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Noëlle Lenoir : “La stratégie Europe 2020 ouvre des pistes vers un nouveau modèle de croissance”

Vendredi 10 septembre est organisée au Palais d’Iéna une grande conférence intitulée “Europe 2020 et la France : au-delà de la crise, préparer l’avenir”, avec notamment Michel Barnier, Commissaire européen au Marché intérieur et aux Services. Noëlle Lenoir, présidente de l’Institut de l’Europe d’HEC et du Cercle des Européens, et ancienne ministre des Affaires européennes, revient pour nous sur les enjeux de la stratégie Europe 2020.

Touteleurope.eu : En quoi la France a-t-elle besoin que l’Union européenne se dote d’une telle stratégie ambitieuse pour l’horizon 2020 ?

Noëlle Lenoir : La France n’est pas le seul pays à avoir besoin d’une stratégie ambitieuse pour l’Europe. Tous les Etats membres ont intérêt à ce que l’Union européenne pousse à des réformes qui permettront un rebond. L’Europe doit en finir avec la croissance molle et surtout, il lui faut remédier au chômage. Avec une moyenne de 10% de chômeurs depuis de trop longues années, taux encore accentué par la crise, l’Europe encourt un risque politique considérable. On le voit avec la montée des xénophobies qui fait des immigrés des cibles trop faciles, au sein même de l’Europe. Souvenez-vous des slogans des partisans du non durant la campagne référendaire en France sur le traité constitutionnel en 2005. Selon eux, en votant pour le traité constitutionnel, les Français allaient ouvrir la porte à une horde de “plombiers polonais” qui devaient déferler sur la France ! Voyez aujourd’hui le score des partis d’extrême-droite dans un nombre grandissant de pays européens. Voyez de même le durcissement des politiques d’immigration qui risquent de désigner les étrangers comme les responsables de nos défaillances économiques !

Tout cela est dangereux. Il est impératif que l’Europe - dont la France en particulier - reprenne le chemin d’une croissance forte et partagée. Cela évitera certaines dérives politiques liées à la tentation de reporter sur l’autre la responsabilité de nos difficultés économiques. Cela évitera peut-être aussi aux Français d’avoir une vision par trop négative de la mondialisation.

La stratégie Europe 2020, en promouvant des réformes structurelles coordonnées dans les Etats membres, ouvre des pistes vers un nouveau modèle de croissance. Ces réformes sont indispensables dans notre pays, car nous avons pris du retard par rapport notamment aux pays nordiques ou à l’Allemagne. Il n’est pas normal par exemple que 25% de jeunes de 19 à 24 ans soient sans emploi contre 21% en moyenne en Europe, ce qui est déjà un pourcentage considérable. Nous avons aussi du mal à valoriser notre secteur des PME qui est pourtant le plus porteur d’emplois et d’innovation. Je ne m’explique pas que les PME aient tant de mal en France à trouver les financements nécessaires à leur développement en particulier à l’international. Enfin, si les Français sont un peuple imaginatif, ils doivent mieux savoir opérer les transferts de technologie nécessaires à la rentabilisation de l’ingéniosité de nos chercheurs.

La France a d’abord été et demeure une terre agricole, elle se veut aussi un grand pays industriel. Nous ambitionnons enfin de dynamiser la place financière de Paris. Le spectre de la désindustrialisation nous hante cependant plus que d’autres pays. Comme l’ont confirmé les Etats Généraux de l’Industrie l’an dernier, la position de l’industrie française recule du fait notamment de l’insuffisance de l’investissement et de l’innovation. Par voie de conséquence, les exportations fléchissent. Il n’y a toutefois pas de fatalité. L’Allemagne a su dynamiser son industrie et est aujourd’hui le premier exportateur mondial notamment de machines outils.

L’expression de “politique industrielle” n’est plus taboue en Europe. Le fait qu’elle soit partie intégrante de la stratégie Europe 2020 est une bonne nouvelle et correspond aux aspirations de notre pays. Si Europe 2020 pouvait nous aider à satisfaire cette aspiration, nous y gagnerions beaucoup.

Touteleurope.eu : Comment jugez-vous la nouvelle stratégie EU 2020 ? Est-elle trop focalisée sur la croissance économique ?

Noëlle Lenoir : Je trouve très positif que cette stratégie soit focalisée sur la croissance économique, mais aussi sur le social (avec l’engagement de lutter contre la pauvreté). Je ne suis pas partisane en effet de la croissance zéro. Au contraire, comme je l’ai évoqué l’instant, il me semble que croissance et emploi doivent être au rendez-vous si l’on veut éviter les dérives politiques auxquelles on assiste aujourd’hui. En outre la croissance économique, source d’indépendance économique, est la clé de notre indépendance politique. Et donc de la préservation de nos valeurs démocratiques.

Le léger reproche que je ferai à la stratégie Europe 2020 est que sa présentation est bien trop technocratique. Cela la rend peu accessible aux citoyens qui en seront pourtant les acteurs. Il lui faudrait du souffle si l’on veut qu’elle représente pour chaque responsable européen une “ardente obligation” au sens gaullien du terme.

