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Pourquoi l’Irlande tient à son taux d’imposition sur les sociétés

Les négociations sur la création d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés ont démarré au début des années 2000. La fiscalité étant une compétence nationale, les propositions pour une harmonisation européenne n’ont pas beaucoup avancé depuis dix ans. Avec le projet d’un nouveau « pacte de compétitivité » pour la zone euro lors du dernier Conseil européen, revient la question de l’engagement des pays européens à créer une base d’évaluation commune pour l’impôt sur les sociétés. Toute l’Europe vous propose deux points de vue, pour ou contre, l’harmonisation fiscale en Europe. Découvrez le face à face entre Danny McCoy, économiste et directeur général de la Fédération des entreprises irlandaises et Sven Giegold, député européen allemand (Verts).

Pourquoi l’Irlande tient à son taux d’imposition sur les sociétés

Pour l’Irlande, être située à la périphérie de l’Europe est un handicap quand il s’agit d’attirer les investissements étrangers et d’offrir une plateforme au service des marchés européens ; aussi notre politique industrielle de ces vingt dernières années a-t-elle, entre autres, joué la carte de la fiscalité des entreprises pour stimuler la croissance économique intérieure et attirer l’investissement extérieur.

L’Irlande, petite économie ouverte et fondée sur les échanges, exporte plus de 80% de sa production de biens et services.
Elle ne peut prendre appui ni sur un grand marché intérieur ni sur les employeurs locaux pour soutenir sa croissance économique. La prospérité, en Irlande plus que dans bien d’autres pays, est tributaire des échanges commerciaux.

Danny McCoy, IBECDanny McCoy est actuellement directeur général de la Fédération des entreprises irlandaises (IBEC) où il a occupé auparavant les fonctions de Directeur des études. Economiste de formation, il a été chargé d’études senior au sein du think tank l’ERSI et économiste à la Banque central d’Irlande. Il a également été directeur du réseau européen de prévision économique qui rassemblait 10 think tanks européens dans le cadre d’un projet de recherche de la Commission européenne.
Les récentes difficultés économiques du pays n’ont fait que renforcer la nécessité pour l’Irlande de rester un marché attractif pour les entreprises. Si elle veut se remettre en selle et maîtriser sa dette publique, l’Irlande doit à la fois augmenter ses revenus et stimuler la croissance.

Le pays − et il est loin d’être le seul en Europe − en connaît désormais un bout sur la nécessité de réduire les dépenses publiques et d’augmenter les recettes pour atteindre les objectifs de déficit de l’UE.
Mais pour que ce soit possible, il lui faut atteindre un taux de croissance d’au moins 2,75 % par an.

La politique d’austérité ne produira de résultats qu’à la condition qu’il soit possible, en parallèle, de soutenir la croissance, or ce soutien, c’est le secteur des entreprises qui en sera la source et qui permettra à l’Irlande de se passer de l’aide de l’UE / du FMI à l’avenir. Il n’est donc pas dans le seul intérêt de l’Irlande d’avoir une stratégie de croissance viable, c’est aussi celui de l’Union européenne dans son ensemble.

Des études récentes de l’OCDE soulignent l’importance d’un faible taux d’imposition des sociétés pour favoriser la croissance. L’impôt sur les sociétés vient en tête du classement des impôts les plus néfastes pour la croissance économique. Autrement dit, les gouvernements en quête de recettes fiscales supplémentaires seraient bien avisés d’envisager une augmentation de tout autre impôt (foncier, valeur ajoutée ou revenu) que l’impôt sur les sociétés. C’est un raisonnement de cet ordre qui a conduit la plupart des pays de l’UE à réduire le taux d’imposition des sociétés ces dernières années.

