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Loukas Tsoukalis : “La Grèce n’aura pas besoin d’être renflouée par l’UE”

Dans sa nouvelle série d’entretiens mensuels, Grand Angle, Touteleurope.fr interviewera une personnalité européenne - chercheur, politique, historien ou artiste - sur un sujet d’actualité européenne. Pour le premier entretien dans la série, Touteleurope.fr a posé des questions à Loukas Tsoukalis, politologue grec, sur les difficultés économiques de son pays et sur l’avenir de la politique économique et sociale européenne.

Les difficultés économiques de la Grèce

Pourquoi la Grèce est-elle si durement touchée par la crise économique mondiale ?

La Grèce souffre d’un double déficit : un déficit budgétaire et un déficit courant. Tous deux sont lourds et non viables. En outre, ils préexistaient à la crise économique mondiale. Cela fait déjà un certain temps que le niveau de la consommation dépassait la capacité productive de l’économie. Ces déficits ont été largement financés par des emprunts publics, alors que dans d’autres pays, c’est l’emprunt privé qui a été essentiellement à l’origine de la bulle financière.

Que fait la Grèce pour remédier à ses problèmes économiques ? À votre avis, ces remèdes seront-ils efficaces ?

Les mesures déjà annoncées par le gouvernement grec vont dans le bon sens : coupes dans les dépenses publiques, politique déterminée vis-à-vis de l’évasion fiscale généralisée et hausses d’impôt sélectives. Reste à savoir si des mesures visant à réduire le déficit budgétaire de la Grèce, qui est venu s’ajouter à une dette publique déjà très importante, s’accompagneront de mesures structurelles visant à une amélioration durable de la compétitivité de l’économie grecque. L’intention semble être là. Sa concrétisation exigera une volonté politique forte.

Loukas Tsoukalis est conseiller spécial auprès du Président de la Commission européenne, Professeur Jean Monnet à l’Université d’Athènes et Président de la Fondation Héllenique pour la politique européenne et étrangère (ELIAMEP). Il est auteur de nombreux livres sur la politique européenne, notamment “What kind of Europe?” en 2005.

Jürgen Stark, membre du Directoire de la Banque centrale européenne, a clairement indiqué que l’UE n’aiderait pas financièrement la Grèce. Quel était le but de la venue récemment des représentants de l’UE en Grèce ? Quelles ont été leurs conclusions ?

Renflouer les caisses n’est pas l’objet de l’exercice et ne doit du reste pas l’être. La Grèce doit prendre les mesures qui s’imposent pour remettre ses finances publiques sur une trajectoire viable, Elle a d’ailleurs commencé à le faire. Les fonctionnaires de l’UE ont travaillé en étroite collaboration avec leurs homologues grecs en vue de la présentation du Programme de stabilité et de croissance de la Grèce prévu par les traités. Les dispositions de l’article 126, paragraphe 9 du Traité de Lisbonne s’appliquent dans ce cas. La responsabilité finale du programme revient aux autorités grecques. Une fois le Programme soumis, il doit être évalué par la Commission, qui fera ensuite une recommandation au Conseil.

La Grèce en chiffres Année d’adhésion : 1981
Régime politique : république
Capitale : Athènes
Superficie totale : 131 957 km²
Population : 11,2 millions
Monnaie : euro Deficit budgétaire : 12.7% Dette nationale : 110% du PIB

À votre avis, une certaine forme de solidarité économique entre les États membres de la zone euro est-elle nécessaire ? Cela reviendrait il à demander à des États membres de venir en aide à un autre pays qui a fait des choix économiques imprudents ?

L’architecture de Maastricht prévoit une politique monétaire unique, une coordination peu contraignante des politiques budgétaires nationales et un système politique très décentralisé pour soutenir l’euro. D’aucuns pensent que c’est le genre d’architecture qui défie les lois de la gravité. Maastricht est le produit de son époque, il reflète l’orthodoxie économique (dans le contexte de l’époque) et les limites de la faisabilité politique. La crise nous force à une nouvelle réflexion : nous avons besoin d’un cadre renforcé pour la coordination macroéconomique qui vise à combiner croissance et stabilité. Les mesures destinées à réduire les déficits budgétaires dans des pays comme la Grèce devraient s’accompagner d’une plus grande stimulation de la demande intérieure en Allemagne. La coordination ne doit pas être à sens unique.

Les citoyens grecs sont-ils prêts à faire les sacrifices nécessaires pour rééquilibrer leurs finances publiques ? Cela serait-il envisageable, souhaitable en Grèce ?

Il est encourageant que la majorité des Grecs reconnaissent aujourd’hui la gravité de la situation et la nécessité de mesures douloureuses, C’est à l’œuvre qu’on voit l’artisan. Des groupes d’intérêt organisés ne manqueront pas de faire résistance et c’est là que la détermination du gouvernement sera testée. La réforme annoncée est radicale, de même que les mesures spécifiques relatives aux recettes et aux dépenses publiques. Reste à savoir si la mise en œuvre suivra et comment elle sera menée.


Une banqueroute de l’économie grecque mettrait-elle l’euro en péril ? La Grèce serait-elle obligée de quitter la zone euro en cas d’effondrement de son économie ?

Il s’agit d’une hypothèse hautement improbable. Bien sûr, il y a un vrai problème, mais je suis convaincu que la Grèce parviendra à le traiter efficacement avec les encouragements et le soutien de ses partenaires de la zone euro. Par ailleurs, les marchés financiers réagissent souvent de façon excessive. Même les tenants les plus naïfs du postulat de marché rationnel doivent le savoir maintenant. Cependant, si la crise a contribué à renforcer la détermination du gouvernement et de la société grecs à s’attaquer à des problèmes qui ne sont pas nouveaux et qu’elle a favorisé une légère baisse de l’euro face au dollar, à quelque chose, malheur est bon.

