Les COP se suivent, mais se ressemblent-elles ? La COP15 dédiée à la biodiversité se déroule à Montréal, au Canada, du 7 au 19 décembre, peu de temps après la COP27 de novembre sur le climat, en Egypte. Cette dernière s’est conclue sur la nécessité d’aider financièrement les pays les plus vulnérables, qui subissent déjà les conséquences du changement climatique. Assurant qu’il faut “des ponts” entre ces deux rendez-vous internationaux, le biologiste Gilles Boeuf identifie plusieurs menaces sur la biodiversité, dont la destruction des écosystèmes, la pollution ainsi que la surexploitation de la nature.
Gilles Boeuf a de nombreuses casquettes. Spécialiste de physiologie environnementale et de biodiversité, il a notamment été président du Muséum d’histoire naturelle de 2009 à 2015 et conseiller scientifique pendant la COP21. Il participe à la gestion de la Réserve naturelle nationale de la forêt de la Massane, dans les Pyrénées. Professeur à Sorbonne Université, il est Conseiller régional Nouvelle-Aquitaine, en charge du programme “One health : une seule santé”. Crédits image : Ucscconcepcion
Toute l’Europe : Quel bilan tirez-vous de la COP27 ?
Gilles Boeuf : Je n’en attendais pas grand chose. Je m’étais rendu au “One Ocean Summit” à Brest en février et ma position est la même pour la COP27 : ni déçu, ni content ! Si vraiment les pays développés apportent enfin cette manne financière qui avait été promise aux pays pauvres en décembre 2015 lors de la COP21 à Paris, cela restera un point positif. J’attends de voir la suite et les réalisations pratiques.
Avez-vous des attentes particulières pour cette COP15 ?
Je n’attends pas beaucoup plus de la COP15, à vrai dire. Cet événement attire au moins l’attention sur les enjeux de biodiversité. Disons déjà que c’est une bonne chose que ce ne soit pas en Chine, sinon cette COP se serait déroulée dans des conditions très difficiles.
La COP15 rejoint ce que nous avons fait au congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Marseille, en septembre 2021. Nous constatons à chaque fois que la situation est pire qu’avant. L’effondrement du nombre des individus vivants dans les populations naturelles sauvages est un fait scientifique majeur. En 18 ans, nous avons perdu 30 % d’oiseaux dans certains territoires agricoles. Et nous avons parlé 8 fois plus du climat que du vivant ces 20 dernières années. Climat, vivant : même combat ! C’est la disposition d’esprit qu’il faut avoir. Les deux enjeux sont liés, mais pas toujours. La surpêche du thon rouge n’a par exemple pas grand-chose à voir avec le changement climatique.
Quels sont les sujets que vous souhaiteriez voir traités ?
J’espère que l’on va sortir des débats uniquement sur le climat et l’énergie. Parlons de l’océan. Il y avait eu 20 COP sans aborder ce thème, alors que c’est le principal régulateur du climat. Mais on ne vote pas et personne n’est élu sur l’océan. C’est un sujet qui revient tout de même régulièrement depuis la COP21. Dans les discours et les rapports, il y a maintenant des passages sur le vivant et la biodiversité qui comprennent des documents spécifiques sur l’évolution de l’hydrosphère, de la cryosphère et de l’océan. Là aussi, il n’y a plus un seul rapport du GIEC qui ne traite de la question du vivant.
Pensez-vous que le climat et la biodiversité devraient être abordés dans une COP unique ?
Il faut des ponts entre la COP climat et la COP biodiversité. C’est très important. Mais dans les deux sens. Bien sûr que le changement climatique affecte le vivant, tout le monde le reconnaît. On oublie la chose inverse : le vivant qui s’en va affecte, en retour, le climat. La surpêche amoindrit les capacités de l’océan à stocker du CO2. Alors même que les océans stockent environ 30 % du carbone que nous émettons en excès. Réfléchissons aux mesures à prendre. Est-ce que les mesures pour le climat sont bénéfiques pour le vivant ? Est-ce que les mesures pour le vivant sont bénéfiques pour le climat ? Pas toujours. J’aimerais à terme une seule réunion internationale pour ces deux questions.
La publication d’un premier rapport conjoint entre l’IPBES [un groupe international de chercheurs sur la biodiversité, NDLR] et le GIEC en juin 2021 est un signal très fort. L’action politique n’est pas justifiée si elle ne prend pas en compte les deux enjeux.
Quelles sont les raisons de l’effondrement de la biodiversité ?
La destruction pure et simple des écosystèmes est la première menace pour le vivant. Elle est responsable des deux tiers de l’érosion de la biodiversité. C’est ce qu’on appelle l’artificialisation des sols, l’urbanisation ou la destruction du littoral. On ne peut pas détruire l’océan en soi comme écosystème, mais l’humain détruit ses littoraux. Il faut donc porter une attention particulière à ce qui est construit et installé.
La seconde menace est la contamination et la pollution, dans laquelle l’agriculture a sa part de responsabilité. Nous avons tué la moitié des sols de cette planète. Nous sommes passés à 8 milliards d’êtres humains dans les dernières semaines. Comment nourrir cette population avec des sols morts ? C’est impossible. Il faut y remettre du vivant. Les sols du monde contiennent deux fois plus d’espèces que tout l’océan : un quart du vivant connu y vit.
