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Taxation des entreprises : comprendre la concurrence fiscale en Europe

La fiscalité est l’un des leviers utilisés par les Etats pour améliorer leur compétitivité économique et attirer les investissements. Les taux avantageux présentés par certains pays, parfois accusés d’être des “paradis fiscaux”, sont souvent pourfendus par leurs voisins plus prompts à taxer les bénéfices. Comment fonctionne cette concurrence fiscale en Europe ?

Fiscalité des entreprises
Etant donné la multitude de facteurs à prendre en compte, souvent complexes à mesurer, il est difficile de savoir combien les Etats prélèvent réellement sur les profits des entreprises - Crédits : atiatiati / iStock

La concurrence fiscale est rude en Europe comme dans le reste du monde. Avec la libéralisation progressive des flux de capitaux, de biens et de services, certains Etats ont préféré jouer sur des règles d’imposition avantageuses sur les sociétés afin de les attirer sur leur territoire.

Une réduction des taux d’imposition sur les sociétés

Ces dernières décennies, la tendance a ainsi été à la baisse de la fiscalité sur les entreprises. Dans 109 juridictions analysées par l’OCDE, le taux légal de l’impôt sur les sociétés était de 20,6 % en moyenne en 2020, contre 28 % 20 ans plus tôt. En Europe, l’Allemagne et la Bulgarie ont par exemple énormément réduit leur taux légal, l’abaissant de plus de 20 points de pourcentage entre 2000 et 2020.

Le taux légal de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, qui correspond au taux nominal auquel sont soumises les entreprises, ne permet toutefois pas de connaître précisément le régime fiscal attribuable à un Etat : il ne prend en compte ni l’ampleur de l’assiette à laquelle s’applique ce taux, ni les taux spécifiques et préférentiels éventuellement prévus pour certains secteurs économiques.

C’est pour cette raison que le taux d’imposition effectif moyen (TIEM), calculé par l’OCDE, lui est préféré ici. Cet indicateur “mesure l’impôt moyen qu’une entreprise acquitte dans le cadre d’un projet d’investissement qui génère des profits économiques positifs”, indique l’organisation internationale.

Dans les pays couverts par les données de l’OCDE, le taux effectif s’établit à 20,1 % en moyenne en 2019 : l’écart avec le taux légal d’imposition moyen (21,4 %) est de 1,3 point, mais il est beaucoup plus important dans certains pays. De manière générale, la comparaison des deux indicateurs montre que les déductions fiscales ont tendance à être plus généreuses lorsque les taux légaux sont les plus élevés.

La France, qui a le taux effectif moyen le plus élevé d’Europe (30,3 % en 2019), a l’objectif de ramener progressivement son taux légal à 25 % pour les bénéfices de sociétés supérieurs à 38 120 euros. Celui-ci pouvait atteindre jusqu’à 33 % auparavant.

A l’opposé, Guernesey, Jersey et l’île de Man, territoires autonomes du Royaume-Uni, ont abaissé leur taux à 0 % en 2009. Sous la barre symbolique des 10 %, on retrouve également l’Andorre. Elle n’avait aucun système de fiscalité des entreprises mais s’est dotée en 2012 d’un régime général d’imposition des sociétés. Pour autant, la principauté a également mis en place des régimes préférentiels qui permettent aux entreprises de payer moins que les 8,9 % présentés dans le graphique.

Le taux effectif moyen présenté ici a cependant ses propres limites : il est utilisé en théorie, dans des cas types d’investissement d’une entreprise, et de bénéfices sur cet investissement. De plus, il ne prend pas en compte les incitations à la recherche et développement (R&D) ainsi que la fiscalité sur la propriété intellectuelle (marques, brevets…), souvent plus profitable pour les sociétés. La comparaison basée sur ces données du taux d’imposition effectif offre donc un premier aperçu de l’état de la concurrence fiscale en Europe, mais ne suffit pas pour autant.

D’autres indicateurs permettent de déceler si un Etat a mis en place des dispositifs fiscaux particulièrement avantageux : c’est notamment le cas des investissements qui y sont réalisés par des entreprises étrangères. “Des pays comme l’Irlande ou le Luxembourg sont ainsi la destination d’une quantité d’investissements directs à l’étranger (IDE) beaucoup plus importante que ce que pourrait laisser imaginer leur PIB”, notaient en 2018 Guillaume Allègre et Julien Pellefigue dans la Revue de l’OFCE. Ces IDE entrants représentaient 338 % du PIB en Irlande, 356 % aux Pays-Bas et 856 % au Luxembourg en 2020, contre 32 % et 31 % pour la France et la Finlande, par exemple. Ce qui laisse présager que les trois premiers pays ont des mécanismes spécifiques pour attirer les investissements.

