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L’extrême droite en Grèce : bilan sur une évolution inattendue

Avec 14% de l’opinion publique grecque qui lui est favorable selon un récent sondage, la montée du parti néonazi grec Aube dorée soulève de nombreuses questions tant au niveau européen qu’au niveau national. Toute l’Europe.eu fait le bilan de son évolution historique et politique afin de mieux comprendre la réussite surprenante de ce parti. Retrouvez également les analyses sur la montée de l’extrême droite d’Ana Dumitrescu, réalisatrice du documentaire “Khaos”, et de Dimitris Psarras, journaliste et auteur du livre “La Bible noire de l’Aube dorée”, interviewés par Toute l’Europe.eu.

Un peu d’histoire…

La montée récente de l’extrême droite en Grèce

En France, l’apparition du Front national date de 1972, même si ce n’est qu’aux élections municipales de 1983 que le parti enregistre ses scores significatifs. Le LAOS (Alerte populaire orthodoxe) grec lui n’apparaît qu’en 2000. Une apparition extrêmement tardive par rapport à d’autres pays qui s’explique, sans doute, par l’histoire grecque et plus précisément par le régime des colonels. Durant les années qui ont suivi la chute du régime des colonels, en 1974, il était quasiment impossible pour un parti d’extrême droite d’émerger et d’être légitimé au sein d’une société grecque encore marquée par les souvenirs traumatisants de la dictature.

Comment naît l’extrême droite en Grèce ?

La création de LAOS dans les années 1990 résulte essentiellement de la chute du socialisme soviétique, de l’explosion des nationalismes balkaniques séparatistes et surtout de l’immigration massive. Le Professeur Andreas Pantazopoulos énumère quatre événements majeurs spécifiques à la Grèce qui ont contribué au renforcement de l’extrême droite. Tout d’abord, la dissolution de l’ex-Yougoslavie, avec la proclamation de la République de Macédoine, a “suscité une énorme vague nationaliste qui a soulevé la quasi-totalité du monde politique, au-delà du clivage bien connu entre gauche et droite” . Le deuxième événement a été l’arrivée massive d’immigrés, notamment d’origine albanaise. Le troisième consiste en “une aggravation des relations gréco-turques lors de l’incident de l’îlot d’Imia, en mer d’Egée, qui s’est terminé finalement par le retrait de la marine de guerre grecque” et le quatrième en “une mobilisation orthodoxe massive au printemps 2000 contre le retrait de l’indication de la religion sur les cartes d’identité” .

Focus sur l’Aube dorée

Un début peu prometteur

Fondée en 1980, l’organisation de l’Aube dorée ne se met réellement en place qu’en 1993. Néanmoins, ses scores électoraux restent insignifiants : à titre d’exemple, elle se présente pour la première fois aux élections législatives de 2009 et obtient le score de 0,29% des voix. Son premier succès se réalise lors des élections municipales de 2010 où elle obtient 5,29% des suffrages et, par conséquent, un siège au conseil municipal d’Athènes.

Une montée de plus en plus inquiétante

Lors des élections du 17 juin 2012, parmi les petits partis, seul le parti Aube dorée se maintient, avec un score de 6,92 % (18 sièges). Nombre d’observateurs s’attendaient à voir la formation reculer après son entrée surprise au Parlement le 6 mai avec 6,97% et 21 sièges.

L’ascension du parti ne s’arrête malheureusement pas au succès électoral de la double élection législative. Selon les sondages publiés tout au long du mois de septembre et octobre, l’Aube dorée se profile comme le troisième parti politique derrière la Nouvelle Démocratie et le Syriza avec un pourcentage qui varie de 8% à plus de 10%. Concernant, plus précisément la popularité du parti, celle-ci a grimpé de 5 points entre les élections du mois de juin et le mois d’octobre selon l’enquête de Public Issue. Celle-ci est plus marquée chez les personnes de 45 à 54 ans et dans les classes sociales le plus pauvres.

Vendredi 19 octobre, un nouveau sondage publié par Athens news a également révélé la progression de l’Aube dorée qui était créditée de 14%. Marilène Katsinopoulou, attachée parlementaire de l’Aube dorée réagit. “Nous savons que les sondages se sont toujours trompés, aux dernières élections (17 juin), nous avions récolté 7% des suffrages, alors que les sondages nous plaçaient à 4% !” (…) Aujourd’hui nous sommes à 15 voire 17% d’intentions de vote!” déclare-t-elle.

L’extrême-droite peut dire merci à la crise ?

Comment se traduit quantitativement la politique d’austérité chez le peuple grec ?

