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Nicolas Véron : “L’Espagne peut s’en sortir sans l’aide européenne”

Alors que le Portugal a finalement fait appel à l’aide financière de l’Europe et du FMI, rejoignant en cela la Grèce et l’Irlande, les regards se tournent vers l’Espagne, dont la situation reste préoccupante mais qui semble bien résister pour l’instant. Sera-t-elle la prochaine ? Où en sont les autres Etats, et comment se porte aujourd’hui l’Europe ? Pour Toute l’Europe, Nicolas Véron fait le point sur la situation économique au sein de la zone euro.

Toute l’Europe : Comment se fait-il que le Portugal n’ait fait appel à l’aide européenne que la semaine passée alors que ses difficultés sont connues et mises en avant depuis plus d’un an ?

Nicolas Véron : Il est naturel que les pays qui ont des difficultés financières explorent toutes les autres options avant d’avoir recours à l’assistance de l’Union européenne et du FMI. En effet, cette assistance n’est pas gratuite : elle vient avec des conditions, qui sont dures autant sur le plan économique que sur le plan politique. Economiquement puisqu’il s’agit de mesures d’austérité et de restructuration qui ne sont jamais faciles à adopter pour un gouvernement. Politiquement surtout parce que ces mesures sont imposées de l’extérieur, pas par l’électorat mais par l’Union européenne, les autres pays de la zone euro et le FMI, ce qui correspond à un abandon partiel de souveraineté. Il n’est pas surprenant que tous les pays - ça a été le cas de la Grèce, de l’Irlande, et plus récemment du Portugal - aient essayé de résoudre leur situation sans avoir recours à cette aide extérieure.

Pour autant, le gouvernement portugais a fini par conclure que cet appel à l’assistance extérieure était indispensable et dans l’intérêt du pays. Le processus de décision a été plus long que ce qui aurait été souhaitable d’un point de vue économique, mais cela n’est pas surprenant, dans la mesure où c’était une décision difficile à prendre.


Toute l’Europe : Qu’en est-il de l’Espagne ? Herman Van Rompuy a déclaré hier que la crise de la dette devrait épargner l’Espagne, et les spreads espagnols, l’écart entre les taux d’intérêts de la dette espagnole et de la dette allemande, ont diminué…

Nicolas Véron est co-fondateur du centre de recherche économique européen Bruegel, au sein duquel il est chercheur spécialisé sur les marchés financiers.


N.V. :
Il est difficile de faire des prédictions dans ce domaine. Rappelons-nous qu’il y a un an, le consensus général était que la position de l’Irlande était suffisamment forte pour lui éviter de faire appel à l’aide européenne.

L’Espagne n’est certainement pas tirée d’affaire. Elle a beaucoup d’efforts à mener avant de se considérer comme tel. Elle reste sous pression des marchés même si comme vous l’avez dit les taux d’intérêts auquel elle est soumise se sont adoucis récemment. Elle n’a pas achevé pour l’instant la masse critique de réformes suffisant à la tirer d’affaire. Cela vaut pour l’ensemble des réformes qu’elle a commencé à engager, en particulier la réforme du marché du travail, ainsi que la restructuration du système financier dans le contexte d’une grave crise foncière et immobilière.

Mais malgré les nombreuses incertitudes sur l’Espagne, elle n’est pas dans la même catégorie que le Portugal. Ce n’est pas le “prochain domino” de manière immédiate ou de manière non équivoque. Il est tout à fait possible qu’elle s’en sorte sans avoir besoin de l’assistance de ses voisins et du FMI. Simplement, je crois qu’aujourd’hui il est trop tôt pour avoir des certitudes sur ce point.


Toute l’Europe : Quelle est sa situation économique aujourd’hui ?

