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Sven Giegold : plaidoyer pour une harmonisation fiscale européenne

Les négociations sur la création d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés ont démarré au début des années 2000. La fiscalité étant une compétence nationale, les propositions pour une harmonisation européenne n’ont pas beaucoup avancé depuis dix ans. Avec le projet d’un nouveau « pacte de compétitivité » pour la zone euro lors du dernier Conseil européen, revient la question de l’engagement des pays européens à créer une base d’évaluation commune pour l’impôt sur les sociétés. Toute l’Europe vous propose deux points de vue, pour ou contre, l’harmonisation fiscale en Europe. Découvrez le face à face entre Danny McCoy, économiste et directeur général de la Fédération des entreprises irlandaises et Sven Giegold, député européen allemand (Verts).

Sven Giegold : plaidoyer pour une harmonisation fiscale européenne

Le problème de la concurrence fiscale dans l’UE

L’énorme pression qui pèse sur les budgets publics, à fortiori depuis que la crise financière a éclaté, requiert des législateurs des mesures d’austérité pour tenter de rééquilibrer les budgets. Outre le niveau insupportablement élevé des dettes souveraines, l’accroissement des inégalités sociales qui frappe toutes les sociétés européennes exige des réponses globales.

Pour relever les défis actuels, les gouvernements doivent inévitablement s’attaquer aux deux faces de la question budgétaire : le côté dépenses et le côté recettes.
Sven GiegoldDiplômé de sciences politiques et d’économie, Sven Giegold est un député au Parlement européen depuis juillet 2009. Il est coordinateur du groupe des Verts/ALE au sein de la commission des affaires économiques et monétaires.
Toutefois, un examen plus attentif de la question du côté recettes fait ressortir le principe qu’en matière d’imposition, les États membres sont souverains. Ce principe a malheureusement des conséquences très dommageables car nous nous trouvons dans une situation où les personnes mais aussi et surtout les entreprises et la base d’imposition correspondante ont le droit de circuler librement au sein du Marché unique. Il s’ensuit que des régimes fiscaux différents s’appliquent aux personnes et aux entreprises dans les différents États membres. Le droit européen considère quasiment toujours comme illégal le protectionnisme national jouant sur l’assiette fiscale, car contraire au principe du libre accès au marché. L’expérience montre, par ailleurs, que la mobilité des personnes est beaucoup plus difficile à réaliser que la mobilité du capital. Dans les faits, c’est ce dernier qui tire le plus profit des différences de régimes fiscaux au sein de l’UE.

En outre, la forte pression exercée par la concurrence internationale croissante entre États dans le domaine de la fiscalité des hauts revenus et des bénéfices, force les législateurs à réduire la progressivité de leurs régimes fiscaux. Les régimes d’imposition uniformes (ou presque) qui imposent tous les revenus à un taux unique sont de plus en plus populaires dans l’UE. La concurrence fiscale ouvre la voie à l’optimisation des stratégies fiscales des gouvernements, mais menace aussi les principes d’égalité et de solidarité des régimes fiscaux. L’existence de nombreuses disparités de traitement et de refuges fiscaux pour le capital conduisent à une érosion des assiettes d’imposition et à l’accroissement des inégalités.

Pourquoi l’Irlande tient à son taux d’imposition sur les sociétés
Danny McCoy, IBECLire le point de vue de Danny McCoy, économiste et Directeur général de la Fédération des entreprises irlandaises (IBEC).



La concurrence fiscale qui règne au sein de l’UE affecte la marge de manœuvre des États membres pour la conduite des politiques du secteur public. Les revenus de la fiscalité des entreprises ont diminué en moyenne de 35 % en 1995 à 23,2 % en 2010*. L’objectif d’une société plus durable et socialement intégrée devient très difficile à réaliser quand transférer capitaux et bénéfices est facile et, pour certains, très lucratif. La menace constante de voir les entreprises passer de l’autre côté de la frontière dès l’adoption d’une législation fiscale moins favorable (telle une hausse de l’impôt des sociétés ou la suppression d’exemptions dans des secteurs spécifiques) restreint considérablement la capacité des gouvernements et des parlements à proposer, adopter et appliquer des lois et règlements de grande portée. Dans les faits, c’est la préservation des infrastructures et des services publics existants qui est menacée par l’existence d’une fiscalité réduite dans les pays voisins.

