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Le marché des droits à polluer a du plomb dans l’aile

On le savait moribond et peu efficace, mais on ne s’attendait probablement pas à le voir aussi affaibli. Lors de la dernière session plénière du Parlement européen, les députés ont quasi-définitivement tiré un trait sur le marché du carbone institué huit ans auparavant. Avec la crise économique, les mécanismes de ce marché “à peu près” normal se sont grippés, rendant celui-ci inefficace. Pour quelles raisons ? Ce système d’échange de droits à polluer n’était-il pas déjà condamné à l’échec ?

L’environnement sacrifié au profit du soutien aux industries

Entre la transition industrielle et l’emploi, le choix semble avoir été fait. Par 334 voix contre 315, les députés en ont décidé ainsi : le prix du CO2 sur le marché carbone n’augmentera pas. Pourtant, il semble en avoir bien besoin. Tombé à moins de cinq euros la tonne depuis le mois de janvier, ce prix extrêmement faible ne pousse évidemment pas les entreprises à modifier leur appareil de production en conséquence. Selon plusieurs études, le chiffre devrait dépasser vingt euros pour créer un véritable élan de changement écologique dans le secteur industriel. A l’heure actuelle, on en est assez loin.

La proposition de la Commission présentée lors de la plénière visait à geler la mise aux enchères de 900 millions de tonnes de quotas d’émission sur la période 2013-2020, et ce afin de faire remonter volontairement le prix du CO2. Inenvisageable pour de nombreux députés, qui ont préféré ne pas pénaliser la compétitivité et la reprise de l’activité industrielle, quitte à sacrifier l’un des seuls dispositifs écologiques contraignants pour les entreprises européennes. A la sortie du scrutin, un des porte-parole de l’opposition à la proposition de la Commission a justifié son rejet par le fait qu’une intervention extérieure au sein de ce marché pouvait encourager “encore davantage la fuite de carbone” , c’est-à-dire la délocalisation des entreprises dans des pays moins sévères. Les défenseurs du projet, tel Phil Hogan, ministre irlandais de l’Environnement, ont exprimé leur déception après le vote, qui visait pourtant à autoriser “une intervention focalisée et de court-terme qui [aurait pu contribuer] à rétablir le marché à un niveau opérationnel plus efficace” .

Un projet mort-né ?

En cause dans ce projet ambitieux, un marché pas très bien régulé. Sur celui-ci, l’ensemble des 12 000 sites industriels parties au marché se voit attribuer chaque année un plafond d’émission de CO2. S’ils dépassent ce seuil, ils doivent acheter des droits supplémentaires à polluer, auprès d’autres entreprises qui ont quant à elles suffisamment réduit leurs émissions pour se défausser de certains droits inutilisés.

En 2012, selon une étude de l’agence Carbon Market Data, les industries parties prenantes au sein du marché ont rejeté 164 millions de tonnes de CO2 de moins que la quantité de droits à polluer qu’elles possédaient leur permettaient d’émettre. Seuls l’Allemagne et le Royaume-Uni n’ont pas attribué assez de droits à leurs propres entreprises vis-à-vis des rejets réels de celles-ci. Manque cruel de demande et offre trop importante, telles sont les recettes d’un marché inefficace.

Problème, le seuil imposé par l’UE est trop indulgent. En conséquence, l’offre de droits à polluer explose tandis que la demande reste faible. Par les mécanismes classiques de marché, le prix sur celui-ci (en l’occurrence le prix de la tonne de CO2) s’effondre. La crise économique a renforcé cette tendance. Les industries réduisent leur activité, et par conséquent leurs émissions. Suite logique, la demande tombe encore. A moins de 5 euros la tonne, il paraît évident que ce marché n’a plus aucun effet incitatif. De plus, les industriels possédant des excédents de droits préfèrent majoritairement conserver ces droits pour les utiliser plus tard, plutôt que de les vendre directement sur le marché. Les entreprises accumulent donc des droits, ce qui retarde inévitablement la transition énergétique et écologique de l’industrie européenne.

Un “marché unique” bien trop seul ?

Instauré en 2005, le marché européen du carbone est né de l’application, à l’échelle communautaire, du protocole de Kyoto, signé en 2002 par la majorité des Etats de l’UE. Instituant un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 8% au cours de la période 2008-2012, par rapport aux niveaux de 1990, on pourrait penser que ce système a été efficace. Mais la réduction des émissions en Europe sur cette période, autour des 10%, est surtout en grande partie imputable à la baisse de l’activité industrielle qui a suivi le déclenchement de la crise financière, à la fin de l’année 2008.

Les gaz à effet de serre sont souvent, à tort, résumés au fameux CO2. En réalité, on peut transposer tout type d’émission de gaz à effet de serre en équivalent CO2. Le protocole de Kyoto, adopté en 1997, et qui marque jusqu’à aujourd’hui l’avancée la plus importante dans la politique environnementale internationale, s’attaque à cinq autres gaz à effet de serre, tels que le méthane, l’oxyde nitreux ou l’hexafluorure de soufre.

En outre, le marché européen du carbone peut avoir une influence sur les émissions industrielles au sein de l’UE, mais se retrouve quelque peu isolé à l’échelle internationale. Les deux principales puissances économiques mondiales (les Etats-Unis et la Chine) se montrent depuis plus d’une décennie réticentes à ce type de mesure environnementale contraignante qui pourrait pénaliser leur secteur industriel. Le naufrage criant de Copenhague, en 2009, est encore dans toutes les mémoires, et rappelle aux européens que leurs homologues ne sont sensiblement pas de leur avis en ce qui concerne l’ordre de priorité à l’échelle internationale. Pénalisant les industries européennes vis-à-vis des sociétés américaines et asiatiques, et isolant l’UE dans le concert mondial des puissances, le marché du carbone semble aujourd’hui constituer un boulet pour les vingt-sept.

La prise de position commune prise vendredi 19 avril par six pays d’Europe centrale et orientale (Bulgarie, Hongrie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie) n’en est qu’une conséquence quasi-prévisible. Les ministres de l’Environnement de ces six PECO ont demandé à la Commission européenne de “tenir compte des différentes circonstances nationales” dans la définition des objectifs de l’UE contre le réchauffement climatique à l’horizon 2030. Ajoutez à ceci le rejet du Parlement européen, et on obtient une grave remise en cause de la possibilité d’atteinte des objectifs énergétiques et environnementaux fixés par les Etats membres aux horizons 2020 et 2030. Les 20% d’énergies renouvelables d’ici sept ans semblent désormais loin, très loin d’être obtenus.

En savoir plus

Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre - Commission européenne

La lutte contre le changement climatique - Touteleurope.eu

DG Climat - Commission européenne

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