Dans l’Eurobaromètre de 2011, à la question « si depuis le début de la crise, l’Union Européenne a agi de manière efficace », la Grèce est majoritairement critique en répondant que l’UE a été inefficace pour 71% des personnes interrogées.

Le pessimisme et la déception, facteurs déterminants ?

Selon un baromètre économique de la chambre du commerce et de l’industrie d’Athènes, publié en décembre 2011, le pessimisme des Grecs a atteint pour la première fois 88%. Le baromètre économique entre février et début mars 2012, c’est-à-dire après le vote du deuxième mémorandum par le Parlement grec, montre que le pessimisme chez le peuple grec atteint presque des sommets : 84% des sondés considèrent que l’évolution de l’économie grecque ne s’améliorera pas, 11% ne se prononcent pas, et seulement 5% expriment un certain optimisme pour l’avenir. En ce qui concerne la question sur l’éventuelle faillite de la Grèce après les mesures décidées au niveau européen en février 2012, 56% croient à la faillite contre 35%.

Enfin, une étude panhellénique intitulée “évolutions politiques” en février 2012, montre qu’une grande majorité des Grecs utilisent les mots ‘déception’ et ‘colère’ pour exprimer leur sentiment par rapport au gouvernement, aux médias, aux syndicats et à l’opposition politique. 50% des Grecs craignent de perdre leur travail, 9 sur 10 estiment que leur salaire sera diminué et 8 sur 10 demandent l’expulsion immédiate des immigrés clandestins.

Selon la dernière étude de la chambre du commerce et de l’industrie d’Athènes, publiée en septembre dernier, le pessimisme perd quelques points mais celui-ci reste toujours important atteignant, cette fois ci, 81% de la population.

L’extrême-droite, incarnation du mécontentement

Le Professeur Vasiliki Georgiadou, spécialiste de l’extrême droite en Grèce, explique que dans un contexte de crise la position de protestation que l’extrême droite représente est renforcée : “Dans les années 1990 et 2000, le mécontentement général en raison du flux migratoire en Grèce a été instrumentalisé par l’extrême-droite alors que la même chose se passe aujourd’hui en raison de l’explosion de la crise financière qui cause pauvreté et insécurité” .

“L’extrême droite n’offre aucune solution aux opposés mais une sorte de reconnaissance que les raisons de leur mécontentement est tout à fait légitime (…). En général les partis du centre essayent de répondre aux sentiments de protestations avec des propositions politiques. L’extrême droite, au contraire, a comme stratégie de fermement établir ces sentiments de mécontentement” .

Le “khaos” autour de l’extrême droite

Grèce 2012. Khaos, les Visages Humains de la Crise Grecque

Le film, sorti en salles le 10 octobre aborde sans fards - à partir de nombreux témoignages et portraits„ la vie quotidienne du peuple grec, avec Panagiotis Grigoriou (historien et blogueur de guerre économique) pour fil conducteur. C’est un road-movie au rythme du jazz et du rap qui nous mène de Trikala à l’île de Kea, en passant par Athènes, à la rencontre du citoyen grec, du marin pêcheur au tagueur politique.

Le travail d’Ana Dumitrescu est axé autour des problèmes de la société, en y apportant le regard humain de ceux qui les vivent. La réalité de la vie quotidienne des Grecs, souvent absente dans la presse française, est dévoilée dans le documentaire Khaos.


“Le film est un état des lieux au moment de ce tournant. Il est difficile d’incarner une situation en presse écrite, hormis en parlant du vécu d’une personne. On a besoin d’images, qui mises bout à bout ont plus de force. Les gens ont besoin de comprendre la crise autrement que par des mots. Prenez “troïka ou FMI. Cela n’a rien de parlant” a-t-elle expliqué dans un entretien à Touteleurope.eu.

Grand-reporter, Ana Dumitrescu a entre autres travaillé pour l’agence Gamma ou National Geographic, sur des sujets de société tels que les survivants de la déportation Rroms pendant la seconde guerre mondiale, les problèmes liés à l’homophobie en Roumanie ou les travailleurs sans-papiers en France.





“La montée des extrêmes droites, ce n’est pas un phénomène grec, c’est plutôt un phénomène européen” selon Ana Dumitrescu. Il suffit de prendre l’exemple de la Hongrie.


