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La Commission ravale ses ambitions sur le climat

La semaine dernière, la Commission s’apprétait à recommander aux Etats membres de monter à 30% l’objectif de réduction de ses gaz à effet de serre. Hier, c’est pourtant le contraire que la commissaire Hedegaard a préconisé. Si de nombreux Etats européens tiennent à maintenir le statu quo, les arguments s’accumulent en faveur d’un engagement plus fort de l’Europe.

Le 26 mai devait être une date importante. Elle devait marquer le jour où la Commission européenne recommanderait aux Etats membres de revoir à la hausse leurs ambitions sur le climat. Annoncé comme tel dans les médias une semaine auparavant, c’est pourtant exactement le contraire qui s’est produit hier.

La politique climatique de l’Union européenne

Actuellement, le paquet énergie-climat fixe l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 20% pour 2020. Il prévoit également un objectif de 30%, mais son adoption par l’Union européenne est conditionnée aux engagements que d’autres pays, en particulier les Etats-Unis et la Chine, décideraient de prendre de leur côté. C’était l’offre que les Etats membres avaient mise sur la table au sommet de Copenhague ; celle-ci n’ayant pas eu l’effet escompté, les Européens ont choisi de s’en tenir à leurs 20% de départ.

Connie Hedegaard, Commissaire à l’action pour le climat, a présenté en conférence de presse un texte examinant l’opportunité de s’engager sur la voie d’une réduction de 30% des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020, tout en préconisant de rester sur 20% pour le moment.

La commissaire n’avait pas pris les Etats membres par surprise. Depuis plusieurs mois planait la possibilité de s’orienter vers un objectif unilatéral de 30%, et elle avait annoncé son intention de publier un texte dressant un bilan des coûts et des bénéfices que cela pourrait engendrer.

Il y a une semaine, le brouillon de cette “communication” avait filtré dans la presse. Un texte en apparence identique, mais en réalité bien différent de celui que la Commissaire a présenté hier. Pour des données inchangées, les conclusions qu’il en tire sont inversées.


Jeudi dernier, préconisé ; aujourd’hui, prématuré

Les inflexions subies par le texte en l’espace d’une semaine en disent long. L’eau que la Commission a versé dans son vin prend des formes multiples. Le discours est moins incisif et plus modéré, souffrant de la disparition d’adjectifs et d’adverbes d’emphase. Au contraire, les conditionnels entourant le chiffre de 30% se multiplient. Omniprésentes également les références aux contraintes que la crise fait peser sur l’économie. Auparavant, elles étaient discrètes, laissant la part belle à une analyse de la crise comme une opportunité pour le climat. Enfin, les références aux autres pays, Etats-Unis et Chine pour ne pas les nommer, jonchent désormais le texte.

Mais c’est surtout cette phrase, nouveauté de la nouvelle mouture, apparaissant dès l’introduction du texte et répétée dans les conclusions, qui résume le mieux la nouvelle position officielle de la Commission : “les conditions requises ne sont clairement pas remplies pour passer à 30%” . Le verdict est sans appel.

Le texte pousse alors la subtilité jusqu’à reléguer le réchauffement global de la planète du rang de “défi le plus important auquel notre génération est confrontée” à celui d’ “un des défis” . Sans portée pratique, le changement n’en est pas moins symbolique, et révélateur. C’est d’ailleurs la formulation qui avait été reprise dans l’accord de Copenhague de décembre dernier.

Mais alors, comment en est-on arrivé là ?

Haro sur la commissaire

La commissaire Hedegaard est reconnue pour son engagement en faveur de l’environnement. D’abord ministre danoise de l’environnement de 2007 à 2007, elle était devenue ministre du climat et de l’énergie, au moment où son pays avait accueilli le sommet de Copenhague. Sa nomination au portefeuille “climat” avait été saluée dans les milieux écologistes.

Suite à la fuite du document jeudi dernier, les pressions politiques se sont multipliées. La plus marquante, intervenue la veille seulement, est certainement la conférence de presse conjointe organisée par les ministres Français et Allemand de l’Industrie, Christian Estrosi et Rainer Brüderle. Ceux-ci y ont réitéré la nécessité que d’autres pays “prennent des engagements comparables” avant que l’Europe n’augmente ses efforts. Pour le Français, la menace de la délocalisation pèse sur un engagement unilatéral. Pour l’Allemand, il est temps de “marquer une pause” , après l’échec du sommet de Copenhague. Une véritable montée au créneau pour ces deux pays, qui ont rappelé que la décision appartenait aux dirigeants nationaux et non à la Commission européenne.

