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La politique numérique de l’Union européenne

Economie des plateformes, contenus en ligne, circulation des données… entre innovation et régulation, l’Union européenne cherche à développer son propre modèle en matière de numérique.

Politique numérique européenne
Le numérique est un des thèmes prioritaires de la Commission européenne entre 2021 et 2027 - Crédits : imaginima / iStock

Alors qu’en 2007, seuls 55 % des habitants de l’actuelle Union à 27 avaient utilisé internet au cours des 3 derniers mois, ils étaient plus de 91 % à y avoir recouru en 2023. La part des Européens ayant commandé des biens en ligne a par exemple presque atteint les 70 % l’année dernière.

Au-delà des usages pour les particuliers, le numérique génère d’immenses opportunités économiques et industrielles. Il soulève également d’importants enjeux géopolitiques et démocratiques. Face à la domination d’acteurs étrangers dans ce secteur, l’Union cherche à tirer son épingle du jeu.

CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE

Les spécificités du numérique compliquent l’harmonisation du marché intérieur.

La politique numérique de l’Union européenne concerne une grande diversité de domaines : protection des données personnelles, régulation des grandes plateformes, développement de la société numérique… 

Parmi ses projets phares : les législations sur les marchés numériques (DMA), les services en ligne (DSA) ou encore l’intelligence artificielle.

Un marché de moins en moins fragmenté

Un marché commun du charbon, de l’acier ou des produits agricoles n’est pas un marché commun du numérique. Alors que la construction européenne a peu à peu limité les obstacles à la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes, le marché du numérique continue de faire face à de nombreux défis.

Il souffre ainsi d’une forte fragmentation. Mesurées par un indice européen de l’économie et de la société numériques (DESI), les disparités économiques, sociales et d’infrastructures entre Etats membres ne les placent pas sur un pied d’égalité. Tant sur l’accès du public aux outils numériques que sur la digitalisation des administrations et des entreprises. Trois grands ensembles peuvent être distingués : les Etats les plus performants au nord, ceux dans la moyenne plutôt à l’ouest et au centre, enfin ceux accusant un retard au sud et à l’est.

Cette fragmentation s’observe également sur le plan législatif, chaque Etat membre appliquant pour l’essentiel ses propres règles à destination d’un secteur qui fait le plus souvent fi des frontières. Ou qui, au contraire, exploite ces différences à son avantage. Une situation mis notamment en exergue par le géoblocage, qui limite ou proscrit l’accès des internautes à des sites, contenus et services proposés dans un autre Etat membre. En 2018, l’Union européenne a interdit cette discrimination pour le commerce en ligne et les abonnements audiovisuels payants.

Depuis plusieurs années, l’UE tente d’harmoniser les législations nationales tout en encadrant les activités du secteur à travers son propre modèle de régulation. Parmi les mesures les plus emblématiques de cette européanisation, un règlement de 2017 supprime les frais d’itinérance pour tous les voyageurs. Les utilisateurs de téléphones mobiles peuvent désormais appeler, envoyer des SMS et naviguer sur internet à l’étranger au prix de leur pays d’origine, facilitant la libre circulation au sein du territoire européen. 

Depuis 2019, les principaux commissaires en charge du numérique sont la Danoise Margrethe Vestager (vice-présidente chargée de la Concurrence et de l’Europe numérique) et le Français Thierry Breton (commissaire au Marché intérieur).

L’Europe en pointe dans la protection des données

Dès 1995, l’Union européenne a adopté une directive sur la protection des données personnelles. Un texte révisé en profondeur en 2018 avec le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Celui-ci a renforcé la transparence des plateformes du numérique concernant leur usage des informations à caractère personnel, introduit un droit à la portabilité permettant aux utilisateurs de transférer ou récupérer ces données, et mis en place un droit à l’oubli. Aujourd’hui considéré comme une référence en la matière, ce texte s’applique non seulement aux sociétés européennes mais également aux acteurs étrangers proposant leurs services aux Européens.

Après l’annulation du précédent régime de transferts de données personnelles entre l’Union européenne et les Etats-Unis (Privacy shield) par la Cour de justice de l’Union européenne en juillet 2020, les deux parties ont annoncé l’adoption d’un nouvel accord le 10 juillet 2023. Ces transferts peuvent désormais s’effectuer librement, sans encadrement spécifique, depuis l’UE vers certains organismes américains. 

