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  • Synthèse

Lobbying et dialogue social : comment les entreprises interviennent au sein des institutions européennes

Au sein des institutions européennes, les entreprises issues de tous secteurs s’emploient à informer les décideurs politiques dans leur prise de décision. Elles évoluent dans différents cadres législatifs et sous différentes formes : groupements d’intérêts, partenaires sociaux, etc. et participent ainsi aux débats, tout au long de la procédure législative européenne, bien que la transparence des méthodes de leurs représentants envers les citoyens soit parfois discutée.

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Les groupements d’intérêts sont couramment appelés “lobbies” , qui signifie “couloirs” en français. Ce terme faisait initialement référence aux couloirs de la Chambre des communes au milieu desquels les représentants des groupes de pression venaient rencontrer les parlementaires britanniques.

Les entreprises au sein du dialogue social européen

La collaboration des entreprises aux législations européennes se traduit en partie par leur participation au dialogue social européen, impulsé en 1985 par Jacques Delors, alors président de la Commission européenne. Les articles 152, 154 et 155 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) expliquent le fonctionnement de cette procédure. Ainsi, dans le domaine de la politique sociale (emploi, droit du travail et conditions de travail, formation, sécurité sociale, etc.), les partenaires sociaux sont consultés à deux reprises par la Commission européenne : avant et durant la procédure législative. Ils peuvent émettre une recommandation, ou décider de débuter des négociations pour enfin aboutir à un accord-cadre qui sera transformé en directive. A leur propre initiative, ils peuvent également négocier un accord-cadre de façon autonome, qui sera appliqué par les partenaires nationaux.

Trois organisations patronales participent au dialogue social européen. Business Europe représente les organisations de dirigeants de grandes entreprises issues de nombreux pays européens, de Serbie, de Suisse ou encore de Turquie. Le Mouvement des entreprises de France (Medef) et Die Arbeitgeber (BDA) en sont membres, par exemple. Ensuite, l’Union européenne de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME) regroupe des organisations patronales de PME des pays européens tels que la Confédération des PME (CPME) française. Enfin, le Centre européen des employeurs et entreprises fournissant des services publics (CEEP) représente des entreprises et fédérations d’entreprises essentiellement françaises.

A titre d’exemple, ces partenaires sociaux se sont exprimés, en 2017, sur la proposition de directive de la Commission européenne relative au socle de droits sociaux et notamment sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Les trois organisations considèrent, avec certaines nuances, que les législations en la matière (notamment l’accord-cadre sur le congé parental) sont suffisantes et que de nouvelles lois auraient un impact négatif sur la compétitivité des entreprises européennes.

Toutefois, déplorent certains observateurs, ce pouvoir d’initiative n’est que peu exploité par les partenaires sociaux européens puisque seulement trois accords-cadres et quatre accords-cadres autonomes ont été adoptés à l’issue de négociations entre eux, depuis 1995.

Les avis du Conseil économique et social européen (CESE)

D’autres partenaires sociaux européens existent mais ne sont pas reconnus dans cadre du dialogue social interprofessionnel défini par le TFUE. En revanche, certains d’entre eux font porter leurs voix au sein du Comité économique et social européen (CESE). Cette organisation ne dispose, selon les traités, que d’un pouvoir consultatif mais apporte obligatoirement à la Commission, au Parlement ou au Conseil, par le biais d’avis obtenus par consensus, l’opinion des représentants de la vie économique et sociale, et notamment des représentants des employeurs et des entreprises. L’objectif est d’adapter au mieux la législation européenne aux réalités socio-économiques. Le CESE peut également produire à sa propre initiative des études ou des rapports. Récemment, il s’est exprimé sur l’efficacité des politiques européennes à destination des PME.

