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Michel Aujean : “L’impôt européen ne verra le jour qu’avec le soutien des piliers français et allemand”

Ancien directeur des analyses et politiques fiscales à la Commission européenne, Michel Aujean est associé au sein du cabinet d’avocats TAJ en charge du pôle Prospective fiscale et stratégie d’entreprise. A l’occasion d’un débat organisé par la Représentation de la Commission européenne à Paris le 13 septembre dernier, il revient notamment sur la création d’un impôt européen sur les sociétés et l’avenir de la politique fiscale européenne.

Touteleurope.eu : Pourquoi est-il urgent de se diriger vers un impôt commun sur les groupes de sociétés ?

Michel Aujean : Depuis déjà un certain temps, les entreprises se plaignent de subir des coûts extrêmement élevés en raison de la coexistence de 27 systèmes fiscaux différents. Elles doivent ainsi entretenir des directions fiscales dans chacun des Etats membres où elles sont établies, s’informer et se maintenir prêtes à réagir aux nouvelles évolutions des législations européennes. De plus, leurs obligations diffèrent d’un Etat à l’autre.

Plusieurs études ont été menées pour connaître les coûts entraînés par cette absence d’harmonisation. Ce n’est pas un domaine dans lequel il y a une grande transparence et les résultats sont très variables d’une étude à l’autre. Selon une évaluation de la Commission européenne, les coûts administratifs des grandes entreprises représenteraient environ 2 à 2,5 % de l’impôt payé. Pour les petites entreprises, ils seraient de 30%.

Globalement, deux aspects pénalisent les entreprises en Europe : les prix de transfert et l’absence de compensation des pertes.

La Représentation de la Commission européenne à Paris a accueilli, le 13 septembre 2011, un débat sur le thème de “L’impôt européen sur les sociétés” à l’occasion de la publication d’une étude réalisée par le Cercle des Européens en coopération avec l’Institut de l’Europe d’HEC. Cette étude passe en revue les systèmes d’impôt sur les sociétés existant dans chacun des 27 Etats membres de l’UE et propose la mise en place d’un impôt européen sur les sociétés.


Les prix de transfert sont ceux que les entreprises associées s’efforcent de respecter dans leurs transactions pour des raisons purement fiscales, puisque les prix sont utilisés pour établir la part des profits qui revient à chacune des entreprises au sein des groupes.

Aujourd’hui c’est le prix de transfert qui, du point de vue fiscal, permet de déterminer sur un profit de 100 la part qui va aller, par exemple, à la société mère française, à la filiale irlandaise, à la filiale italienne, à l’établissement stable allemand, etc.

Par conséquent, ces montants sont très importants pour les administrations parce que c’est leur moyen de contrôler la répartition des profits et la part qui va aller à chaque pays. C’est le cas également pour les entreprises puisque c’est le moyen qu’elles vont utiliser pour réduire leur facture fiscale, c’est à dire faire en sorte que les profits émergent davantage, par exemple en Irlande où le taux d’impôt sur les sociétés est de 12,5 % plutôt qu’en France où il est de 34 %.

Il y a donc un conflit qui se traduit par des obligations très lourdes pour arriver à satisfaire aux obligations administratives. Les entreprises sont également soumises à de doubles impositions, et les éliminer coûte très cher et prend beaucoup de temps.

L’autre obstacle, c’est l’absence de compensation des pertes. Par exemple, si une entreprise française décide de créer une filiale en Belgique, celle-ci va, en temps qu’entreprise nouvelle, rencontrer des problèmes avant d’arriver à établir un marché rentable, et par conséquent réaliser des pertes pendant les 4 premières années.

Ces pertes ne vont pas pouvoir être compensées contre les profits de la société mère française. La France va être taxée sur ces profits et les pertes réalisées en Belgique par cette nouvelle entreprise, filiale de l’entreprise française, ne vont pas pouvoir être absorbées.

Elles vont souvent, selon les régimes nationaux, pouvoir être reportées sur les profits futurs, mais ce n’est pas la même chose. Si vous avez 200 de profit en France et 50 de pertes en Belgique, vous n’allez pas être taxé sur la différence entre les deux mais vous allez être taxé sur 200 en France et 0 en Belgique. Vous ne pourrez rien déduire de ces pertes.

Cela amène souvent les entreprises à se refermer sur le marché national, puisque dans ce périmètre elles peuvent compenser les pertes. Par conséquent, une entreprise française va préférer plutôt investir, par exemple, à Lille plutôt qu’en Belgique même si ce choix sera moins efficace que celui de conquérir le marché belge. C’est une sorte de discrimination contre l’investissement dans les autres Etats membres.

Touteleurope.eu : en mars 2011, la Commission européenne a proposé une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Qu’en est-il aujourd’hui ?

M.A : La proposition de directive ACCIS est le fruit d’un long travail. Actuellement des travaux sont en cours au Conseil dans le cadre du groupe d’experts des administrations fiscales nationales, après avoir subi l’assaut des parlements nationaux qui, en vertu du traité de Lisbonne, peuvent s’exprimer sur les projets de législation européenne et dire si ils sont ou non conforme au principe de subsidiarité.