Il est difficile de savoir combien les Etats prélèvent réellement sur les profits des entreprises. Comme l’explique un rapport de juin 2020 du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), institution liée à la Cour des comptes, produire une analyse quantitative “est toujours délicat en matière de fiscalité internationale des bénéfices, puisque les données sont partielles et la modélisation moins aisée que dans d’autres champs de la fiscalité” : une difficulté liée au fait que “les bases  de  données  sur  les  multinationales  les  plus couramment  utilisées […] sont par trop incomplètes”.

Réduction de la base imposable et montages fiscaux

Outre la réduction générale des taux d’imposition présentée plus haut, la réduction de la base imposable est couramment utilisée par les entreprises pour payer moins d’impôts et certains pays afin d’attirer les activités et donc les bénéfices de ces entreprises.

Plusieurs pays comme l’Irlande ont ainsi fait de leur faible fiscalité pour les sociétés un élément-clé de leur politique économique. Avec un taux de 12 % et des accords spécifiques sur les impôts, l’île d’Emeraude a su attirer sur son sol des multinationales telles que Google, Facebook ou Intel. Plusieurs entreprises ont profité d’un vide juridique dans la loi irlandaise pour réduire considérablement leurs impôts. Google avait par exemple mis à profit le “Double Irish”, un montage entre les Etats-Unis, l’Irlande et les Bermudes lui permettant de ne payer quasiment aucun impôt en Europe. Mais face à la pression internationale, le pays a interdit certains montages d’optimisation fiscale.

Les actifs incorporels, comme la propriété intellectuelle, sont taxés différemment des autres bénéfices dans beaucoup de pays, ce qui peut permettre à une entreprise de réduire sa base imposable. “C’est ce qu’a fait Apple. Le groupe a transféré sa propriété intellectuelle en Irlande et a ainsi continué à y localiser d’énormes profits”, expliquait récemment aux Echos James Stewart, professeur à la Trinity Business School. Et avec la numérisation de l’économie, un nombre croissant d’entreprises dépend de ces actifs immatériels : algorithmes, marques ou brevets peuvent ainsi être localisés, dans un but d’optimisation fiscale, au sein d’Etats à la fiscalité avantageuse.

De nombreux Etats ont mis en place des “patent boxes”, présentant des déductions fiscales pour les revenus sur les brevets ou sur les logiciels. Malte enregistrait ainsi en 2019 une différence de 30 points entre le taux légal (environ 35 %) et celui qui peut s’appliquer à la propriété intellectuelle (5 %). Et si le taux effectif moyen y est parmi les plus élevés d’Europe, un système d’imputation permet en réalité aux investisseurs de se faire rembourser une large partie de leurs impôts, ce qui allège considérablement la fiscalité réelle de l’archipel.

Les crédits d’impôts permettent également de déduire certains frais de l’assiette fiscale, comme les dépenses de recherche et développement (R&D). En France, le crédit d’impôt recherche permet aux entreprises qui investissent dans la R&D de bénéficier d’importants remboursements de leurs dépenses. En 2019, parmi les 36 pays membres de l’OCDE, 30 proposaient des incitations fiscales concernant l’innovation et la R&D.

Par ailleurs, des accords préférentiels (rescrits fiscaux) entre des multinationales et certaines administrations, souvent pointés du doigt, permettent à certains Etats de faire baisser la fiscalité sur les sociétés. Le Luxembourg a par exemple permis à Amazon d’échapper à l’impôt sur les sociétés entre 2006 et 2014.

Enfin, certains pays comme la Belgique, l’Italie, la Pologne ou le Portugal, ont mis en place des déductions fiscales sur les fonds propres des sociétés. La Belgique avait ainsi en 2019 un taux légal plutôt élevé (environ 30 %) mais un taux effectif moindre (23 %).

Du côté des plus grandes entreprises, plusieurs leviers sont utilisés pour transférer des profits d’un pays à un autre. Selon un rapport du CPO de 2020, ces outils “les plus couramment mobilisés” par les multinationales “sans évolution de la localisation des activités réelles, incluent l’endettement intragroupe, les prix de transfert [prix des transactions entre sociétés d’un même groupe et résidentes d’États différents NDLR] et la localisation des actifs immatériels (marques ou brevets par exemple)”.

Par ailleurs, l’imposition n’est pas le seul facteur pour qu’une entreprise décide de s’installer dans un pays : le coût de l’énergie, de l’immobilier et de la main d’œuvre, la qualité des infrastructures de transport et de télécommunications, la stabilité administrative et juridique, l’existence de centres de production ou de recherche déjà implantés sont autant de critères pour les investisseurs.

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