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Philippe Lamberts : “Nous voulons un calendrier précis et contraignant pour de nouvelles ressources propres”

Dans une interview accordée à Toute l’Europe, l’eurodéputé Philippe Lamberts (Verts/ALE), chef de file des députés européens écologistes et membre de la commission des affaires économiques et monétaires, revient sur l’accord trouvé au Conseil européen du mois de juillet sur le plan de relance et le budget pluriannuel. Le co-président du groupe des Verts se penche sur les arbitrages difficiles que le Parlement européen va devoir opérer.

Philippe Lamberts prend la parole lors de la session plénière du Parlement européen le 23 juillet 2020 - Crédits : Parlement européen / Jevier Bernral Revert
L’eurodéputé Philippe Lamberts (Verts/ALE) prend la parole lors de la session plénière du 23 juillet 2020 consacrée au Plan de relance et au budget pluriannuel - Crédits : Parlement européen / Jevier Bernral Revert

Préparé depuis de longues semaines en coulisses, le Conseil européen qui s’est tenu du 17 au 21 juillet dernier a accouché d’un accord majeur. Après quatre jours et quatre nuits d’âpres discussions, les Vingt-Sept se sont accordés sur un budget pluriannuel de 1074,3 milliards d’euros assorti d’un plan de relance de 750 milliards destiné à faire repartir l’économie européenne frappée par la crise du Covid-19.

Un dialogue intergouvernemental difficile donc, mais qui ne constitue que la première phase vers l’adoption de cette politique économique de relance d’une ampleur sans précédent pour l’Union. Il revient désormais au Parlement européen et au Conseil de l’UE de valider le montant et l’architecture du budget 2021-2027. Or, les eurodéputés, réunis en session plénière jeudi 23 juillet, ont voté une résolution hostile à ce cadre financier, affirmant être “prêts à refuser de donner leur approbation” .

Figure du Parlement européen où il siège depuis onze ans, le député européen belge Philippe Lamberts (Verts/ALE), co-président de son groupe qui compte soixante-huit parlementaires et membre de la commission des affaires économiques et monétaire (ECON), évoque pour Toute l’Europe les enjeux des négociations à venir entre les institutions européennes et dénonce les manquements écologiques de la relance économique européenne sous sa forme actuelle.

Philippe Lamberts (Greens-AFE)A 57 ans, Philippe Lamberts honore son troisième mandat de député européen au sein du groupe écologiste du Parlement européen Verts/ALE. Cet élu belge assure également les fonctions de co-président de son groupe parlementaire aux côtés de Ska Keller, comme lors de la législature précédente, et siège à la commission des affaires économiques et monétaires (ECON).

Toute l’Europe : Trois jours après l’accord trouvé au Conseil européen et au lendemain de la session plénière du Parlement [l’entretien a été réalisé le 24 juillet], quel regard portez-vous sur la réponse européenne à la crise actuelle ?

Le verre est à la fois à moitié plein et à moitié vide. Sur le plan géopolitique, si l’Union européenne était incapable de se mettre d’accord dans des circonstances pareilles, Trump, Xi Jin Ping, Poutine et Erdoğan se seraient frottés les mains face à une telle désunion européenne. Donc de ce point de vue-là, c’est déjà une réussite. Le fait qu’on mutualise la dette pour la première fois dans un tel volume est également un succès. Bien sûr, il ne il faut pas exagérer sa portée : 750 milliards, ce n’est pas non plus à tomber à la renverse, c’est 0,7% du PIB européen pendant 3 ans. Mais politiquement, un très gros tabou a sauté.

C’était pour le verre à moitié plein. Maintenant, en quoi peut-on le voir à moitié vide ?

Parce qu’il reste maintenant à savoir comment on va rembourser cet emprunt européen. On a évoqué la mise en place d’impôts européens mais il n’y a eu absolument aucun accord là-dessus [hormis la mise en place d’une taxe sur le plastique qui devrait être effective au 1er janvier 2021]. Or, si nous n’arrivons pas à se mettre d’accord sur ce point, les seuls moyens pour rembourser seront alors d’augmenter les contributions des Etats membres ou de faire des coupes drastiques dans le budget ordinaire.

“Dans le meilleur des cas, cet accord pourrait mener à un prototype d’union budgétaire”

Ce deuxième scénario créerait inévitablement des divisions extrêmement profondes au sein de l’UE, ce qui pourrait lui être fatal. Pour résumer, dans le meilleur des cas, cet accord pourrait mener à un prototype d’union budgétaire avec des taxes communes sur les multinationales du numérique par exemple. Cela ouvrirait la porte à une union budgétaire plus permanente, mais on en est loin. Il ne faut pas la proclamer, ce sont les historiens qui diront si cet accord est “historique” ou non.

Le Conseil européen a validé le principe d’impôts européens en soutenant la mise en place de nouvelles ressources propres. Lesquelles vous semblent prioritaires ?

