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Jean Jouzel : “Ne jamais atteindre la neutralité carbone, c’est accepter l’idée que le climat se réchauffe indéfiniment”

Nous avons rencontré le climatologue Jean Jouzel à l’occasion de l’ouverture au public de l’exposition “Urgence climatique”, à la Cité des sciences et de l’industrie (Paris 19). Un entretien sur les moyens de lutter contre le changement climatique et la place des Européens face au défi du siècle.

L'exposition "Urgence climatique" propose trois séquences de visite : "décarbonons", "anticipons" et "agissons"
L’exposition “Urgence climatique” propose trois séquences de visite : “décarbonons”, “anticipons” et “agissons” - Crédits : A. Robin / Cité des sciences

Lorsque nous lui présentons notre site d’information Touteleurope.eu, Jean Jouzel sourit : “climat et Europe, les deux sont liés” ! Il faut dire que le célèbre climatologue a l’habitude des négociations internationales et qu’il connaît bien les politiques européennes en la matière. Membre du GIEC à partir de 1994, Jean Jouzel a assuré la vice-présidence d’un des groupes de travail de l’organisation intergouvernementale de 2002 à 2015.

Dans cet entretien réalisé à l’occasion de l’inauguration de l’exposition “Urgence climatique” à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris, il revient sur le rôle de l’Union européenne dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et prévient : “les changements qu’il faudrait mettre en place ne sont pas des changements à la marge”.

Jean Jouzel

“Urgence climatique”, inaugurée mi-mai, est la nouvelle exposition permanente de la Cité des sciences à Paris. Elle offre une vue d’ensemble du réchauffement climatique et des moyens pour y faire face. Film, installations ludiques, témoignages de citoyens… La visite montre ce qui pourrait se faire et ce qui se fait déjà pour le climat. Jean Jouzel est le commissaire scientifique de cette exposition. Crédits image : Juliette Agnel

Toute l’Europe : Qu’est-ce que le changement climatique ? Quelles en sont les causes ?

Jean Jouzel : C’est une question à laquelle il est facile de répondre. La modification de la composition de l’atmosphère est à l’origine du réchauffement climatique. Nous avons augmenté les émissions de gaz à effet de serre au cours du siècle dernier.

A chaque fois que les activités humaines brûlent des combustibles fossiles, comme le pétrole, le gaz ou le charbon, des gaz à effet de serre sont relâchés dans l’atmosphère. La déforestation ou la fabrication du ciment sont aussi responsables du réchauffement planétaire. On peut les estimer à environ 45 milliards de tonnes de CO2 : 35 milliards pour les combustibles fossiles, 5 à 6 milliards pour la déforestation et 1 ou 2 milliards pour la fabrication du ciment.

On y ajoute une douzaine de milliards de tonnes d’équivalent CO2 avec les deux autres principaux gaz à effet de serre : le méthane et le protoxyde d’azote. Ces émissions sont surtout dues à l’agriculture et l’alimentation.

Avec la trajectoire actuelle, quel est le réchauffement planétaire probable d’ici la fin du siècle ?

Nous allons plutôt vers les +3°C par rapport à l’ère préindustrielle. Mais seulement si les engagements de l’accord de Paris annoncés par les Etats sont tenus. Les émissions continuent aujourd’hui à augmenter dans le monde. Si certaines mesures annoncées ne sont pas mises en place, nous aurons sans doute un peu plus que 3°C… Alors même que chaque dixième de degré compte.

Amplifier l’effet de serre, c’est comme augmenter le chauffage. Il ne faut pas être surpris que la température augmente lorsque vous allumez les radiateurs. Voilà la réalité depuis plus de 50 ans. Nous vivons désormais ce que notre communauté scientifique exprime depuis le rapport Charney [publié en 1979, il dressait une synthèse des connaissances sur les conséquences possibles des activités humaines sur le climat NDLR]. Augmentation des températures, accélération de l’élévation du niveau de la mer, vagues de chaleur… Nous avons répété et alerté sur les conséquences dangereuses du réchauffement climatique dans les rapports successifs du GIEC. C’est maintenant qu’il faut agir, pas demain.

Quel peut être le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre le changement climatique ?

L’Europe représente un peu moins de 10 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire. Ce n’est pas rien. Ce volume est suffisamment important pour que l’action européenne ait un sens. L’échelon européen est sans doute plus pertinent que l’action d’un Etat seul.

