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Révision de la directive sur les travailleurs détachés : dix jours décisifs

La révision de la directive européenne sur les travailleurs détachés entre aujourd’hui dans une phase potentiellement décisive. Trois votes successifs, du Parlement et du Conseil de l’Union européenne les 16, 23 et 26 octobre, doivent en effet intervenir et préciser fortement la teneur du futur texte. Discuté depuis dix-huit mois, ce sujet continue de fortement diviser les pays européens. Emmenés par la France, les Etats de l’Ouest sont favorables à une profonde révision. Tandis que les pays d’Europe centrale et orientale (et le Danemark) plaident pour une réforme minimale.

Travailleur dans le secteur de la construction
Travailleur dans le secteur de la construction

La révision de la directive régissant le détachement des travailleurs est un bon exemple de la complexité de la procédure législative européenne.

A l’origine du projet de révision : la Commission européenne. Celle-ci, dirigée depuis 2014 par Jean-Claude Juncker, entend faire de l’Europe un “triple A social” . Par conséquent, revoir ce texte de 1996 s’impose car, en l’état actuel des choses, il n’offre pas aux travailleurs européens travaillant dans un autre Etats de l’Union le “même salaire” pour le “même travail” , sur un “même lieu de travail” .

18 mois de négociations

En mars 2016, Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’Emploi et aux Affaires sociales, se saisit formellement du sujet et propose une révision de la directive. Une initiative très inégalement reçue par les Etats membres de l’UE. Les pays d’Europe occidentale, aux premiers rangs desquels la France et l’Allemagne, sont très allants, estimant que l’actuelle directive favorise le dumping social et le travail non déclaré. A l’inverse, 10 pays d’Europe centrale et orientale ainsi que le Danemark, dénoncent un projet de nature, selon eux, à limiter la libre-circulation des travailleurs. Ces derniers adressent même un “carton jaune” à la Commission européenne, une procédure prévue par le traité de Lisbonne. Le motif ? Bruxelles ne respecterait pas le principe de subsidiarité en cherchant à réviser et renforcer la directive. Une accusation non fondée pour la Commission européenne, qui décide donc de poursuivre le processus de révision.

Calendrier :

- 16 octobre : vote de la commission Emploi et Affaires sociales du Parlement européen
- 23 octobre : vote des ministres de l’Emploi des Vingt-Huit
- 26 octobre : vote du Parlement européen (si vote positif le 16 octobre)

Le début de dix-huit mois d’âpres discussions entre les Etats membres et au sein du Parlement européen. Ce dernier nomme deux eurodéputées de la commission Emploi et Affaires sociales, la Française Elisabeth Morin-Chartier (LR) et la socialiste néerlandaise Agnes Jongerius, pour rédiger un rapport définissant la position de l’institution sur le sujet.

Une première version de ce rapport a été dévoilée en décembre 2016. Quelque 500 amendements ont ensuite été déposés par les différents groupes politiques du Parlement européen. Aujourd’hui lundi 16 octobre, c’est la version amendée de ce rapport qui est soumise au vote des eurodéputés de la commission Emploi. En cas de soutien par une majorité d’élus européens, un autre vote, cette fois du Parlement européen dans son ensemble, en session plénière à Strasbourg le 26 octobre, aura lieu.

Entre le 16 et 26 octobre, pour ne rien simplifier, les Etats membres, réunis en Conseil des ministres de l’Emploi, se seront également prononcés, le 23 octobre à Bruxelles. En juin dernier, un accord était à portée de main entre les Vingt-Huit, mais Emmanuel Macron s’y est opposé, estimant qu’il n’allait pas assez loin. Au risque de braquer certains pays et d’empêcher tout compromis.