Comment les sols ont-ils été dégradés ?
L’hypermécanisation est en cause. Nous avons des engins beaucoup trop lourds et des tracteurs gigantesques. Il y a aussi des labourages trop profonds. La pollution chimique est l’autre responsable de la mort des sols dans le monde. Cela concerne les intrants et surtout les pesticides, les herbicides et les fongicides.
Quelles sont les autres menaces sur la biodiversité ?
La dissémination des espèces est une menace pour le vivant. Les ambroisies se sont par exemple propagées et donnent des allergies à un bon quart des Français. J’ai aussi des séneçons du Cap dans ma réserve naturelle des Pyrénées. C’est une fleur jaune qui provient des laines de mouton d’Afrique du Sud. Les animaux aussi sont concernés. Regardez les frelons asiatiques. Beaucoup d’espèces sont transportées. Au niveau marin, les coques de bateaux charrient des espèces, notamment à travers l’Atlantique. Ou alors, elles ont été volontairement introduites pour la pêche et colonisent les cours d’eau. Les silures originaires d’Europe de l’Est mangent par exemple les petits saumons, des aloses et les esturgeons. Dans les Pyrénées, nous avons remarqué que les randonneurs transportaient du pollen et des graines. Nous voyons des plantes du pays basque en pays catalan, et inversement.
La surexploitation est la quatrième menace sur la biodiversité. L’exemple des forêts tropicales est typique. En l’état actuel des connaissances, elles contiennent plus de la moitié des espèces vivantes connues sur Terre. Et elles partent à peu près à la vitesse de la surface de la Grande-Bretagne chaque année. Ces grands bassins de biodiversité se comptent sur les doigts de la main. Il y a le bassin du Congo en Afrique, l’Amazonie et les grandes îles de Papouasie-Nouvelle-Guinée et de Bornéo.
La surexploitation concerne les pêches maritimes aussi : l’humain prend plus que ce que la nature est capable de renouveler. C’est une des propriétés du vivant, être renouvelable. Mais le drame actuel est que nous dépassons les seuils de renouvelabilité naturelle de la Terre. Il faut pêcher, oui, mais la surpêche est stupide. Avec l’aquaculture, cela représente un peu plus de 200 millions de tonnes par an, malgré des stocks de plus en plus pressurés. Les pêches illégales sont massivement pratiquées.
Vous disiez “Climat, vivant : même combat”.
C’est la cinquième raison : l’évolution beaucoup trop rapide du climat. Je ne mets pas le climat en première cause de l’effondrement du vivant. Mais cela pourrait devenir important. Les populations bougent beaucoup. Des poissons de Normandie sont retrouvés en Écosse, il y a des barracudas en Méditerranée, certains poissons de Méditerranée sont rendus dans le golfe de Gascogne… Bactéries, virus, champignons, plantes, animaux… Il y a une migration générale vers le nord dans l’hémisphère nord, et vers le sud dans l’hémisphère sud. C’est lié à la température de la masse d’eau, à celle de l’air mais aussi au manque d’eau. La Garonne qui a atteint les 29 °C fin août est au tiers de son débit normal. Le Rhône en est à la moitié de son débit habituel.
Le moustique tigre a gagné 22 départements en France cette année, vers le nord, ce qui provoque une hausse des cas de dengue.
Cela a donc des conséquences sur la santé humaine…
Tout à fait. Cela rejoint le programme que je mène au niveau de la région Nouvelle-Aquitaine : “One Health”. Nous traitons des relations entre la santé des écosystèmes (vignes, forêts…), la santé vétérinaire et la santé humaine. Le Covid-19 est un des exemples de “saut d’espèces” : la maladie est passée de la chauve-souris à l’humain, qui a ensuite disséminé le parasite très vite. L’approche “One Health” s’intéresse aux relations intimes entre les deux aspects : le climat qui évolue trop vite et l’effondrement du vivant.
L’Union européenne porte plusieurs mesures, comme une loi de restauration de la nature ou la protection de 30 % des terres et des mers…
Cela va dans le bon sens. L’Europe est plutôt plus avancée que le reste du monde sur les questions environnementales. Les politiques ne datent pas d’hier : il y a la directive-cadre sur l’eau, celle sur les oiseaux, tous les projets Natura 2000… Dans ma réserve naturelle, nous n’avons pas coupé un arbre depuis 150 ans. Mais ils souffrent des épisodes de sécheresse et de canicule ainsi que des 15 000 camions qui passent non loin de la forêt tous les jours. Pour autant, je ne suis pas favorable aux sanctuaires. Ils sont parfois très mal vus.
L’Union européenne est parfois frileuse, comme sur les pesticides. Il faut bouger un peu plus et penser aux externalités. Les pesticides ont des conséquences sur la biodiversité et nous n’en avons jamais consommé autant.
Le problème, c’est aussi de trouver une gouvernance. Une gouvernance internationale sur ces sujets est complexe à mettre en œuvre. Edgar Morin a dit récemment que le problème n’était pas la frénésie scientifique et technologique, mais l’usage que nous en faisons. L’Europe doit porter ce message.