Avec la crise actuelle, il est clairement apparu que l’Union européenne avait échoué dans l’établissement d’un cadre commun dont les exigences en matière de revenu des sociétés seraient jusqu’à un certain point de même ordre que celles touchant les revenus des personnes privées. La concurrence fiscale est un obstacle majeur à l’application de politiques équitables caractérisées par la solidarité.

Pourquoi l’Europe devrait agir dans le domaine de la fiscalité


Il n’est d’autre alternative raisonnable à cette course vers le bas qu’une approche européenne commune. L’harmonisation est la seule façon d’alléger le fardeau qui pèse sur les législateurs nationaux. Dans le domaine de la fiscalité, contrairement à la plupart des autres domaines du droit européen, les décisions concernant l’adoption d’une nouvelle législation doivent être prises à l’unanimité par les États membres. Le Parlement européen n’est associé à la décision que par la voie de la procédure de consultation. Il n’a donc pas le dernier mot ni en ce qui concerne l’adoption de la législation fiscale ni en ce qui concerne son contenu.

Au cours des dernières décennies, plusieurs tentatives d’harmonisation dans les domaines de la fiscalité ont été lancées à l’échelon européen. Malgré cela, le domaine de la fiscalité des entreprises dans sa totalité est resté à peu près intouché ; pire, certains des textes adoptés , telle la directive mère-filiale, rendent les efforts nationaux de prévention de l’évasion fiscale encore plus difficiles.

On ne trouvera que deux instruments mis en place pour contrer les effets négatifs, évoqués plus haut, de la concurrence en matière de fiscalité des entreprises. D’une part, on a la législation relative aux aides d’État de l’Union européenne : couplée à l’exercice par la Commission européenne de son pouvoir d’initiative, elle peut être exploitée pour faire juger comme incompatibles avec le droit européen les mesures fiscales nationales favorisant spécifiquement les sociétés nationales ou étrangères. Malheureusement, la volonté politique de consacrer davantage d’efforts à la question faisant défaut au sein de l’institution, cet instrument s’est transformé en un outil n’offrant guère de perspectives. D’autre part, un groupe de travail du Conseil européen fondé dans les années 90 a élaboré un Code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises. Ce groupe a identifié des pratiques engendrant une concurrence fiscale dommageable, pratiques qui ont ensuite été adaptées ou supprimées par les gouvernements nationaux. Ces dernières années, le groupe n’a guère été plus loin. Il est indispensable que la Commission renouvelle son engagement envers la pleine application de ces deux instruments.

On ne manque pas d’exemples montrant que planifier une stratégie fiscale destinée à minimiser les taux d’imposition effectifs des entreprises multinationales reste encore aujourd’hui une activité très profitable et cela, même si les mécanismes de dissimulation des revenus des sociétés aux autorités sont devenus plus complexes.

Réactualiser la question de la lutte contre la concurrence fiscale au niveau européen est la seule possibilité de parvenir à un processus équitable d’intégration européenne. Des propositions d’harmonisation de la base d’imposition des sociétés devraient être faites cette année. La Commission travaille sans grand enthousiasme sur un important projet de propositions pour une Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS). Cette mesure limitera les possibilités pour les sociétés d’échapper facilement à l’imposition de leurs revenus au sein de l’UE. Une fois le processus législatif en branle, il est de la responsabilité de Bruxelles de prendre solidement les choses en main et de veiller à ce qu’un niveau d’imposition minimal, appliqué à une base d’imposition commune, soit payé par toutes les sociétés dans l’UE.

Quoique la règle de l’unanimité au sein du Conseil soit un élément clé pour l’adoption d’une telle législation, la crise actuelle de l’Euro peut, de son côté, offrir l’opportunité de mettre à bas cette forme de nationalisme économique. La forte attente d’un changement peut contribuer à l’émergence d’une pression politique telle que la volonté et les ambitions politiques de franchir ce pas extraordinaire seraient au rendez-vous.

Sven Giegold

* Source : Taxation trends in the European Union, 2010 edition

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Crise économique : les 27 s’accordent sur le principe d’un “pacte de compétitivité” pour mars - Toute l’Europe

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