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Union européenne : trop de diplomatie tue l’économie

Alors que la crise continue d’ébranler la stabilité de la zone euro, l’Union européenne n’a jamais autant débattu de sa gouvernance économique. Quel enseignements peut-elle tirer de ces derniers épisodes de cette crise ? Jean-François Jamet, chercheur et économiste, analyse pour Touteleurope.fr le rôle des diverses institutions européennes dans la gestion économique. Il plaide pour un rôle accru des Présidents de la Commission et du Conseil européen ainsi que pour un renforcement de la supervision macroéconomique par l’Eurogroupe.

La crise financière soumet la gouvernance économique européenne au test particulièrement sévère d’une crise systémique. La crise financière est devenue une crise bancaire puis une crise économique et sociale, et enfin une crise des finances publiques. Le caractère systémique de la crise provient aussi de sa propagation géographique : les craintes des marchés ont ciblé les pays les plus fragiles, d’abord hors de la zone euro (Hongrie, Lettonie, Roumanie) puis au sein de la zone euro (Irlande puis Grèce). Elles touchent aujourd’hui de nouveaux pays, les premiers sur la liste étant ceux qui combinent des déficits publics et commerciaux élevés, comme l’Espagne et le Portugal. Les Etats européens se trouvent ainsi confrontés à la nécessité de réaliser un ajustement douloureux à un moment où la reprise de la croissance n’est pas encore solide et où les indicateurs sociaux (chômage, coût de la protection sociale) sont déjà dans le rouge.

Jean-François Jamet est économiste, vice-président du Comité d’orientation d’EuropaNova. Il enseigne l’économie politique de l’Union européenne à Sciences-Po.

L’histoire nous montre néanmoins que de tels ajustements sont possibles et peuvent relancer la croissance lorsque plusieurs éléments sont réunis : une dépréciation de la monnaie (qui est en train de se produire pour l’euro) ou un réalignement des coûts du travail au regard de la productivité (une effort de convergence entre les Etats membres de la zone euro doit être fait sur ce point), la préservation des dépenses d’investissement, un partage des efforts permettant d’en répartir le coût (ce qui est valable non seulement au niveau national mais aussi au niveau européen), et l’adoption de mesures crédibles garantissant une gestion plus prudente à l’avenir.

Comment s’est comportée la gouvernance économique européenne pendant la crise ? Tout n’est pas noir. La Banque centrale européenne a joué un rôle important à plusieurs reprises : d’abord en apportant des facilités de crédit aux banques pendant la crise financière, puis en acceptant d’acheter de la dette publique le 9 mai dernier. De la même façon la Banque européenne d’investissement a constitué un instrument utile pour limiter la contraction du crédit aux entreprises. Parallèlement, l’action coordonnée des Etats et de la Commission (qui a adapté la mise en œuvre des règles de concurrence) a permis le sauvetage des établissements bancaires les plus en difficulté. Enfin, le FMI a joué un rôle utile en soutien de l’Union européenne dans l’aide apportée aux Etats présentant un risque de défaut (Hongrie, Lettonie, Roumanie, Grèce).

Mais la crise a révélé également une faiblesse majeure de la gouvernance économique de l’UE : le processus de décision est soumis dans plusieurs domaines à un lent processus de négociation entre les Etats membres. Or, en l’absence d’issue à ce ballet diplomatique, l’Union européenne se trouve incapable de parler d’une seule voix et d’agir rapidement. Les Etats membres, en se neutralisant, créent alors une formidable incertitude qui peut être désastreuse en période de crise. C’est du reste un problème qui n’est pas nouveau. Les exigences du Pacte de stabilité n’ont pas été respectées parce que son application n’était pas automatique mais dépendait d’une négociation entre Etats membres. De la même façon, la Stratégie de Lisbonne est le résultat d’un accord entre chef d’Etats sur les objectifs à atteindre qui restait très imprécis sur les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. La crise a au moins permis de montrer que la politique économique de l’Union européenne ne peut être qu’une affaire de diplomate.

Heureusement, la crise permet une prise de conscience des fragilités de la gouvernance économique européenne et alimente un débat qui n’a jamais été aussi nourri quand aux réformes à mettre en œuvre. La notion de gouvernement économique n’est plus taboue. Elle implique une réflexion autour de la politique économique européenne quant à sa légitimité vis-à-vis des citoyens, à sa réactivité et à sa lisibilité. Cette mission, qui a été confiée à Herman Van Rompuy, le Président du conseil européen, est essentielle. Elle pourrait conduire à refonder la stratégie économique européenne de façon à ce qu’elle ne repose plus sur une négociation diplomatique mais sur un projet politique porté par le Président de la Commission quant à ses aspects réglementaires et microéconomiques, et par le Président du Conseil quant à ses aspects macroéconomiques.

La Commission doit se concentrer sur la définition d’un programme de mesures concrètes en vue de renforcer la compétitivité européenne (et notamment l’investissement) et passer d’une logique de résultat en réalité peu contraignante à obligation de moyens. De ce point de vue, la Stratégie UE 2020 reflète encore trop un travail de compromis évitant tout risque politique par la définition d’objectifs consensuels : elle demande à être déclinée en un plan d’action bien plus détaillé. La Commission a également un rôle important à jouer dans la réforme de la supervision financière et dans le renforcement de la solidité du secteur bancaire européen, encore fragile.

Quant au Conseil et à l’Eurogroupe, ils doivent renforcer le rôle et la légitimité de leurs présidences, améliorer la supervision macroéconomique européenne, créer un système d’assurance contre le risque de défaut (sous la forme d’un Fonds monétaire européen), adopter un discours économique commun dans les enceintes internationales, moderniser le budget européen et s’accorder sur un effort de convergence renouvelé. Mais il est essentiel de garder à l’esprit que le point commun de ces mesures doit être de ne pas dépendre d’une négociation entre Etats membres pour leur application future. Il est vrai qu’une négociation initiale pour leur mise en place est incontournable dans le système actuel : c’est ici que les chefs d’Etat et de gouvernement doivent prendre la mesure de l’enjeu et faire preuve de courage politique. C’est le prix de la crédibilité de la politique économique européenne.

Quant à la légitimité à long terme de la politique économique européenne, elle doit venir du débat démocratique et de son expression électorale au niveau européen. Là aussi, il reste beaucoup de progrès à accomplir, si l’on veut bien admettre qu’il existe des biens publics européens.


Jean-François Jamet

En savoir plus :

Dossier sur la crise économique dans la zone euro - Touteleurope.fr

Dernières publications de Jean-François Jamet :

Un agenda économique pour l’Europe - Fondation Robert Schuman

Une Europe qui ose, dans l’intérêt des européens - 60 propositions concrètes pour fonder une puissance européenne, avec Guillaume Klossa

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