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La création du brevet européen n’est pas un long fleuve tranquille

Alors que le brevet européen semblait enfin aboutir politiquement, une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne remet en cause sa mise en place. La Cour de Luxembourg a rejeté mardi 8 mars toute création d’une juridiction spécifique, en dehors du cadre institutionnel de l’Union, pour gérer les litiges sur des brevets. Pour Michel Barnier, cette question du tribunal est indépendante de celle du brevet unique européen.

Dix ans après la proposition par la Commission européenne de créer un brevet européen, les ministres européens de l’Industrie doivent débloquer jeudi 10 mars ce dossier grâce en utilisant la procédure de coopération renforcée.

Actuellement, le dépôt d’un brevet doit être validé pays par pays dans l’Union européenne. Or le coût devient exponentiel pour les entreprises européennes, du fait des traductions à réaliser. Un vrai frein pour les petites et moyennes entreprises, alors que pour leur concurrentes chinoises, américaines ou indiennes, il n’y a qu’un seul dépôt à effectuer. Le brevet européen a pour objectif de permettre la reconnaissance automatique du brevet déposé dans tous les pays et réduire fortement le nombre de traductions nécessaires, donc leur coût.

Article 20 §2 TUE : la décision autorisant une procédure de coopération renforcée est adoptée par le Conseil en dernier ressort, lorsqu’il établit que les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent pas être atteints dans un délai raisonnable (…) et à condition qu’au moins neuf Etat membres y participent

Or, jusqu’au traité de Lisbonne, l’unanimité requise pour faire avancer ensemble les pays européens sur cette question n’était jamais obtenue, du fait de l’opposition très forte de l’Italie. En novembre 2010, c’est la question linguistique qui a poussé l’Espagne à refuser de signer l’accord, qui prévoyait que les brevets européens ne soient enregistrés que dans trois langues (anglais, allemand et français). L’Italie soutient le gouvernement ibérique au nom de cette cause, mais il est clair que c’est le principe même de brevet européen qu’elle rejette.

Les 25 autres pays de l’Union européenne ont donc décidé de contourner les derniers réfractaires en utilisant la coopération renforcée sur ce sujet. Cette possibilité offerte par le traité d’Amsterdam et renforcée par le traité de Lisbonne n’a été jusqu’à présent utilisée qu’une seule fois, en 2010 : quatorze pays ont adoptée une législation commune pour simplifier les procédures de divorce des couples binationaux.

La CJUE ne veut pas d’un droit parallèle au droit européen

Dans le cadre de cette coopération renforcée, était prévue la mise en place d’une juridiction spécifique, en dehors du cadre institutionnel de l’Union, pour gérer les litiges sur des brevets. La “Cour européenne des brevets” aurait été constituée d’un tribunal de première instance (avec une division centrale et des divisions locales et régionales dans les différents États membres) et une cour d’appel. Elle aurait eu une compétence exclusive pour les procédures relatives aux brevets européens délivrés par l’Office européen des brevets (OEB) et de la protection via le brevet unique. La Cour européenne des brevets avait pour obligation de faire un renvoi préjudiciel à la CJUE en cas de doute sur l’interprétation du droit communautaire.

Mardi 8 mars, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu son avis (Avis 1/09) à ce sujet. Pour elle, “l’accord, en attribuant une compétence exclusive pour connaître un important nombre d’actions intentées par des particuliers dans le domaine du brevet communautaire ainsi que pour interpréter et appliquer le droit de l’Union dans ce domaine à une juridiction internationale, qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union, priverait les juridictions des États membres de leurs compétences concernant l’interprétation et l’application du droit de l’Union ainsi que la Cour de la sienne pour répondre, à titre préjudiciel, aux questions posées par lesdites juridictions et, de ce fait, dénaturerait les compétences que les traités confèrent aux institutions de l’Union et aux États membres qui sont essentielles à la préservation de la nature même du droit de l’Union” .

Pas de remise en cause du brevet européen pour autant ?

L’Italie a fait savoir sa satisfaction de la décision de la Cour basée au Luxembourg. Elle se réservait même la possibilité de saisir à nouveaux les juges européens sur la légalité de la procédure de coopération renforcée. Elle serait alors suivie par le gouvernement espagnol dans cette action.

Côté Commission européenne, on essaye de voir le verre à moitié plein plutôt que celui à moitié vide. Dans son communiqué de presse où elle “salue la décision prise par la Cour de Justice” , la Commission européenne par le biais de Michel Barnier estime que “l’avis ne devrait avoir aucun impact sur la décision que vont prendre les États membres jeudi 10 Mars lors du Conseil Compétitivité qui suit le consentement du Parlement européen autorisant le passage à une coopération renforcée sur le brevet unique” . La création du brevet européen serait donc juridiquement distinct de la création de la Cour européenne des brevets. Même vision au cabinet d’Eric Besson, ministre français de l’Industrie, où on estime que “l’avis de la CJUE apporte des clarifications importantes, utiles et mêmes nécessaires pour examiner toutes les options possibles et poursuivre les travaux” .

Chez les socialistes français, l’eurodéputée Françoise Castex estime qu’avec cette nouvelle juridiction, “on pouvait craindre la validation d’un certain nombre de jurisprudences abusives de l’OEB et des jugements surprenants à venir sans garantie véritable du respect des institutions et des juridictions communautaires” . Côté PPE, la députée européenne Marielle Gallo déclare “regrette[r] l’avis défavorable qui constitue un nouvel obstacle d’ordre juridique, même si je comprends la motivation en droit de la CJUE” . Pour autant, elle se veut rassurante : “cette difficulté n’entame en rien notre volonté politique d’aboutir à l’instauration d’un brevet européen et d’un système unifiée de règlement de litige” .

Les difficultés de mise en place de ce brevet unique européen ont pour conséquence de freiner le nombre de dépôts de brevet en Europe. Notre continent consacre moins de 2% de sa richesse à la recherche, alors que les Etats-Unis et la Chine y investissent 3% de leur PIB.

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