Zone rouge

Nous sommes en zone rouge” , a reconnu Elisabeth Morin-Chartier, lors d’une rencontre avec la presse le 9 octobre à Paris. L’œil vif et le sourire aux lèvres, l’eurodéputée ne laisse rien paraître d’une éventuelle fatigue après de longs mois de discussions à couteaux tirés. Comme galvanisée par l’enjeu et la difficulté, elle affiche sa détermination et se dit prête pour les derniers combats. “J’adore négocier” , lance-t-elle, comme un avertissement. Car même en cas de vote favorable de ses pairs au Parlement européen, une négociation d’un autre genre s’engagera avec les Etats membres. Une phase appelée “trilogue” , à laquelle participera aussi la Commission européenne, et qui doit permettre l’émergence d’un texte unique pour la révision de la directive.

Elisabeth Morin-Chartier (à gauche) et Agnes Jongerius (à droite), co-rapporteure du Parlement européen de la révision de la directive sur les travailleurs détachés - Crédits : Groupe PPE et Parti travailliste néerlandais

Historiquement, le Parlement européen va toujours plus loin que les Etats membres” , explique Mme Morin-Chartier. Dans ce contexte, obtenir une majorité “forte” est crucial, car elle permettrait à l’institution de Strasbourg de “tracter” les gouvernements, ajoute-t-elle. Et il serait fâcheux que le Conseil et le Parlement “se loupent” les 16, 23 et 26 octobre, car les discussions devraient alors reprendre au sein des institutions. Cela repousserait le trilogue de plusieurs semaines, mettant potentiellement en péril la révision effective de la directive avant les élections européennes de 2019. Une échéance qui ne manquerait pas de rebattre les cartes de la politique européenne.

Les dix jours qui viennent, espère Elisabeth Morin-Chartier, pourraient donc être décisifs pour enfin “faire l’Europe des citoyens et de l’égalité entre les entreprises” . Et si l’élue française affiche un relatif optimisme, se félicitant du travail accompli avec sa collègue de gauche, elle se refuse à oser tout pronostic. En effet, sur ce texte, les groupes politiques ne voteront pas “en bloc” et des logiques géographiques vont jouer.

Compromis

Parmi les principaux points de compromis obtenus par les co-rapporteures, figure la “définition de la notion de rémunération” . Il s’agissait de la principale ligne rouge des partisans de la révision : “la feuille de paie doit être la même” à la fois pour les travailleurs nationaux et les travailleurs détachés. L’enjeu est de taille car, en l’état actuel des choses, les travailleurs détachés n’ont pas nécessairement droit aux primes de pénibilité ou de froid et peuvent se voir ponctionner des frais de logement, de transport ou d’alimentation. La révision de la directive devrait y remédier : les Européens de l’Est ont “toussé” , admet Elisabeth Morin-Chartier.

En revanche, les opposants à une révision trop profonde ont obtenu des concessions quant à la durée maximale du détachement. La France particulièrement souhaitait que celle-ci soit limitée à 12 mois, le Parlement européen devrait plutôt s’entendre sur un maximum de 24 mois. C’est un “symbole” , tempère Mme Morin-Chartier, qui rappelle que la durée moyenne du détachement ne s’élève qu’à 44 jours.

Autre aspect où une solution médiane a été trouvée : celui des contrôles. En échange de leur renforcement et de potentielles pénalités importantes, un site internet d’informations devra être créé pour que les entreprises concernées puissent avoir accès à l’ensemble des nouvelles règles.

En définitive, les deux rapporteures du texte soumis au vote des eurodéputés se sont employées à satisfaire les demandes des Etats d’Europe de l’Ouest, soucieux de mettre un terme aux abus suscités par une directive entrée en vigueur avant le grand élargissement de 2004, et à ne pas braquer les Etats entrés plus récemment dans l’UE, inquiets de voir leurs situations économiques se dégrader. En cas de vote favorable, un pas important aura été franchi pour lutter contre “le moins-disant social” , conclut Elisabeth Morin-Chartier. Et même si toutes les demandes de la France et des pays de l’Ouest ne sont pas satisfaites, ils devraient néanmoins se féliciter du résultat.

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