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L’Union européenne et le football

L’Europe du football et la construction européenne ont connu des développements parallèles, avant que leurs trajectoires se rejoignent en 1995, à la faveur de l’arrêt Bosman. Cette décision de la Cour de justice des Communautés européennes a bouleversé en profondeur le paysage footballistique européen.

Aujourd’hui, l’Union européenne continue d’appréhender le football principalement sous l’angle de la concurrence - et dans une moindre mesure, sous celui de l’éducation et de la formation. Mais face aux questions soulevées par certaines évolutions du monde du ballon rond, de nombreuses voix appellent aujourd’hui à la création d’une véritable politique européenne du sport.

L’arrêt Bosman et ses avatars

Si le 13 février 2005 est resté dans les annales du championnat anglais, ce n’est pas parce que ce jour là l’équipe d’Arsenal a écrasé Crystal Palace sur le score de 5 buts à 1, mais parce que le club vainqueur ne comptait dans ses rangs aucun joueur britannique. Pas même sur le banc des remplaçants. D’un point de vue symbolique, ce match a marqué l’aboutissement d’un mouvement de fond initié dix ans auparavant par l’une des rares décisions de la Cour des justices des Communautés européennes connues du grand public : l’arrêt Bosman.

Paradoxalement, l’affaire qui a servi de déclencheur à la libéralisation tant critiquée des règles du football européen avait pour motif la défense des droits d’un salarié face à son employeur. Le footballeur belge Jean-Luc Bosman contestait les règles de l’UEFA qui, selon lui, avaient entravé son transfert du RFC Liège vers le club de Dunkerque. Principal point de litige : l’obligation faite au club qui souhaitait recruter un joueur en fin de contrat de verser des indemnités de transfert à son précédent employeur. La CJCE a jugé cette pratique incompatible avec les règles communautaires consacrant la libre circulation des travailleurs.

Par la même occasion, la Cour a condamné la règle de l’UEFA limitant à trois par équipe le nombre de joueurs ressortissants d’un pays de l’UE. A travers cette décision, elle a estimé que le sport était une activité économique à part entière auxquelles devaient s’appliquer les règles du marché intérieur.

A la suite de l’arrêt Bosman, rendu le 15 décembre 1995, la Commission européenne a notifié à la FIFA et à l’UEFA que leurs régimes de transferts et les quotas de nationalité étaient contraires au droit communautaire, menaçant de sanctions les plus hautes instances du football. Dès la saison 1996-1997, l’UEFA abolissait les quotas pour les ressortissants des pays membres de l’UE, une décision qui a entraîné l’explosion du marché des transferts.

En 2002, une décision du Conseil d’Etat a provoqué un nouveau séisme dans le milieu sportif : l’arrêt Malaja. Une joueuse de basket polonaise du nom de Lilia Malaja s’est plainte d’être comptabilisée comme une joueuse “extracommunautaire” , alors que la Pologne était liée à l’UE par un accord d’association. Le Conseil d’Etat lui a donné raison, étendant la jurisprudence de l’arrêt Bosman aux pays signataires d’accords de coopération ou d’association avec l’UE - soit à l’époque vingt-quatre pays essentiellement d’Europe de l’Est et du Maghreb.

L’année suivante, l’arrêt Kolpak rendu par la CJCE a confirmé ce jugement à l’échelle de l’Union européenne. Ces décisions ont été diversement accueillies dans le monde du football. Certains se sont inquiétés d’une dérégulation du marché susceptible d’accroître l’écart entre les gros clubs et les équipes plus modestes. Le règlement UEFA sur les transferts mis en cause par l’arrêt Bosman permettait en effet de maintenir un certain équilibre financier et sportif entre les équipes, en rémunérant les clubs qui investissaient dans la formation.

Une régulation fragile

Dans les années qui ont suivi l’arrêt Bosman, un certain nombre de règles ont été établies sous l’égide de la Commission pour éviter que le marché du football ne soit livré au seul jeu de l’offre et de la demande. Les efforts ont surtout porté sur la régulation du marché des transferts, notamment l’indemnisation des clubs formateurs. Par ailleurs, la Commission a déclaré qu’elle ne s’opposait pas à l’attribution par un Etat membre de subventions destinées au financement des centres de formation des jeunes joueurs, parce que celles-ci ont un faible impact sur la compétition entre grands clubs et qu’elles répondent à un objectif d’éducation et d’intégration.

Il existe par ailleurs un certaine nombre de règles, appelées “règles sportives” , sur lesquelles le droit européen de la concurrence n’a aucune emprise : la taille des poteaux, le nombre de joueurs par équipe, mais aussi le système de sélection pour les compétitions internationales, comme la Commission a eu l’occasion de le préciser par le passé. Mais en l’absence de critères précis ancrés dans le droit, le champ de ces “règles sportives” demeure incertain, car soumis aux éventuels revirements de jurisprudence.

