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A la loupe

[Fact-checking] L'Union européenne est-elle toujours dépendante des énergies fossiles russes ?

Avant l’agression russe de l’Ukraine en 2022, l’UE était largement dépendante de Moscou pour son approvisionnement en charbon, pétrole et en gaz. Depuis, elle a grandement réduit ses importations d’énergies fossiles venues de Russie.

L'Union européenne a importé plus de gaz naturel liquéfié (GNL) pour combler le manque de gaz russe
L’Union européenne a importé plus de gaz naturel liquéfié (GNL) pour combler le manque de gaz russe - Crédits : Axel Heimken / Commission européenne

CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE

  • L’Union européenne a réduit sa dépendance énergétique envers la Russie, notamment en diversifiant son approvisionnement et en économisant de l’énergie.
  • Les Européens continuent toutefois d’importer du gaz russe et les sanctions sur le pétrole russe sont en partie détournées.
  • L’UE demeure une grande consommatrice d’énergie fossile, qu’elle importe toujours de l’extérieur.

Les Européens sont-ils sevrés des énergies fossiles russes ? Sur le papier, les chiffres sont éloquents. Début 2022, “une unité sur cinq de l’énergie consommée dans l’Union européenne provenait des combustibles fossiles russes. Aujourd’hui, c’est une sur vingt”, se félicitait mi-février la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Avant la guerre, l’UE dépendait pour 45 % des importations de gaz naturel venu de Russie. Cette part est descendue à 15 % en 2023. Les Européens ont également arrêté d’acheter du charbon russe et ont drastiquement réduit leurs importations de pétrole russe. En août 2021, l’UE achetait 14,9 millions de tonnes de pétrole à la Russie, un chiffre qui s’effondre à 1,7 million au même mois de 2023.

Face à l’attitude de Moscou en Ukraine et aux incertitudes sur l’approvisionnement, la Commission européenne a publié en mai 2022 le plan REPowerEU, avec l’objectif de se passer des énergies fossiles en provenance de Russie d’ici à 2027. Trois actions structurent cette stratégie : diversifier l’approvisionnement, économiser de l’énergie et parier sur les énergies renouvelables.

Fermeture des robinets, approvisionnement diversifié

L’Union européenne s’est donc tournée vers d’autres pays afin de diversifier son approvisionnement. L’Europe a massivement acheté du gaz naturel liquéfié (GNL) américain, transporté par bateau. Entre 2021 et 2022, les importations de GNL en provenance des Etats-Unis ont plus que doublé. Et au troisième trimestre 2023, la Russie n’était que le quatrième fournisseur des Européens en gaz, derrière les Etats-Unis (23 %), l’Algérie (19 %) et la Norvège (18 %). La Russie représente désormais seulement 15 % des importations de l’UE, en comptant les pipelines (8 %) et le GNL (7 %).

Si les Européens ont décidé de se coordonner pour moins acheter de gaz, la baisse du transit est, au départ, une décision de Moscou. Déjà fin 2021 puis au début de la guerre en Ukraine, le Kremlin a coupé les robinets vers l’Ouest afin de faire pression sur les Européens. “Les Russes ont pris la décision d’interrompre le trafic via le gazoduc Yamal, entre la Pologne et la Biélorussie”, rappelle ainsi Céline Bayou, chercheuse associée au centre de recherches Europes-Eurasie de l’INALCO. Fin septembre 2022, les pipelines de Nord Stream ont par ailleurs fait l’objet d’un sabotage, dont les auteurs restent à ce jour inconnus.

Pour le pétrole, l’UE a principalement regardé du côté des Etats-Unis, de la Norvège et de l’Arabie saoudite. Elle a même trouvé des partenaires moins traditionnels en la matière, à l’image du Brésil. Selon une étude de l’ONG Transport et Environnement, le pétrole russe importé en France a par exemple diminué de 22 % entre 2021 et 2022. A l’inverse, l’Hexagone s’est tourné vers l’Angola (+570 %), le Koweït (+150 %), ou encore les Etats-Unis (+28 %).

En plus de diversifier leur approvisionnement, les Européens ont réalisé d’importantes économies d’énergie. “On observe une baisse de 8 % de la consommation de gaz entre 2022 et 2023, et même jusqu’à 20 % si l’on compare à la moyenne des années 2017 et 2021″, note Phuc-Vinh Nguyen, chercheur à l’institut Jacques Delors. Cette diminution est liée à la hausse des prix, à une politique active des Etats membres de l’UE pour économiser de l’énergie, “mais aussi à une destruction de la demande industrielle”, souligne l’expert. Une situation dont il est difficile de savoir si elle est structurelle ou conjoncturelle, selon lui.