Des taux d’imposition élevés découragent le travail des individus comme des entreprises. Le capital se nomadise, or l’Irlande est une petite économie ouverte avec une forte concentration d’investissements étrangers dans le secteur privé. Un taux d’imposition plus élevé, parce qu’il pénaliserait la poursuite d’une activité en Irlande, entraînerait un changement d’attitude des entreprises et, dans une économie aussi ouverte, un tel changement aurait tôt fait de se traduire par une réduction des rentrées fiscales.

Une augmentation du taux d’imposition des sociétés n’engendrerait donc aucune recette supplémentaire substantielle, mais pourrait bien plutôt avoir pour effet inverse de déplacer activité économique et recettes fiscales hors d’Irlande. Plus important encore, dans une perspective européenne globale, cette mobilité ne profiterait assurément pas à ses voisins européens tel la France, mais plutôt à des économies plus compétitives d’Asie du Sud-Est et d’ailleurs. L’Europe est en concurrence avec de nombreuses autres économies dynamiques en matière d’investissement et il n’est nul besoin pour une société d’être implantée sur le territoire de l’UE pour desservir les marchés européens. Une imposition plus lourde des sociétés en Irlande serait préjudiciable à l’économie de l’UE et dissuaderait fortement les investisseurs étrangers de choisir l’Europe comme destination de leurs investissements.

La « sécurité » est un maître mot des investisseurs, à plus forte raison en ces temps économiques très imprévisibles. Si l’Irlande devait renoncer à son engagement envers un taux d’imposition des sociétés de 12,5 %, son geste serait perçu comme un changement de politique radical et n’aurait d’autre effet que d’accroître les incertitudes quant à l’orientation à venir de l’économie irlandaise et à son attractivité pour l’investissement étranger. Ce serait là envoyer un message particulièrement négatif aux investisseurs.


Lire le Plaidoyer pour une harmonisation fiscale européenne de Sven Giegold député européen. Il est coordinateur du groupe des Verts/ALE au sein de la commission des affaires économiques et monétaires.


Tout changement du régime d’imposition des sociétés irait à l’encontre des efforts collectifs consentis pour réduire le déficit budgétaire de l’Irlande et redonner à son économie une assise durable ; il n’aurait en outre pas ou peu d’impact sur les autres États membres. Une hausse des taux d’imposition se traduirait par une baisse de revenus pour l’État et rendrait les défis économiques qui se posent au pays et à l’Europe encore plus difficiles à relever.

Les commentaires portant sur le taux d’imposition des sociétés en Irlande font abstraction du fait que d’autres États membres conduisent leur politique fiscale sur des bases très différentes et ils pèchent du coup par leur analyse par trop simpliste et une vision biaisée, qui met à l’avant-plan le taux d’imposition plutôt que les structures de la fiscalité.

Le taux nominal d’imposition des sociétés en Irlande - 12,5 % - est, il est vrai, relativement faible, mais il est le même pour tous à quelques exceptions près. De son côté, la Commission européenne dresse le constat que, contrairement à l’Irlande, de nombreux pays européens présentent des taux effectifs d’imposition des sociétés de loin inférieurs au taux nominal.
Les pays au taux d’imposition le plus élevé prélèvent en général l’impôt sur une assiette bien plus étroite, qui résulte de l’application d’un dispositif dérogatoire complexe. On sait qu’un des principaux attraits de l’Irlande pour les entreprises est la simplicité et la transparence de son régime fiscal.

Dernièrement, l’Irlande a été contrainte de prendre des décisions particulièrement dures, qui affectent et affecteront réellement la qualité de vie des Irlandais et le plan de relance compte des mesures qui portent sur la structure de la fiscalité et le taux de l’impôt.

L’Irlande a bien davantage à offrir aux investisseurs étrangers qu’un taux réduit d’imposition sur les sociétés, mais il n’en est pas moins vrai que, vu son état de petite économie ouverte et à la périphérie de l’Europe, le taux d’imposition demeure un élément essentiel pour attirer les investissements étrangers, créer des emplois et remettre l’économie sur les rails.


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