Vers une nouvelle politique économique et sociale européenne, Europe 2020


La Présidence espagnole a appelé à davantage de réglementation et à des mécanismes renforcés de gouvernance économique au niveau européen, Quelles actions peuvent être menées à cet égard ?

La Présidence espagnole prend conscience que la coordination peu contraignante des politiques économiques nationales ne peut donner que de modestes résultats surtout lorsqu’il s’agit de la gouvernance de l’euro. Nous aurions dû tirer cet enseignement du passé. Mais sommes-nous politiquement prêts à franchir les prochaines étapes, en particulier en termes de renforcement des mécanismes communs de réglementation des marchés financiers, de coordination plus efficace des politiques fiscales et, plus généralement, de politiques macroéconomiques ? L’avenir du projet européen et plus encore, la poursuite du développement de la zone euro reposent sur le type de réponses qui seront apportées à ces questions.

Cette année, la stratégie de Lisbonne arrive à son terme. Quelles priorités et quels changements ou améliorations l’UE devrait-elle introduire dans sa nouvelle stratégie 2020 pour qu’elle soit couronnée de succès ?

La situation économique n’est plus la même qu’il y a dix ans. Nos priorités doivent donc s’ajuster en fonction des limites qui sont apparues dans l’application de la Méthode ouverte de coordination. Nous aurons besoin d’un mix différent de libéralisation, de réglementation et de solidarité. Trop d’importance a été accordée à la libéralisation au détriment des deux autres composantes. Il nous faudra reconnaître la nécessité d’approches plus différenciées des objectifs communs étant donné la grande diversité de l’UE-27.

Dans le rapport du Policy Network auquel vous avez participé, il est écrit que la dernière décennie a été dominée par un esprit d’anti-réglementation. Pensez-vous que ceci a changé dans le sillage de la crise financière ?

Loukas Tsoukalis est également un des auteurs du rapport “An EU fit for purpose in a Global Age - can we rise to the challenge ?” publié par le Policy Network. Le rapport examine comment l’Union doit s’adapter afin de faire face aux défis du 21e siècle.
Encore une fois, plus dans la théorie que dans les actes. Nous sommes dans une phase de transition : c’est maintenant que les conséquences sociales et politiques de la crise se font sentir. L’effondrement important de l’économie réelle n’est pas seulement dû à la crise financière. Celle-ci a ramené l’État au premier plan mais la transition vers une économie à faible intensité de carbone requiert, elle aussi, l’intervention réglementaire publique. La main invisible ne saurait suffire aux marchés.

Dans votre rapport, vous appelez à des formes plus efficaces de solidarité et de redistribution au niveau de l’UE, de quelle nature sont-elles ?

Des politiques de cohésion existent déjà et ont une fonction très utile. Elles nécessitent une réévaluation et un réajustement constants. Cela vaut plus encore pour la Politique agricole commune. Je crois qu’il y a aussi de la place pour davantage de mesures européennes qui viennent en complément des mesures nationales et ont une valeur ajoutée propre. Un bon exemple serait de transformer le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation en autre chose qu’un pur geste symbolique : en faire un instrument pour les laissés-pour-compte de la mondialisation, qui mette en avant l’ajustement plutôt que la simple compensation. Ou encore établir un lien plus direct entre les paiements de l’UE versés au budget et la poursuite d’objectifs concertés au niveau européen : en d’autres termes, des incitations financières au service de la promotion d’objectifs communs. L’investissement dans les réseaux transeuropéens, notamment dans le domaine de la connaissance et, (pourquoi pas ?), un plan de relance européen financé en partie par l’émission d’euro-obligations.


Les partis sociaux-démocrates sont en difficulté dans toute Europe. Pensez-vous que le renouveau de cette formation politique proviendra des politiques à l’échelle européenne ou nationale ?

C’est la conclusion logique à laquelle pourraient arriver les partis politiques qui ont toujours défendu l’importance du rôle de l’État en tant que fournisseur de biens publics, garant de la stabilité macroéconomique et principal moteur de la solidarité et de la redistribution dans nos sociétés. Dans un monde d’interdépendance croissante (et de mondialisation, si vous préférez), le rôle de l’État-nation devient de plus en plus limité. L’UE est de loin l’institution régionale la plus avancée et la plus efficace en matière de gestion conjointe de l’interdépendance croissante. Il s’agit vraiment de souveraineté partagée, si ce terme ne vous effraie pas. Mais la question ne se résume pas à cela. Dans nombre de pays européens, les perdants et les perdants potentiels de la mondialisation et de l’évolution rapide sont en quête de protection et se détournent du discours habituel sur la nécessité d’ajustement exprimée par l’aile cosmopolite et modernisatrice de la social-démocratie. L’UE était perçue surtout comme un instrument de libéralisation et de changement, tandis que l’État-nation est synonyme d’État-providence et de redistribution. Cette répartition implicite des rôles est fluctuante, en particulier en temps de crise, et de plus en plus difficile à défendre pour les sociaux-démocrates. S’il est bien vrai que la crise économique marque la fin d’une époque, il est encore difficile d’imaginer ce qui viendra après. Nous vivons une période de transition. La social-démocratie européenne devra se redéfinir dans un environnement en rapide évolution.

En savoir plus :

Dossier sur l’euro de Touteleurope.fr

Site du think tank grec Eliamep (en anglais)

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