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  • Synthèse

La libéralisation des services postaux

Entamé il y a plus de 15 ans, le processus de libéralisation des services postaux de l’Union européenne s’est finalisé en 2012. L’objectif de cette réforme ? Rendre le secteur plus compétitif et efficace dans les Etats membres. Mais si ces derniers ont accepté le principe de cette ouverture, nombreux ont été ceux à s’inquiéter du rythme de la libéralisation. De plus, ils ont dû s’accorder sur la manière de garantir un service universel pour les consommateurs. La libéralisation des services postaux s’inscrit dans le cadre de la réalisation du Marché intérieur des services, inscrite dans le traité de Rome dès 1957. Elle est menée par la direction générale de la Concurrence de la Commission européenne. Elle intervient après les réformes du secteur des télécommunications et de celui de l’énergie.

Poste

La libéralisation, un processus progressif

Repères chronologiques

1992 Livre vert sur le développement du marché unique des services postaux

1994 Résolution du Conseil du 7 février 1994 sur le développement des services postaux communautaires

1997 Première directive postale

1999 Première réduction du “secteur réservé”

2002 Deuxième directive postale

2003 Deuxième réduction du “secteur réservé”

2005 Adoption de la loi française transposant la directive postale

2006 Troisième réduction du “secteur réservé”

2008 Troisième directive postale

2009 Suppression totale du “secteur réservé”

2010 Ouverture totale du marché pour 16 États membres, représentant 95 % du marché intérieur des services postaux

1er mars 2010 La Poste devient une société anonyme à capitaux publics

Août 2010 Création du groupe des régulateurs européens dans le domaine des services postaux

2012 Ouverture totale du marché pour les États membres ayant eu recours à la période de transition

L’ouverture progressive à la concurrence de services proposés par les opérateurs “historiques” , a démarré depuis 1997 avec la livraison de colis et les services express.

Aujourd’hui, à l’exception de la distribution des courriers inférieurs à 50 grammes, qui demeure sous monopole, dans le domaine dit “réservé” , tous les autres services postaux sont ouverts à la concurrence.

Cette directive du 15 décembre 1997 a, plus précisément, pour objectifs de :

  • définir les caractéristiques minimales du service universel que doit garantir chaque État membre (sur son territoire);
  • fixer des limites communes pour les services qui peuvent être réservés dans chaque État membre au(x) prestataire(s) du service universel, ainsi qu’un calendrier pour la poursuite de la libéralisation progressive et contrôlée ; elle énonce également les principes qui doivent régir l’octroi d’autorisations/de licences pour les services non réservés ;
  • définir les principes tarifaires applicables au service universel et prescrire la transparence des comptes des prestataires du service universel ;
  • prescrire la fixation de normes pour la qualité des services transfrontières intracommunautaires ; et prévoit que les Etats membres fassent de même au niveau national ;
  • confirmer les mécanismes qui doivent encourager l’harmonisation technique dans le secteur postal (voir les activités du CEN décrites plus loin);
  • fixer les modalités de consultation des parties intéressées ;
  • prévoir la mise en place d’autorités réglementaires nationales indépendantes des opérateurs postaux.

Le 10 juin 2002, le Parlement européen et le Conseil ont adopté officiellement une directive postale qui modifie celle de 1997 en définissant les étapes suivantes du processus d’ouverture progressive et contrôlée du marché et en limitant davantage les secteurs des services qui peuvent être réservés.

Selon cette directive, les États membres doivent soustraire à l’application des règles de concurrence les envois de correspondance :

  • dont le poids est inférieur à 100 grammes et dont le prix est inférieur à trois fois le tarif public, depuis le 1er janvier 2003 (c’est-à-dire une ouverture estimée à environ 9 % du marché à la concurrence) ;
  • dont le poids est inférieur à 50 grammes et dont le prix est inférieur à deux fois et demi le tarif public, à partir du 1er janvier 2006 (c’est-à-dire une ouverture estimée à environ 7 % supplémentaire du marché à la concurrence).

De plus, le courrier transfrontière sortant est entièrement libéralisé depuis le 1er janvier 2003 (soit environ 3 % du marché), bien que des exceptions puissent être admises lorsqu’elles sont nécessaires pour maintenir le service universel - par exemple lorsque les recettes provenant du courrier transfrontière sont nécessaires pour financer le service universel intérieur, ou lorsque le service postal national présente des caractéristiques particulières dans un État membre.

Au terme d’une négociation serrée, les Etats membres se sont mis d’accord sur l’ouverture complète du marché pour le 31 décembre 2010, mais certains Etats membres l’ont reportée au 1er janvier 2012. Cette échéance est inscrite dans une troisième directive postale adoptée le 20 janvier 2008.

Les Etats membres concernés par la dérogation sont Chypre, la République Tchèque, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie.

La Poste française a toujours été un établissement public industriel et commercial (Epic). Depuis le 1er mars 2010, le gouvernement français en a fait une société anonyme (SA) afin de répondre aux conditions de l’ouverture du marché, tout en assurant que les capitaux resteront 100% publics. Pour les syndicats français, il s’agit d’un premier pas vers la privatisation.