Réguler l’activité des grandes plateformes

Face à la domination des oligopoles américains (les “Gafa” : Google, Apple, Facebook et Amazon, auxquels on ajoute généralement Microsoft) sur le marché numérique européen, l’UE veut défendre ses intérêts. Elle soumet aujourd’hui ces sociétés à un meilleur encadrement et lutte contre leurs abus, afin de permettre aux entreprises du continent de prospérer.

Pour limiter l’expansion des grandes plateformes du numérique sur le marché européen, l’Union a intensifié sa lutte contre leurs pratiques de concurrence déloyale durant la deuxième moitié des années 2010. Une politique notamment marquée par des sanctions contre les abus de position dominante. Exemple marquant : la confirmation en septembre 2022 par la Cour de justice de l’UE (CJUE) d’une amende record de 4,1 milliards d’euros (contre 4,3 milliards avant l’appel) infligée à Google. La société était accusée d’avoir favorisé son moteur de recherche et son navigateur Chrome sur des téléphones portables, au détriment de ses concurrents. 

En outre, la législation sur les marchés numériques (DMA) régule désormais une large partie du web. En application depuis le 2 mai 2023, elle cherche à mieux encadrer les activités économiques des grandes plateformes, qualifiées de “contrôleurs d’accès” du fait de leur rôle d’intermédiaire indispensable entre les entreprises et les utilisateurs. Ces acteurs seront sanctionnés plus rapidement s’ils profitent de leur position dominante pour enfreindre le droit européen de la concurrence. 

Parmi les autres pratiques mises en cause figure l’optimisation fiscale. Du fait du caractère “dématérialisé” des services numériques, les entreprises peuvent installer leur siège et déclarer leurs bénéfices dans un seul pays, tout en proposant leurs services à l’ensemble de l’Union. Entré en vigueur le 1er janvier 2024 au sein de l’UE, le deuxième pilier de l’impôt mondial sur les multinationales doit limiter ces pratiques pour les grandes sociétés, dont celles du numérique. La Commission a par ailleurs proposé qu’une partie de cet impôt (pilier 1) alimente le budget de l’Union européenne en tant que nouvelle ressource propre, en remplacement du projet avorté de taxe européenne sur le numérique.

La Commission cherche également à modifier les règles en matière de TVA à l’ère du numérique, considérant que le régime actuel n’y est pas “adapté”, étant “complexe pour les entreprises et […] exposé aux risques de fraude”. En décembre 2022, elle a proposé d’instaurer des obligations de déclaration numérique et un enregistrement unique pour les entreprises dans l’ensemble de l’UE ainsi que de nouvelles règles pour les plateformes numériques.

Faire face aux menaces et aux abus 

L’Union européenne cherche également à protéger les Européens face aux dérives de la transition numérique. Outre la protection des données personnelles (RGPD), la législation sur les services numériques (DSA) s’applique depuis le 25 août 2023. Elle impose aux sociétés du numérique une plus grande responsabilité dans le retrait de contenus illicites (haineux, pédopornographiques, terroristes…) ou de produits contrefaits vendus en ligne. Elle limite également l’usage de la publicité ciblée et impose des mesures de transparence sur les algorithmes des plateformes. 

Entré en vigueur le 7 juin 2022, un règlement impose également aux plateformes de supprimer les contenus à caractère terroriste en ligne dans un délai d’une heure après leur publication. L’objectif est de réduire la capacité des terroristes à diffuser leur propagande en ligne. 

La Commission a par ailleurs proposé, le 11 mai 2022, une législation visant à prévenir et à combattre les abus sexuels commis contre des enfants en ligne. Seraient rendus obligatoires la prévention, la détection, le signalement et la suppression du matériel pédopornographique par les fournisseurs de services. Jusqu’à présent, les entreprises peuvent le faire sur une base volontaire, en vertu d’une dérogation temporaire à la directive sur la vie privée et les communications électroniques. 

Le 1er janvier 2022, des règles relatives aux contenus numériques et à la vente de biens sont entrées en vigueur. Elles donnent un droit de recours aux consommateurs lorsqu’ils achètent un contenu (musique, logiciel…) ou un service numérique qui se révèle défectueux, que cet achat ait eu lieu en ligne ou dans un magasin dans toute l’UE.

Le 9 décembre 2021, la Commission européenne a par ailleurs proposé des mesures pour que les travailleurs des plateformes puissent plus facilement bénéficier des droits et prestations d’un salarié. Un texte validé le 11 mars 2024 par le Conseil de l’Union européenne, et qui doit encore être approuvé par le Parlement européen.