Tous les Etats ne sont pourtant pas opposés à un durcissement des objectifs. Le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède sont parmi ceux qui souhaitent le passage à 30%. La question divise aussi les industriels. Si la plupart d’entre eux sont fermement opposés au projet, certains, parmi lesquels Alstom, Shell, Philips ou Deutsche Telekom, ont manifesté leur soutien à la commissaire.

Des sources à Bruxelles rapportent enfin des dissensions au sein de la Commission. L’Allemand Öttinger, le Polonais Lewandowski et l’Italien Tajani, originaires de pays réfractaires à pousser l’action climatique, ont exigé des changements de nature à “totalement raboter” le texte, qui, comme toute communication doit être adopté par l’ensemble du collège. Le Président de la Commission, José Manuel Barroso, serait également intervenu. En conférence de presse, Connie Hedegaard a récusé ces allégations et a insisté sur sa “fierté d’appartenir à cette Commission” .

C’est donc une conférence de presse au message ambigu qui a eu lieu mercredi. Après avoir construit un argumentaire solide en faveur d’un passage à 30%, la commissaire a appelé à ne pas le faire, tout en insistant néanmoins la nécessité d’ “agir vite” face à des Chinois qui investissent massivement dans les technologies vertes.

Un argumentaire convaincant

Tout en recommandant de ne pas changer d’objectif, la communication développe un argumentaire convaincant pour inciter à le faire, en dépit de l’absence d’engagements nouveaux de la part des autres grands pays.

Pour les raisons géopolitiques d’abord : passer à 30%, ce serait prendre le leadership climatique, et renforcer l’influence et la crédibilité de l’Union dans le monde. Ce serait aussi un coup de pouce aux négociations climatiques : le timing aurait été particulièrement opportun, puisqu’il aurait envoyé un signal au Congrès américain en plein débat sur l’ “American Power bill” , un projet de loi sur le climat qui durcirait les objectifs de réduction d’émissions des Etats Unis.

De plus, ce choix pourrait être relativement indolore pour les Etats membres, du moins au regard du progrès qu’il constituerait. La communication explique en effet que la récession économique qui a eu lieu depuis l’adoption du paquet énergie-climat a changé significativement la donne, et rend les objectifs plus facilement atteignables qu’on le pensait en 2008. Le ralentissement de l’activité a engendré une quantité de gaz carbonique bien moindre que prévue. Même après la reprise, le prix du carbone risque de rester bas encore longtemps, puisque les entreprises pourront utiliser les crédits carbone restés inutilisés pendant la récession.

Les “fuites de carbone” font référence aux délocalisations de la production industrielle vers des zones à moins fortes contraintes environnementales.


Sur le risque de “fuite de carbone” tant redouté par les pays européens et en premier lieu la France, la communication estime qu’il a été surestimé, et chiffre à 1% les pertes de production supplémentaires à prévoir dans le cas du passage à un objectif de 30%.

Un tel changement aurait même des effets positifs. Outre l’amélioration de la qualité de l’air, un objectif à 30% catalyserait la création d’emplois dans les secteurs porteurs.

Finalement, passer à 30% représenterait un surcoût supplémentaire de seulement 11 milliards d’euros par rapport à ce que les Etats membres avaient décidé d’investir pour un objectif de 20% ; cela représente au total 81 milliards d’euros, soit 0.54% du PIB européen.

Actuellement, les efforts consentis par l’ensemble des pays des Nations Unies permettraient d’atteindre une réduction de 18% seulement des émissions de gaz à effet de serre, au lieu des 80% nécessaires pour limiter à 2°C l’augmentation de la température sur la planète en 2050, comme le prévoit l’accord de Copenhague.


La Commission explique enfin que plus on retarde les réductions, plus les coûts seront élevés pour les Etats ; et pourtant, il faudra bien se résoudre à durcir les engagements.

Si rien ne permettait de douter de la volonté de Connie Hedegaard de pousser plus avant l’Union sur la voie du développement propre, officiellement la communication ne visait qu’à lancer et à alimenter le débat. Celui-ci aura lieu au Conseil Environnement prévu pour le 11 juin prochain. La commissaire pourra au moins se réjouir que les arguments en faveur du passage à 30% sont désormais connus de tous.


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