En tant que parlementaires, nous souhaitons des ressources propres constituées sur une partie de l’impôt sur les sociétés et tout particulièrement sur les multinationales, qui profitent le plus du marché intérieur et de la concurrence fiscale que se livrent les Etats membres. Deuxièmement, nous voulons également des impôts sur les pollueurs. La taxe plastique est un petit exemple, mais c’est évident que si on étendait le système européen de droit d’émissions à l’aéronautique à l’automobile par exemple, cela ferait de nouvelles rentrées d’argent à affecter au budget européen et au remboursement de l’emprunt. Enfin, nous appelons à la mise en place d’une taxe carbone aux frontières qui, bien que difficile à appliquer concrètement, aurait du sens intellectuellement.

Comment le Parlement peut-il peser dans les négociations à venir ?

Le Parlement dispose d’un levier essentiel : le consentement au budget pluriannuel. C’est une guillotine qu’il peut utiliser, mais dans un temps réduit car nous devons nous accorder sur le budget avant la fin de l’année. Or, il est évident qu’un accord sur de nouvelles ressources propres va prendre du temps. Il est donc insensé de croire qu’on va arriver d’ici là à un accord sur la mise en place de ces nouvelles ressources propres, que ce soit la taxe GAFA ou carbone. Ce que l’on veut donc obtenir, c’est un engagement formel sur un calendrier précis et contraignant de mise en place de ces ressources propres. C’est ce que nous demandons, car pour l’instant l’ébauche de ce calendrier est insuffisante.

“Les pays frugaux ont réussi à donner des accents rétrogrades au plan de relance”

Pourquoi cette question des ressources propres est-elle aussi chère au Parlement européen en général et aux écologistes en particulier ?

Outre le remboursement de l’emprunt européen, l’objectif à terme doit être d’affranchir le budget européen des contributions nationales. Nous voulons sortir de ce débat récurrent au cours duquel les Etats membres s’écharpent sur leurs contributions tous les sept ans. Imaginez un peu que le budget fédéral américain doive être décidé sur la base des contributions des cinquante Etats. Si tel était le cas, les Etats-Unis seraient un nain géopolitique. C’est la situation de l’Union européenne aujourd’hui.

Finalement, ce que vous semblez demander, c’est d’aller vers plus de fédéralisme…

En tout cas, ce que je déplore dans l’accord qui a été trouvé au Conseil européen, c’est que l’on assiste à une renationalisation des politiques européennes. Il est particulièrement énervant de constater que toutes les coupes qui ont été faites dans le volet subventions du plan de relance et dans le budget européen portent sur les projets les plus transnationaux. On le voit avec l’architecture générale du plan de relance : le gros des fonds sera consacré à des projets nationaux. On aurait pu privilégier une autre approche et se dire par exemple qu’on allait financer ensemble un projet de réseau de train de nuit entre les capitales européennes. Ça c’est un vrai projet européen.

Quels secteurs sont concernés par ces coups de rabots ?

Les pays frugaux ont réussi à donner des accents rétrogrades au plan de relance. Ils ont amputé - raboté serait trop faible - les politiques les plus sociales et écologistes du budget européen et du plan de relance : les fonds européens de recherche, Erasmus, les politiques d’aide à l’insertion des jeunes. Un autre exemple parlant, c’est la PAC, qui à l’origine n’est pas du tout une politique verte. Ils ont malgré tout réussi à amputer de moitié le budget alloué au fonds de développement rural, l’un des seuls programmes en la matière qui est orienté vers la transition écologique !

“Il va y avoir une bataille législative autour des textes qui vont régir les programmes européens - y compris sur le plan de relance, parce que là-dessus le Parlement est co-décideur”

Est-ce compatible avec la politique générale de la Commission européenne et le Green deal ?

La question est : quel sens voulons-nous donner à ce Pacte vert ? Quand les Vingt-Sept s’arrêtent sur le principe selon lequel 30% des dépenses européennes doivent servir à lutter contre le changement climatique, on est en droit de se demander : quid des 70% restants ? Si vous consacrez 30% à la lutte contre le réchauffement mais si les 70% restants l’aggravent, vous ne faites que retarder l’échéance. Il faut donc surtout que le reste du budget n’aggrave pas la situation. Ce principe lui-même doit être ajusté. Passer d’une centrale au charbon à une centrale au gaz rentre-t-il dans ce cadre ? Pour nous écologistes, non, mais pour d’autres, oui.

Il va y avoir une bataille législative autour des textes qui vont régir les programmes européens - y compris sur le plan de relance, parce là-dessus le Parlement est co-décideur. Nous nous battrons pour que les critères soient suffisamment stricts et éviter le greenwashing. La bonne nouvelle, c’est que le Parlement européen partage ces critiques. Un bras-de-fer devrait donc s’engager à l’automne. Nous ne disposons pas de beaucoup de temps, il faudra utiliser ce levier à bon escient.

Groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE)

Ce n’est qu’en 1984 que les Verts ont commencé à coordonner leurs efforts au niveau européen. En juillet 1999, ils ont rejoint l’Alliance libre européenne (ALE), qui regroupe notamment des partis militant pour le droit des régions à l’autodétermination. Ils ont donné naissance à un nouveau groupe politique : les Verts/ALE. Depuis mai 2019, ce groupe comprend 68 eurodéputés, une forte progression par rapport à la législature 2014-2019.

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