L’Union dispose également d’une politique commune en matière de cybersécurité, avec l’adoption d’une première directive en 2016 (NIS, ou SRI en français). Elle a été remplacée par la directive SRI II, entrée en vigueur début 2023. 

Adoptée fin 2023 et applicable en 2027, la loi de l’UE sur la cyber-résilience renforce quant à elle la cybersécurité des objets connectés. Elle impose notamment à leurs fabricants des mises à jour régulières de sécurité. Ces logiciels et produits porteront un marquage CE s’ils sont conformes aux nouvelles normes. 

Les créateurs sont enfin protégés depuis 2019 par la directive sur le droit d’auteur, qui renforce la responsabilité des plateformes en ligne dans le contrôle du respect de ces droits.

Accompagner la transition numérique

Plus largement, l’Union européenne veut favoriser le déploiement du numérique dans l’ensemble de la société. A travers sa “boussole numérique” présentée en 2021, la Commission a présenté les grands objectifs de la transformation numérique de l’Union d’ici à 2030. Ceux-ci vont de l’accroissement des compétences numériques des Européens au développement d’infrastructures (5G, semi-conducteurs, création d’un ordinateur quantique…), en passant par la numérisation des entreprises et des services publics (administration, santé, systèmes judiciaires…).

L’intelligence artificielle (IA) fait l’objet d’un projet de règlement, validé par le Parlement européen le 13 mars 2024. Son objectif est de développer les potentialités sociales et économiques de l’IA tout en encadrant les risques qu’elle fait peser sur les droits fondamentaux. 

Deux autres directives visent à créer un environnement fiable pour faciliter l’utilisation des données à des fins de recherche et d’innovation, notamment au sein de l’intelligence artificielle. Le texte relatif à la gouvernance des données (Data Governance Act) est entré en vigueur le 24 septembre 2023, celui sur la circulation des données (Data Act) le 11 janvier 2024. Une directive sur les seules données ouvertes (“open data”) et la réutilisation des informations du secteur public avait été adoptée en 2019, créant un cadre juridique commun pour les données détenues par les gouvernements. 

Signée en décembre 2022, la déclaration européenne sur les droits et principes numériques vise de son côté à placer l’être humain et ses droits au cœur de la transformation numérique. 

Le projet d’identité numérique européenne, validé par le Parlement européen en février 2024, doit quant à lui faciliter les démarches administratives des citoyens européens à l’étranger tout en sécurisant leurs données personnelles. La Banque centrale européenne travaille également à la création d’un moyen de paiement numérique universellement accepté dans l’ensemble de la zone euro : l’euro numérique.

Destiné à rendre l’industrie numérique européenne moins dépendante des autres continents, le plan pour développer la production des semi-conducteurs en Europe est entré en vigueur le 21 septembre 2023. De son côté, la législation sur les matières premières critiques permettrait à l’UE de se procurer les matériaux indispensables à la transition numérique, comme le germanium utilisé pour les câbles de fibre optique ou le lithium contenu dans les batteries. Elle a été validée par le Parlement européen en décembre 2023.

Dans un tout autre domaine, l’Union européenne doit prochainement lancer une plateforme de demande de visas Schengen en ligne, la validation définitive du texte ayant eu lieu en novembre 2023. 

Projet cher à la France, la création de “champions européens” revient régulièrement dans les débats, notamment au sujet du secteur numérique. Si des entreprises européennes sont parvenues à s’illustrer dans certains secteurs, comme le Finlandais Nokia, le Néerlandais Philips ou le Suédois Spotify, les firmes d’autres continents dominent toujours le marché. 

Des acteurs européens ont toutefois cherché à s’allier pour développer des infrastructures numériques européennes, comme la France et l’Allemagne dans le projet de cloud souverain, ou des banques européennes dans la mise en œuvre d’un système de paiement européen.

Outre le financement du secteur via le budget européen (Digital Europe, le principal programme relatif au numérique, est doté de 7,6 milliards d’euros sur la période 2021-2027), 20 % des 750 milliards d’euros du plan de relance européen doivent eux aussi permettre de développer le numérique dans les Etats membres.

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1 commentaire

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    mennilli

    bonjour j’ai une question pourquoi quand on achète des jeux vidéo en dématérialisé alors qu’on est propriétaire du jeux on ne peut le revendre comme les jeux physique je trouve ça dommage