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La crise économique hongroise : mise en perspective historique et politique

En 2004, lors de l’entrée de la Hongrie dans l’Union européenne, nombreux étaient ceux qui parlaient de son modèle économique en termes élogieux, un exemple à suivre pour les anciennes républiques populaires en transition vers l’économie de marché. Dix ans plus tard, le “miracle hongrois” s’est révélé n’être qu’un mirage : le pays a été très durement frappé par la crise financière et bancaire européenne.

En 2012, l’endettement public s’élève à plus de 82% du PIB (le taux le plus élevé des douze pays qui ont rejoint l’UE en 2004-2007) le chômage dépasse les 10% de la population active, l’inflation galope à 5,7%, et le forint fait l’objet d’attaques incessantes sur les marchés financiers… Les investisseurs étrangers qui avaient fait la richesse du pays ont perdu confiance face à des perspectives économiques sombres - 2013 ne serait guère meilleure que les quatre années précédentes selon les prévisions - et une politique gouvernementale qu’ils jugent imprévisible et incohérente. Bref, la Hongrie n’est plus la bonne élève de l’Union européenne. Retour sur les causes de cette dégradation.

De la transition réussie vers l’économie de marché à l’adhésion à l’Union européenne

Au moment de l’adhésion à l’UE, les indicateurs économiques hongrois étaient tous positifs : le taux de croissance se situait aux alentours de 4%, le ratio d’endettement public à 58% du PIB (norme européenne fixée à 60% depuis le traité de Maastricht), on dénombrait moins de 7% de chômeurs et le PIB annuel par habitant s’élevait à 14 140 euros, soit 56% de la moyenne de l’UE15. Au sein de l’ancien bloc de l’Est, seule la République tchèque pouvait se targuer d’une réussite comparable. Unique ombre au tableau : le taux d’inflation, plafonnant à 6,55%. Pas de quoi susciter l’inquiétude cependant, car ce phénomène, désigné par les économistes sous le nom “d’effet Balassa-Samuelson” , serait normal dans des économies exposées pour la première fois à la concurrence internationale. Le mécanisme est simple : les secteurs exposés à la concurrence internationale connaissent des restructurations importantes entraînant des gains de productivité forts et une hausse des salaires. Celle-ci se répercute à l’ensemble de l’économie viaune consommation accrue, et se diffuse aux secteurs abrités où les gains de productivité sont plus faibles. Globalement, on constate que les salaires augmentent plus rapidement que la productivité, d’où une hausse du coût salarial unitaire. Les niveaux d’inflation sont donc tirés vers le haut par la progression des salaires, notamment des secteurs abrités de la concurrence internationale.

Le “miracle hongrois” , en effet, a été rendu possible par l’ouverture de l’économie aux multinationales et investisseurs étrangers. Une économie stable, bénéficiant de la proximité du marché communautaire et d’un potentiel industriel solide, inspirait naturellement confiance. L’activisme gouvernemental a aussi joué un rôle, via l’assouplissement du droit du travail, la privatisation des actifs de l’État et des mesures fiscales avantageuses pour les investisseurs étrangers. Au total, en 2004, 30% de la richesse nationale était le fait des investissements directs à l’étranger (IDE), 80% des grandes entreprises étaient propriété étrangère. La Hongrie était classée par l’OCDE comme membre du groupe des économies au commerce extérieur hyper-développée et affichait depuis le début des années 90 l’un des plus gros volumes d’entrées nettes cumulées d’IDE par habitant. La manne financière qui s’est déversée sur le pays (40 milliards d’euros) a évidemment facilité la réussite de la transition vers l’économie de marché, et soutenu les activités d’exportation, notamment dans le secteur de la haute technologie.

Mais tout cela a engendré des effets pervers (inégalités régionales et salariales) et par bien des aspects, la force de la Hongrie constituait aussi sa faiblesse. Le terrain était donc prêt pour que la crise de 2008 amplifie les déséquilibres préexistants, et l’exemple hongrois montre bien en quoi les pays non-membres de la zone euro n’ont pas été plus à l’abri de la crise.

L’ampleur de la crise économique en Hongrie, résultat de la dépendance aux capitaux étrangers

En l’espèce, une même cause ne produit pas toujours les mêmes effets : si l’essor économique du pays est lié aux flux extérieurs, la dégradation provient elle aussi de l’étranger. La sur-dépendance de l’économie aux IDE a en effet décuplée l’impact du choc extérieur de 2008, à savoir la crise financière. Pour les banques étrangères touchées, la première réaction a été de rapatrier les capitaux pour réorganiser la solvabilité à l’Ouest. Cela s’est traduit par une demande de remboursement sur le marché des changes, en euros principalement. Or, quand on sait que plus de 80% des banques hongroises sont en réalité des filiales ou succursales de banques étrangères, et que 70% des dettes privées et 50% de la dette publique sont libellés en devises étrangères, on comprend l’ampleur du problème.

