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  • Synthèse

L’impact de la crise sur la relation à l’Europe

En ce mois de janvier 2013, un anniversaire passe largement inaperçu : le Danemark souffle les 40 bougies de son adhésion à l’Union européenne, en même temps que le Royaume-Uni et l’Irlande. C’est donc l’occasion de prendre un moment pour se demander ce qui, en quarante ans, a changé ou non dans les relations entre Copenhague et Bruxelles. Le Danemark, au départ motivé par le projet européen en raison d’un pragmatisme économique, a-t-il vu son positionnement dans l’Union évoluer au cours du temps, particulièrement depuis le début de la crise ?

Une adhésion motivée par un pragmatisme économique plutôt qu’un idéalisme européen

Le Danemark a rejoint l’Union européenne dès la première vague d’élargissement (1973), à la suite du référendum du 2 octobre 1972 au cours duquel 63,3 % des Danois avaient dit “ja” . Pourtant, quarante années d’adhésion au projet européen ne semblent pas avoir fait de cet État un grand euro-enthousiaste : le rejet du Traité de Maastricht en 1992, les quatre clauses dérogatoires à la coopération communautaire qui suivirent, autrement appelées « opting-out » (Union économique et monétaire (UEM), politique européenne de sécurité et de défense (PESD), coopération policière et judiciaire en matière pénale (JAI), citoyenneté de l’Union européenne), le “non” au référendum sur le passage à l’euro en 2000, ou encore la suspension des Accords de Schengen sur la libre circulation des personnes à l’été 2011 en attestent. L’attitude danoise vis-à-vis de l’intégration européenne est traditionnellement prudente, et son engagement, partiel.

Initialement, le Danemark avait préféré suivre la voie ouverte par le Royaume-Uni, celle de l’Association européenne de libre-échange (AELE). Créé en 1960, elle se voulait une simple union douanière (n’impliquant aucun transfert de souveraineté à l’échelle supranationale), et une concurrente directe du marché commun européen Ses candidatures de 1961 puis de 1967 suivent celle de son voisin, le Royaume-Uni, avec qui il partage un fort degré d’interdépendance économique.

La promesse d’un grand marché agricole commun dans lequel pourraient se déverser les exportations danoises (l’un des piliers de l’économie nationale) a également joué un rôle dans ce revirement. En bref, l’adhésion danoise découle plus d’un pragmatisme économique que d’un idéalisme européen, incarné dans d’autres États membres par le souhait des “États-Unis d’Europe” , grande fédération d’États dépassant le cadre de l’État-nation. D’ailleurs, dans un sondage réalisé avant le référendum de 1972 par l’institut de sondage Kasper Vilstrup, 60 % des partisans de l’adhésion n’étaient motivés que par des raisons économiques et seuls 13 % ont dit être motivés par l’idéal européen.

Cette prudence vis-à-vis de tout ce qui a trait à l’Europe politique est liée à l’histoire d’un État traditionnellement protecteur de sa souveraineté nationale, favorable à la coopération nordique et la paix européenne depuis le milieu du 19ème siècle. Comme le soulignent Lykke Friis (femme politique danoise) et Jonas Parello-Plesner (chercheur danois) dans un article pour le think tank European Council on Foreign relations, l’élite politique danoise se garde bien de prononcer le mot tabou commençant par la lettre “F” : fédération (ainsi que “drapeau” , ou “euro”). Les opting-out en matière de PESD et de JAI illustrent parfaitement cette réticence à voir dans l’Union beaucoup plus qu’un partenaire économique. Ils ont pour conséquence, entre autre, que le pays ne peut participer à la lutte européenne contre le trafic d’êtres humains. Ces clauses opting-out, introduites pour la première fois à la demande du Danemark en 1992, entraînent le désengagement systématique de Copenhague de toute coopération supranationale légale, à la différence du Royaume-Uni qui peut décider au cas par cas.

Le paradoxe danois : une adhésion précoce couplée à un euroscepticisme continu

Il existe donc un paradoxe danois : d’une part, le Danemark a adhéré de façon précoce à l’Union dans laquelle il est considéré comme un “élève modèle” . Ainsi, il est souvent premier de la classe en ce qui concerne le respect du droit européen (comme du droit international) et des obligations qui en découlent, par exemple au niveau budgétaire. Il a également joué un rôle moteur dans la mise sur l’agenda européen des problématiques liées au changement climatique et à l’économie verte, et les deux présidences danoises du Conseil en 1993 et 2002 ont significativement fait avancer l’Union sur le dossier de l’élargissement aux PECO (pays d’Europe centrale et orientale). Pourtant, on entend souvent dire que la société danoise serait traditionnellement eurosceptique. Si euroscepticisme il y a, il importe cependant de souligner sa nature particulière, car le paradoxe danois ne se laisse pas saisir si facilement…