Neuf parlements nationaux se sont opposés à cette proposition sur la base du principe de subsidiarité mais ce n’était pas suffisant pour arrêter le projet.
Aujourd’hui nous sommes dans une phase très technique qui peut prendre très longtemps et dans laquelle chacun des Etats membres s’interroge sur telle ou telle disposition et essaie de faire des propositions d’amendements. Il manque certainement une impulsion politique.

Touteleurope.eu : Lors du sommet franco-allemand du 16 août 2011, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont émis le souhait de créer un impôt sur les sociétés commun entre Allemagne et France, qui serait mis en place à compter de 2013. Est-ce qu’il s’agit d’un premier pas vers la création à terme d’un impôt européen sur les sociétés au sein de l’UE ?

M.A : J’ai toujours pensé qu’un projet comme la création d’un impôt européen ne verrait le jour qu’avec le soutien d’abord et avant tout des piliers français et allemands.

La rencontre entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy est une initiative qui devrait donner davantage de crédibilité et d’impulsion politique. C’est une avancée importante mais Paris et Berlin ne le font pas seulement pour le seul plaisir de faire avancer la proposition de la France et de l’Allemagne.

La France a d’autres objectifs : vouloir conforter l’impôt sur les sociétés en France. Notre pays a la particularité d’avoir aujourd’hui l’impôt sur les sociétés dont le taux est le plus élevé de toute l’Union européenne mais de ne se situer qu’à la 20ème position en matière de rentrée fiscale de l’impôt sur les sociétés. Par conséquent, nous avons un système qui n’est pas très efficace en terme de collecte parce qu’il y a des niches, des exceptions et des dispositifs qui se traduisent par moins de recette.

Pour la France, se rapprocher de l’Allemagne, c’est avant tout élargir son assiette, améliorer le rendement. Ce rapprochement va permettre d’améliorer la consolidation fiscale, de contribuer à donner le sentiment que l’on va réduire le risque de concurrence fiscale.

Les deux administrations fiscales sont en contact très étroit et travaillent déjà beaucoup sur ce projet sur la base du rapport sur la convergence fiscale entre la France et l’Allemagne de la Cour des comptes. Ce rapport a isolé 14 différences d’assiette entre l’impôt sur les sociétés des deux pays. Cette liste sert de point de base de travail entre les Français et les Allemands.


Touteleurope.eu : Quel est l’avenir de la politique fiscale en Europe ? Vous proposez la création d’un comité de politique fiscale : quel serait son rôle ?

M.A : Il est indispensable qu’il y ait une instance qui possède un caractère politique pour pouvoir faire avancer les travaux. Il y a eu par le passé dans d’autres domaines des instances créées pour prendre des responsabilités pour faire avancer les choses.

Le Groupe de politique fiscal a été relancé par le commissaire européen chargé de la Fiscalité, Algirdas Šemeta. Je souhaite qu’il parvienne à concrétiser ce groupe politique mais dans le cas échéant il faudra réfléchir à une autre structure qui permette une discussion sur les initiatives politiques et pas seulement sur des problèmes d’administrations fiscales.

Touteleurope.eu : La Commission européenne a évoqué la mise en place d’une structure commune permettant de lutter contre la fraude et de résoudre les nombreux problèmes administratifs que rencontrent les entreprises pour calculer leur TVA. Où en est ce projet ? Peut-on encore renforcer l’harmonisation des taux de TVA ?

M.A : La Commission européenne a mis en place le système Eurofisc dont le but est d’accélérer la coopération administrative entre les administrations fiscales pour mieux lutter contre les fraudes. Ce système commence à fonctionner mais il n’aura de sens que si les Etats s’engagent à avoir une attitude solidaire entre eux.

Actuellement, il y a trop d’exemples dans lesquels une administration fiscale ne coopère pas avec un Etat voisin alors qu’elle sait que des transactions devraient y être taxées. C’est inacceptable. Une Communauté, comme s’est appelée autrefois la Communauté européenne avant de s’appeler l’Union, c’est en principe un endroit où s’exerce une solidarité.

La Commission européenne a lancé un Livre vert matière de TVA en décembre dernier. Elle a fait un appel à contribution en consultant les opérateurs économiques de toute l’Europe. Les réponses qu’elle n’a pas finies de dépouiller vont lui permettre de voir quelles sont les initiatives qui seraient soutenues par les opérateurs.

Comment faire en sorte que les opérateurs puissent être plus conscients des modifications législatives en matière de TVA qui interviennent dans les autres Etats membres ? C’est une des problématiques dans ce domaine. Pour la résoudre, l’idée actuelle serait de mettre à disposition des opérateurs un site Internet pour s’ajuster plus vite aux évolutions législatives.

Par ailleurs, le système de TVA est aujourd’hui attaqué par la fraude. Il est mis en doute car il est extrêmement coûteux. Selon des études de la Commission européenne, c’est un des domaines de la législation européenne qui coûte le plus aux opérateurs et qui est devenu petit à petit obsolète. Aujourd’hui 156 pays possèdent la TVA, dont une cinquantaine l’ont introduit à la source. Il serait temps que l’UE modernise cet impôt. C’est un beau système mais il pourrait être plus efficace et surtout moins coûteux.


En savoir plus :

L’imposition des groupes de société en Europe - Cercle des Européens - HEC - 2010

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