen a notamment présenté le 14 juillet 2021, dans son paquet de mesures “Fit for 55”, une révision de la directive sur les énergies renouvelables, fixant à 40 % l’objectif d’énergies propres dans le bouquet énergétique de l’UE d’ici à 2030. Cet objectif est-il réalisable ? Quelles décisions prendre en priorité pour l’atteindre ?

Je pense que cet objectif, certes ambitieux, est réalisable à condition que l’on s’en donne les moyens. Notre point de départ nous permet d’y arriver. Et relever nos ambitions en matière d’énergies renouvelables à 40 % était réellement nécessaire. Cependant, comme je vous l’ai dit, il est crucial que nous atteignions ces cibles de manière socialement juste.

Le CESE répète régulièrement que les citoyens, en particulier les jeunes, doivent être au cœur de la politique énergétique européenne. Par conséquent, promouvoir et développer à l’échelle individuelle et locale des modèles de type “prosommateur”, à savoir des individus consommateurs et producteurs d’électricité dans le même temps, est essentiel. Nous avons réalisé beaucoup de travaux au sein du CESE pour étudier cette question. Cette sorte de modèle disruptif pour la distribution d’énergie, où l’on a une production à micro-échelle qui est partagée localement, peut être un outil très important dans la transition vers les énergies renouvelables.

J’attire aussi l’attention sur la synergie dont nous avons besoin entre les régulations actuelles, que le paquet “Fit for 55” que vous avez mentionné propose de réviser, et les nouveaux instruments avancés, tels que le Fonds social pour le climat ou le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Toutes ces mesures doivent être cohérentes et synergiques afin de maximiser nos chances d’atteindre notre cible en termes d’énergies renouvelables.

Certains territoires, voire des pays entiers, sont hautement dépendants des énergies fossiles, à l’instar de la Pologne avec le charbon. Comment y assurer le succès de la transition écologique ?

En premier lieu, en étant réaliste quant aux défis soulevés par la transition écologique dans ces territoires. Cette transition a lieu et doit avoir lieu. Nous basculons vers une économie bas carbone, et personne ne conteste réellement cela. Il est donc important d’identifier les zones qui seront les plus affectées par ce changement, afin de ne pas en faire des victimes. Il faut déterminer les changements dans le marché du travail qui vont se produire dans ces zones, et où se trouvent les nouvelles opportunités d’emploi.

Certainement, le système d’éducation et de formation a du mal à s’adapter à la demande croissante de nouvelles compétences. Le défi en matière d’emploi est de s’assurer que les bonnes personnes ont les bonnes compétences, au bon endroit et au bon moment. L’investissement dans ces régions sera crucial. De l’investissement pour que les industries et les entreprises s’adaptent à ce nouveau modèle, mais aussi de l’investissement dans les systèmes de formation, dans l’éducation, dans la reconversion, qui est requis pour garantir un changement socialement juste.

Dans ce cas de figure, il n’est pas suffisant d’apprécier la situation uniquement à l’échelle européenne en disant : “les emplois sont affectés dans une zone mais d’autres sont créés 1 000 kilomètres plus loin”. C’est pourquoi, j’estime que nous devons vraiment nous concentrer sur ce qu’une nouvelle donne économique, basée sur une économie circulaire et toutes les opportunités très locales qui en découlent, peut nous offrir.

Dans quelle mesure les travaux en cours sur la “taxonomie verte”, pour établir des critères communs de définition des activités contribuant aux objectifs climatiques européens, sont-ils importants ? 

Il s’agit d’un enjeu décisif. Nous avons parlé de la transition vers une croissance “verte”, “durable”. Avoir une compréhension commune de ce que nous entendons avec ces termes est capital. Le CESE a adopté un avis sur la “taxonomie verte” lors de sa session plénière en septembre, supportant de manière générale le projet, mais mettant aussi la lumière sur des points qui doivent être considérés avec attention pour éviter que le règlement ait des effets négatifs.

Le plus important est d’éviter le “greenwashing”. Nous devons nous assurer que nous n’ayons pas une taxonomie ouverte à une trop large interprétation. Ce qui serait synonyme d’inefficacité. Au CESE, nous mettons aussi en avant qu’il existe un risque économique à introduire des critères trop élevés dans la législation à venir, en particulier pour les PME. Pour ces dernières, nous considérons qu’il faudrait instaurer une sorte d’assurance verte, qui réduirait les risques qu’elles pourraient encourir et leur permettrait de continuer de fonctionner.

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