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Ophélie Latil : “L’Europe ne parvient pas à intégrer les jeunes générations”

A l’approche du lancement officiel en France de l’Année européenne de la pauvreté, Touteleurope.fr a rencontré Ophélie Latil, membre du collectif Génération Précaire qui oeuvre en faveur d’un meilleur statut des stagiaires en France. Celle-ci revient sur la précarité des stagiaires dans plusieurs pays de l’Union européenne, et dénonce la particularité française d’une réelle institutionnalisation du stage.Â

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Touteleurope.fr : Pourquoi qualifiez-vous de précaire la situation des stagiaires en France ?

L’association Génération Précaire a été créée en 2005 pour demander un statut et une reconnaissance du stagiaire en France. Habillés de masques blancs lors des manifestations, ses membres ont progressivement obtenu une gratification des stages de plus de deux mois à partir du premier jour , dans les entreprises puis dans la fonction publique d’Etat, mais également la limitation des stages en fin de cursus universitaire. Le collectif milite aujourd’hui en particulier pour une reconnaissance des stagiaires expatriés.
Ophélie Latil : Aujourd’hui, un stagiaire peut effectuer le même travail qu’un salarié, tout en étant “gratifié” (on ne dit pas “payé”) de 0 à 398 euros par mois. Avec la crise, le stagiaire est devenu une véritable variable d’ajustement : on a vu énormément d’emplois se détruire pour être remplacés par des stages.

Il y a du travail mais il n’y a plus d’emploi : les services “juniors” (les personnes les moins qualifiées) sont remplacés par des stagiaires, qui montent en grade au fur et à mesure pour devenir “stagiaires seniors” … avec la même indemnité de 400 euros. Certaines entreprises ont remplacé plus de 50% de leur masse salariale par des stagiaires.

Le stagiaire n’a pas de droits : il ne peut pas prendre de congés, il ne cotise pas pour sa retraite et il ne peut pas se loger avec 400 euros par mois. Il n’est pas même comptabilisé dans l’entreprise : le stagiaire n’existe pas, alors qu’il se lève le matin pour aller travailler comme les employés.

Touteleurope.fr : La situation des stagiaires est-elle la même ailleurs en Europe ?

A l’initiative de Génération Précaire, le mouvement “Génération P” coordonne les politiques de la précarité en Europe (Angleterre, Italie, Allemagne, Belgique, Espagne), qui concerne le stage mais aussi l’emploi des jeunes diplômés.
O.L. : L’Allemagne a le système du “Praktikum” , un stage d’observation en entreprise. En Angleterre les jeunes ont une rémunération et sont intégrés dans l’entreprise à la fin de leur stage, afin de savoir quel service correspond le mieux au jeune. Il n’y a qu’en France que ce travail non rémunéré est considéré comme légitime.

De plus, on pratique en France un système de “dumping social” . Le régime du stage n’existant pas dans d’autres pays (en Scandinavie, à Malte ou en Pologne), beaucoup d’entreprises françaises créent leur entreprise sur place et font venir de France toute une main d’œuvre de stagiaires soumis au droit local, et qui ne sont donc absolument pas rémunérés.

Dans les pays scandinaves, les jeunes ont accès à un emploi (précaire, mal payé mais c’est un emploi) dès la fin de leurs études. L’idée même que l’on puisse demander, là-bas, à un jeune de créer de la richesse sans être payé est impensable. De la même manière, les jeunes se retrouvent au chômage en Angleterre ou au travail comme les autres. Pour s’insérer dans la société, on commence par un travail quel qu’il soit, même mal payé. Dans un vrai travail on se rend compte qu’on crée, qu’on contribue à créer de la richesse dans l’entreprise : du coup il y a un échange. Ce principe de l’équivalence en entreprise n’est pas forcément quelque chose d’assumé en France.

Touteleurope.fr : Comment se pose le débat dans ces pays ?

O.L. : Certains pays, qui n’ont pas de vision à long terme, ont du mal à intégrer les jeunes générations. Le problème commence à se poser dans les pays du Nord comme en Allemagne, mais il est accru dans les pays du Sud comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne, qui ne parviennent pas à “récupérer” leur jeunesse et la voient comme une masse informe sans éducation, sans possibilité d’autonomie.

Or cette autonomie, ils ne la donnent pas ! Les jeunes sont contraints, faute d’un salaire suffisant, de rester chez leurs parents. Ils grandissent un peu trop tard, et la seule solution pour eux c’est l’exil.

Touteleurope.fr : A l’heure de la crise, le recours à des stagiaires n’est-il pas un moindre mal ?

O.L. : Nous avons vu beaucoup de représentants d’entreprises, des partenaires sociaux, qui nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas rémunérer des employés à cause de la crise. Nous leur avons répondu que ce n’est pas à cause de la crise qu’on n’a plus besoin d’un logement et de manger 3 fois par jour. Le stage devient une “bonne excuse” . Certaines entreprises licencient et embauchent des stagiaires à la place.

Touteleurope.fr : 2011 sera l’année européenne du volontariat. Etes-vous opposée à toute forme de travail non rémunéré ?

O.L. : A Génération Précaire, nous sommes tous bénévoles ! Evidemment, le bénévolat, c’est s’engager pour un projet qui nous semble important, pour une cause qui nous paraît juste. Nous sommes les premiers à dire que le bénévolat est une bonne chose. Après, lorsqu’il se répand au détriment d’autres formes de travail qui permettent d’accéder à une autre forme d’autonomie, cela devient problématique.

En savoir plus :

Site internet de Génération Précaire

Site internet de Génération P

L’année européenne de la pauvreté - Touteleurope.fr

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