N. V. : Les derniers développements, notamment depuis le début de l’année 2011, sont encourageants. Il y a une véritable volonté de réforme du gouvernement. D’un point de vue politique le premier ministre Zapatero a compris que sa place dans l’Histoire et ce qui resterait de son gouvernement serait très fortement lié à sa capacité à résoudre cette crise et à faire en sorte que l’Espagne s’en sorte sans assistance extérieure. Ces efforts du gouvernement aujourd’hui ne sont pas seulement des efforts d’arrière-garde mais au contraire cherchent à appréhender les problèmes de manière structurelle et à apporter des solutions qui puissent tenir dans le moyen terme. Ca, c’est très positif. Pour autant, la crise immobilière et foncière en Espagne est très dure. Le chômage reste très élevé. Il y a beaucoup de défis à relever.


Toute l’Europe : Y a-t-il aujourd’hui d’autres “dominos” , ou en tous cas identifiés comme tels par les marchés ou les autres Etats ? Quel est l’état de santé de l’économie européenne ?

N. V. : Il n’y a pas d’inquiétude très immédiate. Les investisseurs sur les marchés ne s’attendent pas à ce qu’il y ait une crise majeure, du type de ce que l’on a connu sur la Grèce, l’Irlande et le Portugal, dans les prochaines semaines. Mais on n’est pas non plus en phase de sortie de crise : il reste trop d’incertitudes pour ça. C’est une phase relativement calme dans une séquence qui reste très volatile.

L’environnement international évidemment comptera beaucoup. Ce qui se passe en ce moment sur les marchés des matières premières par exemple n’est pas positif : la hausse des prix du pétrole n’est pas une bonne nouvelle pour l’économie européenne.

En ce qui concerne ce qui se passe à l’intérieur de l’UE et notamment de la zone euro, un élément clé est la restructuration du système bancaire : nous sommes engagés dans ce que le jargon financier désigne sous l’expression de “stress tests” , un examen des bilans des principales banques dont les résultats seront publiés en juin. Ces tests constituent une étape potentiellement importante - potentiellement seulement, parce qu’on a vu l’an dernier que ce type de processus pouvait s’avérer au final décevant lorsque les autorités conduisant les stress tests n’étaient pas dotées de suffisamment de pouvoirs pour les rendre crédibles. Il y a indications plus positives cette année, qui laissent espérer qu’on pourra faire revenir la confiance sur les marchés de financement des banques, mais tout cela reste à confirmer et nous n’y verrons plus clair qu’à l’été. C’est un processus important, puisque le mauvais état du système financier européen a été un facteur clé de toutes les étapes récentes de la crise, y compris ce qui s’est passé en Grèce, en Irlande et au Portugal.

L’autre élément est évidemment la réforme institutionnelle avec la mise en œuvre de ce qui a été esquissé au sommet du mois dernier et plus généralement la réforme des institutions de la zone euro pour mieux les préparer à des crises futures. Là-dessus je crois que le problème est avant tout de nature politique comme on le voit dans un certain nombre de pays - Allemagne, Pays-Bas, Finlande notamment, qui ont fait l’objet de nombreux commentaires : y sont apparus des dynamiques populistes assez hostiles à l’intégration européenne sous des formes qui n’existaient pas auparavant. Le problème est que les pays de la zone euro ont fait le choix d’une solidarité budgétaire beaucoup plus forte que tout ce qui existait auparavant, mais que cette solidarité budgétaire ne s’effectue pas dans le cadre d’institutions politiques véritablement représentatives. Naturellement le point extrême dans ce domaine concerne les pays qui reçoivent de l’assistance, qui sont bénéficiaires de la solidarité mais qui également doivent renoncer à une part non négligeable de leur souveraineté économique. Ca va rester une source de tension je pense pour un bon moment.

Au-delà de ça, naturellement il y a un problème de croissance en Europe. Au bout du compte il faudra de la croissance pour sortir de l’actuelle crise financière, économique, et aussi sociale et politique. La question de la croissance en Europe est absolument centrale, bien qu’elle soit peut-être moins immédiate, moins brûlante que celle de la stabilité financière. Or aujourd’hui, les perspectives de croissance en Europe ne sont pas suffisantes pour faire revenir les dettes publiques à des niveaux acceptables.


