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Liberté des médias : “Il faut garantir le pluralisme de l’information sans casser les équilibres nationaux”

Attendu d’ici le printemps 2024, l’Acte européen sur la liberté des médias est aujourd’hui dans les mains du Parlement et du Conseil de l’Union européenne. Rapporteur pour avis, l’eurodéputé français Geoffroy Didier (PPE, conservateur) nous fait part de ses attentes.

Geoffroy Didier
Membre du groupe Les Républicains, Geoffroy Didier est député européen depuis 2019. Crédits : Parlement européen

Présenté en septembre 2022 par la Commission européenne, le projet de règlement sur la liberté des médias (European Media Freedom Act, EMFA) vise à garantir le pluralisme et l’indépendance des médias. Au sein du Parlement européen, le vote de la commission compétente (Culture) est attendu en juillet 2023.

Mais le sujet intéresse également de près les commissions des Libertés civiles et du Marché intérieur. Rapporteur pour avis au sein de cette dernière, le député européen Geoffroy Didier précise ses attentes pour Touteleurope.eu.

Quelles sont pour vous les mesures phares du Media Freedom Act ?

Plusieurs peuvent être citées. Par exemple, la transparence sur la propriété des médias : les lecteurs et téléspectateurs doivent savoir qui est propriétaire du média, afin que celui-ci ne se cache pas derrière l’anonymat pour véhiculer une idéologie portant atteinte aux droits fondamentaux.

D’autre part, les médias français d’information générale sont très préoccupés par une meilleure mise en avant de leurs contenus. Avec une Smart TV par exemple, il est actuellement très difficile d’y accéder. Il arrive souvent que Netflix ou Amazon, qui ont payé pour cela, s’imposent dès l’accueil, inondent l’écran de publicités et soient accessibles par un simple bouton de la télécommande, au détriment des contenus d’information générale. Il y a donc un travail à mener pour mettre ces derniers en exergue, afin de garantir aux citoyens un accès libre et facile à une information pluraliste, d’ailleurs surveillée par les autorités de régulation.

Nous souhaitons adopter ce texte avant la fin de la législature actuelle (printemps 2024). Il permettrait d’ailleurs de souligner que l’action européenne a permis de mieux protéger les citoyens et garanti le pluralisme et la liberté de l’information, y compris face aux ingérences privées. Ces belles valeurs doivent être défendues par l’Europe, intelligemment et avec mesure.

Votre rapport sur le Media Freedom Act pourrait être adopté en juin par la commission du Marché intérieur : quelles sont ses priorités ?

Tout d’abord, la commission du Marché intérieur dont je suis le rapporteur a une compétence pour avis sur l’ensemble du texte. C’est un avis plus que consultatif : il influencera le rapport principal voté ultérieurement en commission de la Culture, et je participerai par la suite aux négociations avec le Conseil de l’Union européenne.

Du point de vue de la commission du Marché intérieur, l’angle principal du European Media Freedom Act est de fluidifier la diffusion de l’information au sein de l’UE. Cela reflète d’ailleurs la base légale choisie pour le texte, l’article 114 du TFUE [celui-ci permet à l’UE de rapprocher les dispositions des Etats en matière de marché intérieur, bien que le secteur des médias relève également de la politique culturelle sur laquelle l’UE n’a que de faibles compétences, NDLR]. 

D’un côté, les médias ne sont pas des entreprises comme les autres. Une entreprise médiatique a une sensibilité particulière, une logique culturelle et linguistique souvent ancrée dans un territoire. La commission de la Culture s’attache à la préservation de cette singularité.

Au sein de la commission du Marché intérieur, nous souhaitons néanmoins nous assurer que l’économie des médias est également facilitée par une libre circulation de l’information. Cela passe notamment par l’indépendance des journalistes et l’absence d’interférences privées ou publiques sur le contrôle éditorial, une vérification plus poussée des opérations de concentration qui peuvent avoir un impact sur le pluralisme des idées, mais aussi par la garantie d’un financement stable et adéquat des médias publics d’intérêt général.

Pourquoi proposez-vous que les plateformes en ligne et les réseaux sociaux soient considérés comme des médias ?

Nous nous informons de plus en plus à travers les réseaux sociaux, les plateformes en ligne et les moteurs de recherche : ceux-ci peuvent donc être assimilés à des médias. Ce ne sont pas des médias traditionnels, mais tout ce qui informe doit entrer dans le champ d’application du Media Freedom Act.

Ces “médias en ligne” concurrencent parfois les médias traditionnels et nous devons veiller à ce qu’ils ne les étouffent pas. Certains réseaux sociaux ont tendance à suspendre les comptes ou supprimer arbitrairement des contenus d’information générale. Je propose ainsi que tous les réseaux sociaux, souvent américains d’ailleurs, ne puissent pas opérer cette censure en se réfugiant derrière des conditions générales d’utilisation – des règles privées bien qu’ils soient devenus des acteurs publics. Les médias traditionnels doivent être en mesure de contester ces retraits.

Nous devons également éviter que les médias en ligne mettent en exergue, arbitrairement ou par idéologie, des fausses informations. Les fake news ne doivent pas se substituer aux vraies informations proposées par les médias traditionnels ou même les médias en ligne.

Vous soutenez également que l’Acte pour la liberté des médias ne doit pas “tout harmoniser coûte que coûte”

La raison d’être de l’EMFA est la situation préoccupante des médias dans certaines démocraties illibérales, comme la Pologne ou la Hongrie. Le risque de mainmise éditoriale du gouvernement sur certains médias y est élevé. L’ambition européenne de ce texte est donc nécessaire : elle permet de préserver l’état de droit, qui est une valeur fondamentale de l’Union européenne, face à certains choix nationaux préoccupants.

Les médias sont toutefois le fruit de l’histoire de chaque pays : ils ne peuvent pas être les mêmes en Allemagne, en France ou en Hongrie. Il ne faudrait donc ni briser les traditions culturelles et linguistiques propres à chacun, ni risquer de fragiliser les équilibres nationaux des véritables démocraties, là où les médias fonctionnent plutôt bien. Par exemple, le corpus juridique très important visant à protéger les journalistes dans certains pays d’Europe de l’Ouest ou du Nord pourrait être mis en danger par la proposition de la Commission européenne

Je suis pour le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le principe de proportionnalité, c’est trouver les justes mesures et le bon dosage, qui permettent de garantir le pluralisme de l’information et renforcer l’indépendance des journalistes sans pour autant casser les équilibres nationaux et les traditions locales.

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