Ainsi, son assemblée plénière est composée de 350 conseillers nommés pour cinq ans et issus de la société civile organisée européenne : 117 appartiennent au Groupe des employeurs et 111 au Groupe des activités diverses, et siègent aux côtés des 122 membres du Groupe des travailleurs. Le Groupe des employeurs rassemble des représentants des partenaires sociaux du dialogue social (cf. partie précédente) mais également d’Eurochambers (association des chambres de commerce et d’industries européennes) ou d’Eurocommerce (représentants des grossistes et vendeurs au détail). Dans le Groupe des activités diverses siègent des représentants d’organisations nationales ou transnationales de PME, de commerçants ou encore d’entreprises issues de l’économie sociale. Le CESE organise également de nombreux évènements (conférences, etc.) afin de permettre aux représentants des acteurs du tissu socio-économique européen de se rencontrer.

La présence des groupements d’intérêts à Bruxelles

Les représentants des entreprises participent presque systématiquement au processus législatif en mettant également en œuvre des actions de lobbying, non plus en tant que partenaires sociaux, mais en tant qu’organisations professionnelles. Ils appartiennent ainsi à l’ensemble des groupements d’intérêts (ou lobbies) qui contribuent, notamment au sein du Parlement européen et de la Commission européenne, à influencer les décisions prises par les acteurs politiques. Ces groupes sont régulièrement consultés par les commissaires et les parlementaires pour leur expertise technique sur un sujet particulier et peuvent ainsi contribuer à de meilleures décisions politiques. Toutefois, les informations qu’ils fournissent ont pour objectif de soutenir les intérêts qu’ils défendent. Dans cette perspective, la question de leur légitimité démocratique peut se poser, notamment si leurs intérêts vont à l’encontre de l’intérêt général.

Cela est d’autant plus pertinent que les lobbies bruxellois sont particulièrement nombreux à représenter les intérêts économiques privés d’entreprises ou de groupement d’entreprises, généralement rassemblées selon leur secteur d’activité. Avec plus de 7 000 organisations recensées par l’UE en 2016, ils sont particulièrement divers et multiformes. En effet, les entreprises peuvent être représentées par des cabinets spécialisés, à but lucratif, et qui représentent 11,58% des lobbies enregistrés au Parlement et à la Commission en 2016. Les entreprises elles-mêmes ou groupements d’entreprises peuvent autrement disposer de leurs propres représentants, qui correspondent à 50,33% des lobbies enregistrés. Ainsi, Business Europe, Deutsche Telekom, IBM Corporation, la Table-Ronde des industriels européens, la Confédération des industries finlandaises, WindEurope ou encore la Confédération des industries européennes du papier emploient tous plusieurs personnes pour les représenter à Bruxelles.

Les lobbyistes utilisent différents moyens d’action qui permettent d’apporter leur expertise et/ou diffuser les idées qu’ils défendent auprès des décideurs : participation à des groupes de discussion organisés par les institutions, organisations d’évènements, publication de notes ou d’études, envois de mails contenant des propositions d’amendements, et rendez-vous avec les parlementaires ou les commissaires européens.

Au sein de la Commission européenne, les lobbies peuvent recommander des personnes pour participer aux groupes d’experts ou à d’autres entités similaires (groupes de haut niveau, etc.), temporaires ou permanents. Ces organes financés par la Commission, ont pour vocation de proposer des avis, recommandations ou rapports consultatifs. Elles appartiennent aux différentes sources d’expertise auxquelles a accès la Commission. Depuis 2016, les experts recommandés par les lobbies sont sélectionnés dans le cadre d’appels publics à candidatures, et doivent être inscrits dans un registre de transparence (cf. partie suivante).

Au sein du Parlement européen, les lobbyistes peuvent contribuer aux discussions dans le cadre des intergroupes et des forums industriels. Les intergroupes sont des organes informels du Parlement européen organisés selon différents thèmes (par exemple : PME), qui permettent aux députés d’échanger et de faciliter le travail en commissions parlementaires.