En France, c’est la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales qui a transposé les directives européennes. Pour concurrencer la Poste sur les marchés des courriers de moins de 50 g, il faut obtenir une autorisation de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

Le 1er mars 2010, la Poste (France) est devenue une société anonyme à capitaux publics. Elle a reçu 2,7 milliards d’euros de capitaux publics de la part de l’Etat et de la Caisse des dépôts et des consignations afin d’affronter la concurrence européenne, en vue de l’ouverture totale du marché le 1er janvier 2011, tout en restant un établissement 100% public.

Pour accompagner le processus, la Commission européenne a créé en 2010 le groupe des régulateurs européens dans le domaine des services postaux (GREP), qui assiste la Commission dans la bonne mise en oeuvre du marché intérieur pour les services postaux, en renforçant la coopération entre les autorités régulatrices des différents pays concernés.

Les objectifs de la politique postale de l’UE

L’objectif de la politique de l’Union européenne dans le secteur postal est d’achever le marché intérieur des services postaux et de garantir que tous les citoyens de l’Union européenne puissent disposer sur tout le territoire de services postaux efficaces, fiables, et de bonne qualité à des prix abordables.

En raison de l’importance que revêtent les services postaux à la fois pour la prospérité économique et pour la cohésion sociale et le bien-être des citoyens dans l’UE, il s’agit là d’un domaine d’action prioritaire de la Communauté.

Afin d’atteindre cet objectif général, la Commission européenne a défini un certain nombre d’actions, à réaliser à plus ou moins long terme. Il s’agit notamment :

  • de définir à l’échelon de l’UE un service postal universel, conçu comme un droit d’accès des utilisateurs aux services postaux et comprenant un éventail minimum de services de qualité déterminée dont tous les utilisateurs, quelle que soit leur situation géographique, doivent pouvoir disposer dans tous les États membres à des prix abordables. Il a finalement été acté que le courrier devrait toujours pouvoir être distribué et levé au moins une fois par jour cinq jours par semaine, pour chaque citoyen de l’Union européenne ;
  • de fixer une limite commune aux domaines postaux réservés que chaque État membre peut accorder à son ou ses prestataires du service universel, afin de garantir la viabilité économique et financière de la prestation du service universel. Cette limite a évolué progressivement jusqu’à l’ouverture totale : initialement tous les envois de moins de 350 grammes, ensuite tous ceux de moins de 100 g (à compter de 2002) et enfin tous ceux de moins de 50 g (à compter du 1er janvier 2006) ;
  • de mettre en œuvre un processus de libéralisation progressive et contrôlée du marché à l’intérieur du secteur postal, tout en donnant aux États membres les moyens leur permettant d’assurer que la prestation du service universel est durablement garantie ;
  • d’améliorer la qualité des services postaux en fixant, au niveau de l’Union, des normes communes de qualité du service pour le courrier transfrontière intracommunautaire et en veillant à ce que les normes applicables au courrier national soient définies et rendues publiques (en conformité avec ces normes de l’UE), et à ce que les résultats en termes de performance soient publiés ;
  • d’établir le principe que les tarifs doivent être fonction des coûts et faire en sorte que la prestation du service universel soit financée d’une manière transparente et compatible avec le droit de l’Union européenne ;
  • d’encourager l’harmonisation des normes techniques, en tenant compte des intérêts des utilisateurs ;
  • de faire en sorte que des conditions de concurrence équitables existent en dehors du secteur réservé ;
  • d’encourager et d’aider le secteur postal à s’adapter rapidement et efficacement au progrès technologique et à l’évolution de la demande ;
  • de veiller à ce que les besoins des utilisateurs, les intérêts des salariés et l’importance générale du secteur postal pour l’évolution et la cohésion économiques, culturelles et sociales de l’Union européenne (y compris les difficultés particulières que connaissent les régions isolées) soient pris en compte par les instances réglementaires ;
  • de coordonner le développement de la politique postale avec d’autres politiques communautaires et veiller à ce que les chevauchements soient traités de manière cohérente ;
  • d’adopter à l’égard du trafic postal international (et notamment vis-à-vis des pays de l’AELE et des pays d’Europe centrale et orientale, en particulier dans le contexte de l’élargissement de l’UE), une approche qui soit cohérente avec les objectifs présentés plus haut et qui reflète les mêmes priorités, en coopération avec les pays tiers et les organisations internationales.

Les enjeux de la libéralisation

La libéralisation d’un service comme celui de la poste ne se fait pas sans difficultés pour diverses raisons : les délais serrés de mise en oeuvre de la directive postale, sans cesse repoussée, l’importance historique et économique d’un secteur comme le secteur postal, les traditions nationales, etc.

En Europe, nombreux sont ceux qui craignent une baisse de la qualité du service, notamment dans les zones rurales. Un débat renouvelé à chaque avancée dans le processus de libéralisation.

28 pays, 28 situations

Les situations sont très différentes d’un pays à l’autre de l’Union aussi bien en termes de prix, que de densité de réseau et ou encore de délai de distribution.