Enfin, les énergies renouvelables ont aussi contribué à ce que les Européens consomment moins de gaz. La part de ces énergies vertes dans le mix électrique européen a atteint 44 % en 2023, pour la première fois au-dessus de la barre des 40 %. De quoi faire dire à Ursula von der Leyen, le 13 février dernier, que “la tentative de Vladimir Poutine de faire chanter notre Union a totalement échoué […] Au contraire, il a vraiment poussé la transition verte”.

L’Europe achète toujours à la Russie

Les Européens continuent toutefois d’importer de l’énergie russe, même si les quantités sont moindres. En 2022, l’Union européenne était encore le premier importateur mondial d’énergies fossiles de Russie. Mais depuis 2023, elle est tombée à la troisième place, derrière la Chine et l’Inde. Signe que les Européens ont ralenti le rythme de leurs achats.

Les gazoducs qui traversent l’Ukraine sont non seulement toujours en activité, mais l’UE a aussi vu bondir les importations de GNL provenant de Russie par bateau. L’ONG Global Witness estime que les pays de l’UE ont acheté 22 millions de mètres cubes de GNL russe sur les sept premiers mois de 2023, contre 15 millions au cours de la même période en 2021. Soit un bond de 40 % en deux ans.

Et si les Européens se sont notamment tournés vers l’Azerbaïdjan pour leur approvisionnement, une partie du gaz que l’UE fait venir depuis ce pays du Caucase provient de Russie. “On ne lui achète pas directement, mais la molécule est quand même russe”, résume Céline Bayou.

En ce qui concerne le pétrole, les Vingt-Sept ont imposé des restrictions sur les importations de Russie. Mais ce n’est pas le cas de tous les pays, à l’image de l’Inde ou la Turquie. Aux confins de la Syrie et de la mer Méditerranée, le terminal turc de Dörtyol envoie par exemple à ses voisins européens du diesel ou du kérosène issus du pétrole russe. “En 2023, environ 85 % du pétrole expédié depuis Dörtyol était destiné à l’Europe, principalement à la Grèce, à la Belgique et aux Pays-Bas, contre 53 % en 2022″, écrit le Financial Times. De son côté, l’Inde aussi a augmenté ses importations venues de Russie. Le pétrole y est raffiné avant d’être expédié vers l’Europe, qui a vu bondir de 115 % le nombre de barils indiens entre 2022 et 2023.

L’Europe toujours dépendante aux énergies fossiles

Tous les pays européens n’ont pas le même niveau de dépendance à la Russie. Au moment où l’UE décidait d’interdire l’importation de pétrole russe, la Bulgarie et la Croatie ont par exemple bénéficié de dérogations temporaires. Les pays baltes ou la Finlande étaient quant à eux largement irrigués par le gaz de leur grand voisin, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Le début de la guerre en Ukraine a accéléré un mouvement qui était présent dans les discours depuis plus de dix ans”, note Céline Bayou. “A partir de 2006 et la première crise gazière, les Européens parlaient déjà de diversification de l’approvisionnement”, relève la chercheuse. Mais les actes n’avaient pas suivi. Les gazoducs hérités de l’ère soviétique passant par la Biélorussie et l’Ukraine ont été complétés par Nord Stream en mer du Nord (2011), puis TurkStream via la mer Noire (2020). L’Allemagne, en particulier, a longtemps poussé pour augmenter les capacités de transit avec la Russie. Et malgré plusieurs crises successives dans les années 2000, “le gaz russe apparaissait comme la meilleure solution : l’approvisionnement était assuré et il n’était pas vendu très cher”, poursuit Céline Bayou.

Pour se déplacer, se chauffer ou produire de l’électricité, les Européens restent aujourd’hui dépendants des énergies fossiles. C’est vrai du pétrole, qui n’a pas fait l’objet de politiques de réduction de la consommation, mais aussi du gaz. Et les Européens dépendent toujours des pays tiers pour leur approvisionnement en la matière.

L’Europe reste donc exposée à des risques sur son approvisionnement en énergie. “L’UE a réussi à retrouver les ressorts pour faire face à la baisse de l’offre en gaz russe, de manière très rapide. Il s’agit désormais de pérenniser ces politiques”, insiste Phuc-Vinh Nguyen. Et le chercheur de citer plusieurs leviers, dont les énergies renouvelables, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la sobriété.

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