On peut comprendre le phénomène eurosceptique avec Catharina Sørensen comme un “sentiment de désapprobation, caractérisé par un certain degré et une certaine durée, dirigé vers l’UE dans sa totalité ou envers certains développements ou politiques en particulier” . Les résultats des sondages eurobaromètres, menés depuis 1973, ont donné, concernant le Danemark, des résultats atypiques, le distinguant par exemple du Royaume-Uni ou encore de ses voisins finlandais et suédois. Ainsi, on observe qu’au cours de quarante années d’adhésion, les Danois ont toujours revendiqué un sentiment réel d’appartenance à l’UE.

Les derniers résultats pour le printemps 2012 montrent que, même en plein coeur de la crise, 75% des citoyens danois disent se sentir Européens, soit 14 points de plus que la moyenne européenne. À la même époque, 49% ont exprimé leur confiance dans l’UE, une proportion certes minoritaire mais tout de même supérieure de 18 points à la moyenne. D’ailleurs, depuis le début de la crise, ce taux a oscillé entre 49 et 61%, constamment supérieur à la moyenne européenne. Les Danois jouent également le jeu européen, puisqu’en 2009, ils étaient 59,5% à se déplacer aux urnes pour élire leurs eurodéputés, une proportion supérieure de 16 points à la moyenne européenne (43%), et les taux de participation aux référendums sur les questions européennes sont toujours élevés (entre 69 et 90%). In fine, il apparaît que les Danois ne sont pas de plus “mauvais Européens” que les autres, au contraire. La majorité d’entre eux ne remettent plus en cause l’appartenance de leur pays à l’Union. Leurs résultats sont sans commune mesure avec ceux des Anglais, qui étaient seulement 16% à faire confiance à l’UE au printemps 2012. De là, peut-on dire que l’euroscepticisme danois relève largement du mythe ?

Un euroscepticisme lié à la peur d’une perte de souveraineté

Le peuple danois a désavoué par deux fois les élites politiques sur les questions européennes : en 1992 et en 2000. La majorité des partis politiques danois sont, en effet, favorables à l’intégration européenne et à sa poursuite vers une dimension plus politique. En 1992 par exemple, 130 députés contre 25 avaient voté en faveur du Traité de Maastricht. Ce double non en moins de dix ans a contribué à réduire la marge de manoeuvre des élites politiques autour des questions européennes, devenues très sensibles, et auxquelles seul un référendum peut apporter une solution.

Les réponses à cette prudence face à l’Europe politique sont à chercher dans la nature de l’euroscepticisme, qui n’est pas économique mais lié à la conception de la souveraineté. Le Danemark est un véritable État-nation à l’histoire longue et très fier de sa culture. On y privilégie la coopération intergouvernementale aux mécanismes supranationaux car toute coopération politique supranationale est vue comme une potentielle menace la à souveraineté et l’identité nationale. En outre, la Constitution danoise ne rend possible un partage de souveraineté que dans trois hypothèses : par une majorité de 5/6 au Parlement, par deux votes à la majorité simple au Parlement, mais séparés par des élections, ou par référendum. D’où le record du nombre de référendums “européens” détenu par le Danemark, pratique menant à une certaine polarisation des attitudes.

Le dilemme atlantisme v/s continentalisme

Certains expliquent également la prudence danoise vis-à-vis de l’Europe politique, en particulier militaire par son incarnation dans la PESD, comme le reflet de sa “préférence atlantique” soit sa propension à agir en harmonie avec la politique américaine. Les causes de cette fidélité vont au-delà de la libération du pays par les troupes du Général Montgomery en “date” , mais également dans le souci de préserver l’autonomie vis-à-vis d’un éventuel condominium franco-allemand et de la superpuissance en général. Henry Kissinger, rappelant la logique fondamentale de l’atlantisme, disait d’ailleurs surtout les pays les plus petits redoutent que l’intégration européenne résulte en une hégémonie de leurs puissants voisins. Ils ne voient aucun avantage dans une Europe autonome (des Etats-Unis). Puisqu’ils doivent suivre le pas d’un pays dominateur à chaque fois, ils préfèrent l’hégémonie d’un allié situé à 3 000 miles de distance ayant pour tradition d’utiliser le pouvoir avec modération”.