Le risque pour la Hongrie a été et demeure celui d’une crise de change, c’est à dire un effondrement de la valeur du forint et l’explosion de la valeur des dettes initialement libellées en euros ou en francs suisses (95% des dettes privées). Cet enchaînement a fait de la Hongrie l’un des pays les plus précocement touchés par la crise. Elle a été la première a demander et obtenir une aide du FMI et de l’UE à l’automne 2008 d’un montant de vingt milliards d’euros. En contrepartie, le gouvernement s’est engagé à réformer l’économie (réduction déficit public, renforcement du secteur bancaire et politique monétaire stabilisatrice). La Hongrie échappe tout juste à la banqueroute, pour un temps…

Car cela n’a pas agi comme antidote à la propagation de la crise au reste de l’économie mais, au mieux, de pansement. En 2009, le pic de la récession est atteint avec -6,8% de croissance. Le chômage concerne alors 10% de la population et continue d’augmenter aujourd’hui, l’inflation est galopante. L’année 2011 voit la conjonction de plusieurs facteurs entraînant l’économie au bord de l’asphyxie.

Au deuxième semestre 2011, le forint perd 20% de sa valeur face à l’euro. Le crédit se fait de plus en plus rare, et nombreux sont les ménages en défaut de paiement car leurs mensualités (exprimées en devises étrangères) ont biens souvent doublé. À l’automne, les obligations hongroises sont jugées par les agences de notation Standard and Poor’s et Moody’s comme des “investissements spéculatifs” , témoignant des doutes quant à la capacité du gouvernement de faire face à ses engagements. Par conséquent, le taux de refinancement à 10 ans de l’État hongrois avoisine les 10%, un coût prohibitif (à l’époque, ce taux en Espagne et en Italie est légèrement inférieur à 7%). Devant cette impasse, le nouveau Premier ministre, Viktor Orbán, demande en octobre une deuxième aide au FMI. À ce jour, un accord demeure à trouver.

La politique économique court-termiste du gouvernement Orban : garder la tête hors de l’eau en pénalisant les compagnies étrangères et les classes moyennes

Les réformes économiques entreprises entre 2008 et 2010

Dès 2006, en vue de l’entrée dans la zone euro, mais surtout en 2009, la Hongrie s’est engagée à mener une politique d’austérité afin d’assainir ses finances publiques. Les principales mesures prises furent une hausse de la TVA à 25% (aujourd’hui à 27%) ; une hausse de l’âge légal du départ à la retraite, porté à 65 ans ; le gel des salaires des fonctionnaires pour deux ans ; la suppression du treizième mois des retraités ; la baisse des aides publiques à l’agriculture et aux transports publics.

Viktor Orbán, arrivé au pouvoir en avril 2010, a instauré, entres autres, une taxe temporaire sur l’ensemble du secteur financier. Objectifs : prélever 0,45% de l’actif net des banques (calculée sur le chiffre d’affaires), de taxer à hauteur de 5,2% les revenus des compagnies d’assurance et de 5,6% les autres entités financières (bourse, agents financiers, gérants de fonds d’investissement…). Cette mesure devait rapporter environ 650 millions d’euros de recettes annuelles pendant deux ans (en 2010 et 2011), soit environ 0,8% du PIB selon le gouvernement. Un système d’imposition à taux unique ou “flat tax” (16%) a également été mis en place.

Pour éviter la faillite, le gouvernement Orbán a mis en oeuvre une politique économique présentée comme “novatrice” , mais jugée par la plupart des économistes hongrois et européens comme dangereuse. Il s’agit en effet de mener la “guerre de la dette” en restreignant le plus possible les dépenses publiques (éducation, santé, culture) et en levant de nouveaux impôts, à la fois sur les sociétés étrangères (multinationales et banques) et sur une population économiquement à bout. Objectif : ramener à tout prix le niveau de la dette à 66% PIB pour 2014, et à moyen terme, respecter la “règle d’or” introduite par la nouvelle Constitution, qui la plafonne à 50% du PIB. Cela pourrait fonctionner à court terme, mais se révéler plus coûteux encore à moyen et long termes.