Notons qu’indirectement, par la voix des décideurs politiques représentant les Etats, les lobbies nationaux peuvent influencer la politique de l’Union européenne au sein du Conseil européen, du Conseil de l’Union européenne au sein desquels les Etats sont au cœur des décisions. Selon un rapport de Transparency International, la réglementation nationale des lobbies est toutefois très inégale au sein de l’UE : la Slovénie, la Lituanie et le Royaume-Uni observent les meilleures réglementations en moyenne en termes de transparence, d’intégrité et d’égalité d’accès aux décideurs politiques tandis que la Hongrie, la France, l’Allemagne ou l’Espagne sont considérées comme ayant des systèmes relativement plus opaques.

La transparence des groupements d’intérêts en question

En effet, bien que l’expertise des lobbies et leur capacité à informer les décideurs politiques sur les enjeux d’une législation particulière ne soient pas remises en question au sein des institutions, les méthodes employées par certains d’entre eux et le manque de transparence de leurs actions sont néanmoins parfois critiqués par de nombreux observateurs. Parmi eux, Corporate Europe Observatory (CEO) dénonce par exemple le comportement controversé de la firme Monsanto : campagne de dénigrement des travaux de l’agence OMS, etc. D’autres pratiques plus courantes sont également pointées du doigt telles que les potentiels conflits d’intérêts créés par la reconversion de commissaires ou de parlementaires en lobbyistes ou employés pour le compte d’un secteur qu’ils ont eux-mêmes réglementé, à l’issue de leur mandat (ou 18 mois après pour les commissaires).

C’est pourquoi, depuis 1995, la régulation du lobbying au niveau européen cherche à promouvoir plus de transparence. Ainsi, depuis un accord interinstitutionnel daté de 2011 et renforcé en 2015, le Parlement et la Commission possèdent un registre commun permettant « l’enregistrement et le contrôle des organisations et des personnes agissant en qualité d’indépendants qui participent à l’élaboration et la mise en œuvre de politiques de l’Union européenne ». Les organisations qui s’y enregistrent doivent par ailleurs respecter un code de conduite, mais peuvent en contrepartie, ainsi que toute autre personne, déposer des plaintes en cas de non-respect du code.

Il est désormais possible de consulter en ligne le registre de transparence des lobbies présents à Bruxelles et qui fournit, pour chaque groupement, le nombre d’employés accrédités au Parlement européen, les coûts de leurs activités, la présence ou non d’un bureau en Belgique et leurs participations aux discussions du Parlement et de la Commission. Depuis 2014, la Commission doit également faire part des rencontres entre les membres des différents cabinets et les organisations inscrites dans ce registre.

Pour en savoir plus : quelques graphiques proposés par Lobbyfacts.eu et produits grâce aux données fournies par le registre de transparence.

Cela permet d’observer que les lobbies des plus grosses firmes internationales ont un accès privilégié aux institutions. Les représentants de Google, le plus gros lobby bruxellois, ont ainsi été reçu 146 fois par différents commissaires entre novembre 2014 et juillet 2017, juste devant Business Europe, alors que la fédération des PME (l’UEAPME) a été reçue 42 fois.

Toutefois, critiquent certaines organisations comme Transparency International, le registre de la transparence demeure un outil imparfait. Il n’est effectivement pas juridiquement contraignant, ce qui implique qu’un groupement non inscrit dans le registre peut toujours influencer les décisions des institutions via des rendez-vous avec les législateurs. En 2014, le rapport de l’eurodéputé Roberto Gualtieri (membre des socialistes et démocrates) explique ainsi que la couverture des représentants des groupes d’intérêt par le registre « est estimée à 75 % de l’ensemble des entités liées aux entreprises et à quelque 60 % des ONG exerçant leur activité à Bruxelles ». Les données fournies ne permettent donc pas encore d’analyser avec précision le paysage des lobbies bruxellois, notamment lorsqu’il s’agit d’estimer le coût des activités de lobbying de chaque organisation et de chaque secteur d’activité.

Les eurodéputés et la Commission discutent actuellement de rendre obligatoire l’inscription au registre de transparence par un nouvel accord interinstitutionnel, ce qui impliquerait notamment que seuls les groupements inscrits pourront être reçu par les commissaires et les parlementaires

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