La participation du Danemark aux côtés de G.W. Bush aux opérations en Irak par le Gouvernement de Anders Fogh Rasmussen (désormais Secrétaire Général de l’OTAN) a d’ailleurs été par vu certains comme le signe d’un “super atlantisme” . In fine, selon le chercheur danois Hans Mouritzen, “l’ambiguïté de la politique étrangère danoise réside dans son positionnement en équilibre entre l’Union européenne et les Etats-Unis, ou comment tendre vers l’un sans exclure ou se faire discréditer par l’autre” . Malgré des tentatives pour prendre en mains le dialogue États-Unis- Union européenne, des difficultés pratiques certaines découlent de cette ambiguïté fondamentale, comme l’impossibilité de participer à des opérations militaires sous le drapeau européen. Ce fut le cas lorsque l’UE a pris le relai de l’OTAN en Macédoine et en Bosnie. Une stratégie pas forcément viable à long terme.

Crise, alternance gouvernementale et euroscepticisme : tout change et tout reste pareil

Les élections législatives de septembre 2011 ont conduit au pouvoir une alliance de centre-gauche menée par la sociale-démocrate Helle Thorning-Schmidt. Sans aller jusqu’à parler de rupture, on a pu observer un réel changement dans la conception des rapports Danemark-UE. Madame Thorning-Schmidt, ancienne eurodéputé et élève du Collège de Bruges, s’est distinguée (notamment du “super atlantiste” A.F. Rasmussen) par sa volonté de renouer avec l’esprit européen. Pour la première fois, un ministère dédié uniquement aux affaires européennes a été créé, et deux clauses opting-out (PESD et JAI) sont censées être ouvertes à référendum. Une façon d’inscrire plus fortement la présence du Danemark dans la formation de l’Europe en devenir, mais qui est restée lettre morte depuis la fin de la présidence de l’Union.

Comme le mettent en lumière Lykke Friis et Jonas Parello-Plesner, la situation idéale pour le Danemark serait de maintenir le statut quo c’est à dire d’éviter que l’Europe n’avance vers plus d’intégration. Ce souhait est néanmoins devenu chimérique face aux développements liés à la crise, entraînant une réflexion sur le rôle du Danemark dans la formation des contours de l’Europe à venir. Du fait des problèmes de crédibilité liés aux opting-out, la capacité d’influence du pays est plutôt faible : il serait assez étrange que celui qui a initié l’Europe à deux vitesses soit celui qui plaide pour une Union solidaire à 27. Son engagement partiel entraîne donc une marginalisation des centres de décision plus ou moins coûteuse : songeons que le Danemark ne peut participer aux réunions de l’eurozone alors que la couronne est liée aux évolutions de l’euro. La porte de sortie de ce dilemme n’est pas à chercher dans l’adoption de la monnaie commune, à laquelle seulement 22% des Danois étaient favorables à l’automne 2012. En attendant de définir plus explicitement sa position, le pays donne des gages de bonne volonté par exemple en adoptant le pacte fiscal européen, et en rejetant l’option britannique d’une renégociation des termes de l’adhésion.

In fine, les frilosités danoises à aller plus loin dans le projet européen traduisent surtout les lignes de partage entre les eaux nationales et européennes. Il est certains domaines, par exemple monétaire, pour lesquels l’intervention de l’Union est jugé inutile voire contreproductive. Comme le rappelait au printemps 2011 le quotidien allemand de centre-gauche Süddeutsche Zeitung, au sujet de Schengen : “La plupart des partis danois sont pourtant pro-européens et ne songeraient jamais à remettre vraiment en cause la liberté de circulation. Mais ils ne veulent pas non plus défendre cet acquis. Le problème de l’UE, ce ne sont pas ses opposants comme le Parti populaire. Le problème, c’est la lâcheté de ses partisans” .

L’audience réduite du Mouvement Populaire contre l’UE, qui a un seul eurodéputé au Parlement européen, témoigne de l’absence d’opposition au projet européen en tant que tel. Ce sont donc principalement des interrogations sur le rôle du Danemark dans l’Europe qui préoccupent les citoyens, le gouvernement et les partis politiques danois. Des questionnements qui peuvent se révéler bénéfiques quand ils mettent en lumière le souhait d’une Europe plus démocratique, transparente, respectueuse des spécificités nationales.

Le Danemark joue ainsi un rôle leader dans la réflexion sur le contrôle par les Parlements nationaux de l’action de l’Union et l’idée d’Europe à deux vitesses, défendue comme porte de sortie de crise par Madame Thorning-Schmidt lors de son discours au Collège d’Europe en octobre 2012, peut se révéler bénéfique (voire Schengen ou l’UEM), et doit être distinguée d’une forme d’euroscepticisme. Quoiqu’il en soit, la réalité est celle de l’urgence pour le Danemark de définir clairement son positionnement dans une Europe en pleine mutation, au risque de se retrouver à sa périphérie.

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