L’Union européenne a aussi un rôle à jouer sur la scène mondiale. Au moment des négociations pendant les COP, il y a une coordination au niveau européen. Peu de gens le savent, me semble-t-il. Et c’est très important : la France, l’Allemagne ou l’Italie ne vont pas négocier seules. Il y a une réunion chaque matin et généralement le ministre de l’Environnement du pays qui préside le Conseil de l’Union européenne est le porte-parole pour l’ensemble des Etats membres. Cette stratégie d’une Europe unie est très forte.

Au-delà des négociations internationales, l’Union européenne s’est donné pour objectif d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050.

Oui, l’Europe a été l’une des premières à se projeter vers cette neutralité carbone. L’accord de Paris dont elle est signataire prévoit de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Cela passe par la neutralité climatique à 2050. Il faut se rendre compte que 1,5°C en moyenne globale représente plus de 2°C en Europe. Nous l’avons vu l’été dernier avec les canicules, il y a une amplification de plus de 50 % dans toute l’Europe de l’ouest. Nous sommes déjà aujourd’hui à 1,7°C de réchauffement en France, contre 1,1°C en moyenne planétaire.

L’Europe a aussi l’ambition affichée de réduire les émissions de gaz à effet de serre de -55 % en 2030, par rapport à 1990. Le commissaire européen au Pacte vert Frans Timmermans a même dit que nous pouvions atteindre -57 %. J’attends de voir.

Pensez-vous que ces objectifs soient tenables ?

Ne jamais atteindre la neutralité carbone, c’est accepter l’idée que le climat se réchauffe indéfiniment. Ce serait quand même assez rude pour les jeunes d’aujourd’hui et pour les prochaines générations. Je préfère me placer dans l’hypothèse que la transition écologique se fera. Je ne crois pas pour autant qu’elle se fera assez vite malheureusement, il ne faut pas être naïf. Je ne crois pas que l’on arrivera à la neutralité carbone en 2050, même si c’est souhaitable. Mais je reste très attaché à cet objectif. Un dixième de degré, ça compte. Plus on s’éloigne d’un réchauffement à 2°C, mieux ce sera. Je suis aussi convaincu que la transition écologique est un moyen pour l’Europe d’assurer son dynamisme économique.

Vous avez un exemple ?

Il y a tellement de choses à faire. L’Union européenne veut être exemplaire en termes de mobilité, par exemple. La SNCF avait signé un accord avec ses partenaires étrangers pour avoir plus de trains de nuit. Mieux vaut relier les villes européennes par le train que développer le transport aérien.

Les premiers secteurs d’activité et les premiers pays qui s’impliqueront pour la neutralité climatique et qui s’engageront dans cette transition seront gagnants. Et mieux adaptés au climat du futur. Au départ, c’est difficile à mettre en œuvre. Mais nous y gagnerons économiquement. Dans tous les cas, l’Europe n’a pas de combustibles fossiles en grandes quantités à sa disposition.

L’exposition “Urgence climatique” promeut un esprit “ni moralisateur, ni défaitiste”. Est-ce que cela peut résumer votre position ?

Plutôt. Bon, je suis aussi lucide. Les changements qu’il faudrait mettre en place ne sont pas des changements à la marge. Une société atteignant la neutralité carbone est bien différente de celle d’aujourd’hui. Il faut aussi parler de sobriété. Parmi d’autres, le scénario “réparateur” de l’Agence de la transition écologique (ADEME) fait le pari que les modes de vie du début du XXIème siècle seront sauvegardés. Il revient à dire que les jeunes d’aujourd’hui seront assez intelligents pour faire face aux conséquences du changement climatique à l’avenir. C’est assez faux, personne n’est en mesure d’arrêter l’élévation du niveau de la mer, par exemple. Il y a des limites à l’innovation. Avec cette exposition, j’aimerais que chacun comprenne en quoi nous influençons les émissions de gaz à effet de serre dans notre vie de tous les jours. En nous logeant, en mangeant, en nous déplaçant… Et comment nous contribuons au réchauffement climatique. Il ne faudrait pas que nos anticipations reposent sur l’idée que nous serions plus forts que cette machine à inertie très forte qu’est le réchauffement du climat. Les scénarios doivent être plus raisonnables et tenir compte des risques liés à ces changements climatiques. C’est maintenant qu’il faut agir.

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