Ainsi, les prix d’envoi intérieur de lettres simples (moins de 20 g) s’échelonnaient en 2006 de 0,30 euro en Espagne à 0,70 euro en Finlande. Ces différences sont historiques et découlent de situations et de barèmes de coûts différents.

Elles semblent en tout cas démontrer que le marché postal demeure davantage une juxtaposition de marchés nationaux qu’un marché unique avec convergence des prix. D’autant plus que les coûts d’affranchissement entre les Etats membres varient également selon le poids du produit envoyé. De même la densité du réseau postal varie fortement en fonction des pays. Ainsi, si la moyenne de l’Union européenne s’élevait en 2006 à 2,4 bureaux pour 10 000 habitants, l’Espagne en compte 0,91 et le Portugal 3,7. Le nombre de boîtes aux lettres pour mille habitant va également de 1 en Espagne à 2,2 en France.Autre point important du débat français, la qualité du service postal qui n’est pas la même dans tous les Etats membres. Pourtant, la tendance est à l’amélioration du trafic au sein de l’UE : le taux de distribution en J+3 du courrier prioritaire transfrontière de l’Union serait en effet passé de 70% environ en 1994 à 92% en 2001.Enfin, certains craignent que l’ouverture à la concurrence de l’ensemble des services postaux n’entraîne des licenciements massifs dans le secteur public et une détérioration des conditions de travail dans l’ensemble du secteur, comme cela a été le cas en Suède suite à la libéralisation du secteur.

Un secteur économiquement important

Les services postaux sont des services d’intérêt économique général (SIEG). A ce titre, ils sont capitaux pour les entreprises comme pour les particuliers.

Selon la Commission européenne :

  • le secteur postal a réalisé en 2006 un chiffre d’affaires d’environ 88 milliards d’euros, soit environ 1 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Union.
  • il a acheminé 135 milliards d’envois dans l’UE, les deux tiers en courrier, un tiers en colis et courrier express.
  • en terme d’emplois, le secteur mobiliserait près de 5,2 millions de travailleurs.


Pour sa part, la Poste française emploie 276 000 salariés. 11 700 postes ont été perdus en 2010.

La question des opérateurs historiques et des domaines réservés

La libéralisation des services postaux pose la question du devenir des opérateurs dits “historiques” (comme La Poste en France), qui sont réticents à l’idée de perdre leur monopole.

Les Etats membres prêtent bien souvent une oreille attentive à ces opérateurs en raison de leurs liens étroits avec la puissance publique.

La directive postale prévoit notamment la suppression des “domaines réservés” , effective au 1er janvier 2011.

Le domaine réservé est le droit reconnu aux opérateurs historiques de conserver leur monopole sur la livraison du courrier dont le poids est inférieur à 50 grammes (ce qui représente approximativement 72% du volume postal), en échange d’un service de livraison de cinq jours par semaines, même aux citoyens résidant dans les zones les plus éloignées (service dit “universel”).

Ce domaine réservé devait permettre aux opérateurs historiques de compenser leurs pertes sur l’acheminement du courrier dans les zones les moins peuplées par leurs recettes perçues sur les services très demandés.

L’obligation de service universel

C’est la question centrale de l’ouverture des services postaux à la concurrence. Contre l’inquiétude soulevée par l’ouverture à la concurrence d’un domaine considéré comme relevant du service public, la directive qui conclut le processus de libéralisation instaure en même temps une obligation de service universel (OSU).

La Commission européenne la définit comme l’obligation pour les opérateurs postaux d’assurer à chaque citoyen au moins une distribution et une levée de courrier cinq jours sur sept, à un prix abordable sur l’ensemble du territoire. Les Etats membres pourront fixer des prix uniques sur leur territoire pour garantir des tarifs raisonnables. Le SU est donc une traduction en termes européens de la notion de “service public” transposé dans un environnement concurrentiel.

Les prestataires de services postaux ont peur de ne plus parvenir à garantir le service public en cas de libéralisation totale. En effet, fournir un service si fréquent et généralisé à l’ensemble du territoire engendre des coûts élevés. Actuellement, c’est le domaine réservé qui permet aux opérateurs historiques de financer le service universel. La suppression progressive du domaine réservée pose donc la question du financement du service universel dans ses aspects les moins rentables, tels que la couverture de zones périphériques ou faiblement peuplées.

Du fait de la disparition du monopole, de nouveaux entrants sur le marché pourraient s’emparer des activités les plus rentables tout en négligeant le service universel, ce qui ferait perdre aux opérateurs historiques les ressources nécessaires pour garantir ce dernier. Des mesures d’accompagnement ont donc été imaginées pour garantir la viabilité du service universel sur un marché concurrentiel. Les Etats membres se sont accordés pour répartir le financement du service universel entre les différents opérateurs selon le principe du “concurrent payeur” : en échange de l’accès aux infrastructures et au marché, les nouveaux entrants prennent en charge une partie des missions de service public.

Ces prises en charge resteraient proportionnées à leur capacité de financement et à leur taille. Cette solution a rassuré les pays traditionnellement attachés à la notion de service public comme la France, la Belgique, mais aussi la Pologne et la Hongrie.

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