Ainsi, le monde du football vit depuis quelques mois dans la crainte d’un nouvel arrêt Bosman, dont les répercussions pourraient s’étendre jusqu’aux sélections nationales. Là encore, tout est parti de Belgique, où un club de première division, le Sporting Charleroi, a réclamé à la FIFA plus de 600 000 euros de dommages et intérêts pour suite à l’indisponibilité de son joueur Abdelmajid Oulmers, blessé au cours d’un match amical avec la sélection du Maroc.

Dans cette affaire, le Sporting Charleroi bénéficie du soutien du puissant G14, groupement des 18 équipes parmi les plus riches d’Europe, qui accuse la FIFA de disposer à sa guise - et gratuitement - des joueurs rémunérés par les clubs.

Le 15 mai dernier, le tribunal de commerce de Charleroi a saisi la CJCE qui doit désormais donner sa lecture de l’affaire au regard du droit communautaire. Si, comme l’espère le G14, la FIFA se voyait accuser d’abus de position dominante ou de restriction illicite de concurrence, les fédérations pourraient être contraintes d’indemniser les clubs à l’occasion des rencontres internationales. Un vrai cauchemar pour ceux qui, à l’instar de Michel Platini, considèrent que les sélections nationales sont le dernier rempart contre le “football business” .

Vers une politique européenne du sport ?

Le Parlement européen pourrait donner une impulsion politique afin que la spécificité du sport soit reconnue
Michel Platini, L’Equipe Magazine, 28 janvier 2006

Ceux qui redoutent une soumission totale du football aux règles de la concurrence pensent que la solution passe par la reconnaissance de la spécificité du sport au niveau européen.

Si l’UE n’a pour l’heure aucune compétence en la matière, les institutions communautaires reconnaissent ses fonctions sociales et culturelles. La Direction générale de l’éducation de la Commission européenne mène régulièrement des actions en faveur de la promotion du sport, comme en 2004 lorsqu’elle avait organisé l’année européenne de l’éducation par le sport.

Mais la reconnaissance par l’UE du sport en tant que tel progresse assez lentement. En 1997, une déclaration adoptée en marge du Traité d’Amsterdam a souligné “l’importance sociale du sport et en particulier son rôle de ferment de l’identité et de trait d’union entre les hommes” .

Deux ans plus tard, la Commission a remis au Conseil européen un rapport relatif à la “sauvegarde des structures sportives actuelles et [au] maintien de la fonction sociale du sport dans le cadre communautaire” , plus connu sous le nom de rapport d’Helsinki sur le sport.

Le rapport d’Helsinki pointe plusieurs phénomènes liés aux évolutions récentes du sport : dopage, prépondérance de la logique commerciale au détriment de la logique sportive, tendance des grands clubs à s’organiser entre eux (à l’image du G14) au détriment des fédérations nationales garantes de l’équité sportive, différences de législation fiscale qui créent des inégalités entre les clubs, etc.

La Commission y fait plusieurs propositions destinées à “concilier la dimension économique du sport avec sa dimension populaire, éducative, sociale et culturelle” , mais en l’absence de véritable politique commune, leur mise en œuvre dépend en grande partie de la bonne volonté des acteurs concernés au premier chef, à savoir les Etats membres et les organisations sportives. La Convention sur l’avenir de l’Europe a permis aux mouvements qui réclamaient depuis longtemps la création d’une politique commune du sport d’être enfin entendus.

Le Traité établissant une Constitution pour l’Europe fait mention du sport et notamment de ses fonctions éducative et sociales à l’article III-182. Surtout, l’article 16 inclut le sport parmi les domaines dans lesquels l’Union peut mener des actions d’appui, de coordination ou de complément. Cette base juridique permettrait la mise en œuvre d’une politique européenne dans le domaine sportif. Mais le sort du Traité constitutionnel est aujourd’hui incertain.

Cette péripétie n’empêche pas les acteurs concernés de continuer à réfléchir aux questions soulevées l’évolution du football. Ainsi, le Parlement européen a organisé le 3 mai dernier une audition publique sur le thème “Football professionnel : marché ou société” , et l’ancien ministre des sports portugais José Luis Arnault devrait rendre en décembre prochain une étude sur le football européen commandée par la Commission. Les recommandations qui y seront faites devraient encourager le législateur européen à combattre certaines dérives, même si l’absence de compétences pourrait bien handicaper son action.

- Entretien avec Frédéric Bolotny, Economiste au Centre de droit et d’économie du sport de Limoges, spécialiste des enjeux économiques du football.

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