Les marchés financiers et les investisseurs étrangers sont inquiets du virage entamé depuis 2010. Ils ont fait face à la nationalisation de fonds de pension privés, fournissant pour un temps les ressources nécessaires à la survie économique ; à l’introduction de taxes spéciales prélevées sur certaines banques étrangères et sur des chaînes de grandes distribution comme Tesco ; et enfin, à la conversion partielle en forints hongrois des dettes immobilières exprimées en devises étrangères. Cette mesure phare, présentée en septembre 2011, prévoit le remboursement précoce des dettes privées à un taux inférieur à celui du marché. Conséquence : une perte de fonds pour les banques étrangères (s’élevant à six millions d’euros pour les seuls établissements autrichiens). Si cela a introduit une bouffée d’air frais pour les 140 000 ménages en défaut de paiement, la conséquence principale est une perte de confiance radicale et un tarissement du canal du crédit dans une économie déjà exsangue.

Finalement, la politique menée par le gouvernement Orbán constitue un virage à 180 degrés en comparaison des orientations choisies à la chute du rideau de fer. Alors qu’on misait tout sur l’ouverture, il s’agit maintenant de se prémunir contre la perte d’indépendance qui lui est liée. Cette rhétorique a pris le nom de “patriotisme économique” , expression familière à nos oreilles, mais qu’Orbán associe à la « lutte contre l’ère des banquiers et de l’Occident ». Pour les sociétés étrangères devant acquitter une “taxe de crise” (comme, en France, Veolia, EDF, Suez, Auchan), il s’agit simplement d’une violation du droit européen de la concurrence.

La population est aussi mise à contribution pour éponger la dette.

Extrait du communiqué de presse de la Commission européenne en date du 5 février 2013 relatif à l’ouverture d’une procédure d’infraction contre la Hongrie

“La nouvelle loi en question permet au ministre de siéger en personne aux réunions du conseil monétaire de la banque (centrale), offrant ainsi gouvernement la possibilité d’influencer la MNB de l’intérieur. De même, la MNB doit envoyer à l’avance au gouvernement l’ordre du jour de ses réunions, ce qui compromet la confidentialité de ses débats. Par ailleurs, les modifications apportées au système de rémunération du gouverneur sont de nouveau applicables immédiatement au gouverneur en place, alors qu’elles ne devraient s’appliquer qu’à partir du prochain mandat, afin d’éviter l’utilisation des rémunérations pour faire pression sur la banque. Enfin, le gouverneur et les membres du conseil monétaire doivent prêter un serment (de fidélité au pays et à ses intérêts) dont le texte pose problème du fait que le gouverneur de la MNB siège aussi au Conseil général de la Banque centrale européenne.”

Les classes moyennes sont les premières victimes : introduction d’un impôt unique à 16% (“flat tax”) qui frappe plus durement les faibles et moyens revenus ; hausse de la TVA de 25 à 27% (taux le plus élevé d’Europe) pour les produits de première nécessité, le gaz et l’électricité ; relèvement des tarifs de santé et introduction de droits d’entrée à l’université (jusqu’à 1150 euros par semestre) ; réforme du marché du travail avec réduction de la période d’allocation chômage (de 270 à 90 jours) et de son montant, et introduction d’un système de travail d’intérêt général obligatoire pour les chômeurs et les inactifs donnant droit à une rémunération de 160 euros par mois.

Pourtant, d’un point de vue économique, l’efficacité de ces réformes est incertaine. Actuellement, un Hongrois sur trois est à la limite du seuil de pauvreté et quatre millions de personnes disposent d’un revenu inférieur au minimum vital (5000-6000 euros par an). En sapant le système de protection sociale, on supprime également le mécanisme des stabilisateurs économique qui permet de maintenir un certain niveau de consommation, et donc de recettes nationales, indépendamment de la conjoncture. Enfin, le marché du travail sinistré fait émigrer de plus en plus d’étudiants et diplômés (200 000 à 300 000 personnes auraient émigré depuis le début de la crise), privant ainsi le pays d’une main d’oeuvre jeune, bien formée et attrayante. L’objectif de créer un million d’emplois entre 2010 et 2020 afin de rattraper la moyenne européenne, tant mis en avant pendant la campagne de 2010, s’éloigne inexorablement.

L’une des conclusions possibles face à ce diagnostic est que l’interpénétration de la politique et de l’économie en Hongrie, et de la soumission du second au premier, a causé beaucoup de tort au pays et à son image internationale. Les critiques de la BCE, du FMI et des États-Unis face à loi restreignant l’indépendance de la “Magyar Nemzeti Bank” , la Banque Centrale nationale, en témoigne. Le 5 février dernier, la Commission européenne a d’ailleurs ouvert une procédure d’infraction accélérée contre la Hongrie à ce motif (voir encadré). De là à dire que la menace principale qui pèse sur l’économie hongroise est son propre gouvernement…

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