D’une autre côté, la méthode utilisée pour le suivi de sa mise en œuvre semble devoir être plus efficace que celle concernant la stratégie de Lisbonne. La Commission fera des rapports sur les pays et émettra des recommandations, voire des avertissements politiques, en direction de ceux qui ne respecteraient manifestement pas les engagements pris par eux. Je persiste à penser que sans gouvernance économique européenne, néanmoins, cette méthode sera encore de peu d’effets.

Touteleurope.eu : En tant qu’ancienne Ministre déléguée aux Affaires européennes, quel regard portez-vous sur l’action de la Commission dans le cadre de cette stratégie pour 2020 ?

Noëlle Lenoir : La Commission a publié sa Communication en mars 2010 et en a fait avaliser les grandes lignes par le Conseil européen. Il faut saluer le travail qu’elle a accompli à cet égard. Elle sera en outre chargée à titre principal de suivre la mise en œuvre des actions prévues au titre de cette stratégie. Toutefois, il faut être réaliste, dans une Europe élargie, il n’est pas toujours facile pour la Commission de jouer son rôle d’entraînement. Elle doit beaucoup plus composer avec des Etats dont les intérêts sont divergents. Elle doit aussi tenir compte de la montée en puissance du Parlement européen qui veut légitimement avoir un droit de regard. De plus et en tout état de cause, les Etats garderont la main sur la plupart des réformes à engager au titre de Europe 2020 dès lors que nombre d’entre elles relèvent des compétences nationales.

L’équilibre institutionnel a donc changé. Pour autant, l’Europe doit avoir une Commission robuste. Si celle-ci ne peut pas suppléer la volonté des Etats membres, elle doit rester un moteur pour l’action. A cet effet, elle devrait se libérer de certaines contraintes bureaucratiques. Du fait de ces contraintes, elle fait, je trouve, parfois montre d’une excessive rigidité vis-à-vis par exemple des entreprises ou des chercheurs à l’encontre desquels elle sévit. Si elle s’enfermait dans une telle attitude, elle risquerait de s’éloigner du terrain. Elle sait bien qu’au contraire, elle doit être plus que jamais à l’écoute de tous - Etats, entreprises, chercheurs, étudiants et de manière générale citoyens de l’Europe - pour pouvoir faire la synthèse des besoins et aspirations des uns et des autres et garder sa force de proposition constructive.

Touteleurope.eu : Pourquoi HEC a-t-elle choisi de participer à l’organisation de cette conférence “Europe 2020 et la France” ?

logo de HECNoëlle Lenoir : Ce n’est pas HEC qui a choisi de co-organiser cette conférence avec la Commission, mais la Commission qui a choisi l’Institut de l’Europe comme partenaire pour ce faire. Nous sommes très fiers d’avoir ainsi été sélectionnés pour co-piloter cette manifestation.

Rappelons-nous que c’est sous l’égide de l’Institut de l’Europe que les étudiants d’HEC Débats avaient animé à Jouy en Josas le 8 décembre 2006 une “Rencontre sur l’Europe” au cours de laquelle le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait donné une conférence devant plusieurs centaines d’étudiants avant de recevoir le diplôme HEC d’honneur. Il avait répondu aux feux des questions devant un auditoire, je dois dire, conquis par son sens de la répartie et la force de ses convictions européennes.

Il est logique qu’HEC soit ainsi impliquée dans le débat français sur Europe 2020. Comme école de commerce, elle est le lieu privilégié des discussions autour de la croissance et de la compétitivité. Par ailleurs, HEC est tournée vers l’internationale. Elle accueille en formation des étudiants ainsi que des femmes et des hommes déjà entrés dans la vie professionnelle, provenant de tous les continents. Or la problématique de la compétitivité de l’Europe n’est pas détachable de celle de la mondialisation. J’ajoute qu’HEC se singularise par son engagement européen à travers la création en 2004 de l’Institut de l’Europe que je préside. Il permet un dialogue entre l’Europe et le reste du monde. J’ai ainsi l’occasion de parler d’Europe lors des conférences que je donne à HEC à des chefs d’entreprise chinois venant en France dans le cadre de modules de formation organisés par l’Ecole. Or les débats du colloque du 10 septembre évoqueront certainement la montée en puissance de la Chine comme un des principaux facteurs de transformation de l’économie européenne.

En savoir plus :

lire l’interview de Jacques Dermagne, président du Conseil économique, social et environnemental à propos de cette conférence.

lire l’interview de Anne Houtman, de la Représentation en France de la Commission européenne, à propos de cette conférence.

présentation de la conférence sur le site de la représentation en France de la Commission européenne

le site de l’Institut de l’Europe de HEC

le site du Cercle des Européens

Europe 2020 : une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive - Touteleurope.eu

présentation de la stratégie Europe 2020 - site de la Commission

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