Toute l’Europe : Que penser des pays qui restent hors de la zone euro ?

N.V. : Certains pays ne font pas partie de la zone euro mais y sont néanmoins très intégrés économiquement et financièrement. Le principal centre financier de l’Union européenne pour les pays de la zone euro est à Londres, c’est-à-dire dans un pays qui fait partie de l’UE mais pas de la zone euro.

Ces interdépendances financières et économiques sont aussi d’une certaine manière des interdépendances politiques parce que je crois que si à un moment il s’agira d’avoir une approche un peu plus ambitieuse que ce que l’on fait aujourd’hui en termes de correction du déficit démocratique et d’évolution des institutions de l’UE pour les rendre un peu plus représentatives - et personnellement je pense que ce moment viendra -, pour rendre un peu moins fort le décalage entre les abandons de la souveraineté économique et la solidarité financière et le caractère actuel finalement très peu représentatif et démocratique au niveau de l’UE, à ce moment-là il faudra une participation du Royaume Uni, qui pour l’instant est en dehors de toutes les discussions financières au sein de la zone euro. Cette question du Royaume Uni reste une question pour l’avenir extrêmement importante et l’un des grands points d’interrogation sur les prochaines étapes du processus de transformation.


Toute l’Europe : S’agit-il d’une Europe à deux vitesses ?

N.V. : Je n’en suis pas convaincu. Les institutions à la fois juridiques et politiques sont au niveau de l’UE et pas de la zone euro. Il n’y a pas de Parlement ou de Cour de justice de la zone euro. On a ce problème de représentativité qui je crois est l’une des dimensions centrales de la discussion actuelle même si ce n’est pas la plus médiatique.

Maintenant, que va-t-il se passer ? Je n’en sais rien, mais je ne pense pas que l’on assiste à la naissance d’une Europe à deux vitesses. Hormis le Royaume-Uni, d’autres pays comme le Danemark, la Suède ou la Pologne ont clairement indiqué souhaiter faire partie de la discussion au sein de la zone euro.

On a plutôt aujourd’hui quelque chose qui ressemble à une exception britannique. A mon avis, il serait souhaitable d’avoir beaucoup plus de discussion de ces enjeux à Londres et dans les médias anglais, aujourd’hui il y a une espèce de rideau de fumée qui donne l’impression à l’opinion publique britannique que leur pays n’est pas concerné par ce qu’il se passe sur le continent. Mais je pense que c’est une situation temporaire.


Toute l’Europe : Que pensez-vous de la décision de la BCE d’augmenter son principal taux directeur, pour la première fois depuis deux ans ? Quel impact cela aura-t-il ?

N.V. : Il y a des pressions inflationnistes en Europe, particulièrement en Allemagne et aussi un peu ailleurs. Il n’est pas absurde que la BCE y réponde par une augmentation des taux : c’est dans son mandat.

Il y a aussi d’autres dimensions dans cette décision, y compris des dimensions politiques comme celle de signaler que la BCE tient en haute considération la lutte contre l’inflation qui est un élément traditionnel du débat politique domestique allemand. La grande question n’est pas tellement celle de la remontée des taux annoncée la semaine dernière, c’est plutôt celle des prochaines étapes. Pour l’instant, les taux ont monté de 25 points de base (0,25%), ce qui n’est pas suffisant pour avoir en tant que tel un effet économique significatif. Mais est-ce le début d’un cycle de remontée des taux, et si oui, à quel rythme, et jusqu’à quel niveau ?

Là-dessus la BCE pour l’instant est prudente. Elle a signalé qu’il pourrait y avoir d’autres augmentations de ses taux mais elle s’est donné une assez grande marge de manœuvre. Quant à savoir à quelle échéance et jusqu’à quel point, je serais assez prudent quant à l’interprétation. La BCE cherche à conforter sa réputation de prudence vis-à-vis des enjeux d’inflation, ce qui est naturel. Mais tout en restant attentive à la fragilité des pays de la périphérie, qui sont les plus susceptible de souffrir d’une remontée rapide des taux.

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