“On est face à une rupture du contrat social et à des structures étatiques très défaillantes. Il y a un an, ces néonazis ne faisaient pas 1%. Aujourd’hui, ils remplacent la police, organisent des épiceries sociales. Quand l’on pointe du doigt les Rroms, les plus faibles, quand notre président dit que si l’on ne vote pas pour lui on va finir comme les Grecs, on entre dans un processus malsain. Quand des personnes haut placées disent que les Grecs ne paient pas d’impôt, on se demande bien quelle analyse ils font de la situation. On cherche des responsables au lieu de chercher des solutions” .


Mais l’Aube dorée doit-elle son succès uniquement à la crise ?

Bien que la crise fût le contexte idéal pour que l’Aube dorée se légitime rapidement et se profile désormais comme “le troisième parti politique” , des formes embryonnaires d’une pensée raciste et xénophobe devaient être présentes auparavant.

La question macédonienne

Dimitris Psarras est né à Athènes en 1953. Il est journaliste et chercheur dans le groupe de réflexion “Ios” . Il a travaillé au journal Eleutherotypia de 1990 jusqu’à 2012. Il est auteur du livre “La main cachée de Karatzaferis : la renaissance télévisuelle de l’extrême droite grecque” paru en 2010 dans les éditions Alexandreia et du livre “La Bible noir de l’Aube dorée” paru en 2012 dans les éditions Polis en Grèce.

Dans les années 1990, certains politiciens, dont Antonis Samaras, ont exprimés des idées très nationalistes, notamment sur la question macédonienne. Mais c’est avec l’Aube Dorée que l’extrême droite est revenue sur le devant de la scène. Et ce parti s’est toujours revendiqué de l’héritage du régime des colonels qui aurait fait échapper la Grèce “au fléau de mondialisation et d’impérialisme” .

“Une mentalité raciste et antisémite sous-jacente”

“Il y avait bien une mentalité raciste et profondément antisémite qui était sous-jacente pendant les dernières décennies en Grèce, malgré la réputation du pays pour son accueil et son hospitalité. L’Aube dorée entame sa première apparition politique lors de la grande manifestation panhéllenique en 1992 sur le sujet de la République de Macédoine. La plupart des partis politiques à l’époque se conduisent à une “hystérie nationaliste” . L’Aube dorée fait donc partie intégrante du courant de pensée politique de l’époque. Ce qui est intéressant, c’est le parallélisme que l’on peut dresser entre l’extrémité des messages et slogans politiques de 1992 et ceux adoptés par l’Aube dorée d’aujourd’hui ” explique Dimitris Psarras dans un entretien à Touteleurope.eu.

L’application limitée de la loi n° 927

On se pose souvent la question de savoir pourquoi les gouvernements grecs n’ont pas jusqu’à présent adopté des mesures visant à prohiber l’entrée de l’Aube dorée au Parlement. “L’inertie de la classe politique s’explique par le fait que le parti néonazi continue à occuper une place très importante au sein des différentes structures étatiques. Tant dans les institutions religieuses (notons bien la différence avec la laïcité française) que dans la police, l’Aube dorée entretient depuis longtemps des contacts importants pour pourvoir être indirectement couverte et soutenue” selon Dimitris Psarras.

Le dispositif juridique pour y faire face existe bel et bien. En revanche, il est rarement appliqué. En 1979, le Parlement grec a adopté la loi n°927 qui punit l’incitation à des actes ou activités susceptibles de se traduire par des actes de discrimination, de haine ou de violence à l’encontre d’individus ou de groupes d’individus sur la seule base de l’origine raciale ou ethnique ou de la religion de ces individus. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en 2009, en examinant le rapport périodique de la Grèce sur les mesures prises par ce pays, avait déjà relevé que “cette loi n’avait fait l’objet que d’une application limitée, essentiellement en raison de la réticence des tribunaux à restreindre la liberté d’expression, mais aussi parce que la Grèce n’a jamais connu de mouvement extrémiste organisé ni de tensions sociales entre différents groupes de la population” .

Même aujourd’hui, alorsque la loi n° 927 pourrait vraiment jouer son rôle, “elle est rarement appliquée” souligne Dimitris Psarras. “Le cadre juridique grec serait parfaitement suffisant pour que le Conseil d’Etat grec puisse baser sa décision et s’opposer, par conséquent, à la participation de l’Aube dorée aux élections législatives et pourtant il ne l’a pas fait malgré les preuves à sa disposition qui pénalisaient le comportement du parti politique bien avant le déroulement des élections” .

Quel rôle pour l’UE ?

Enfin, à la question du rôle que peut jouer l’Europe pour lutter contre la montée inquiétante de l’Aube dorée, Dimitris Psarras nous a répondu qu’il reste très important que l’initiative se prenne tout d’abord au niveau national : “Le Conseil de l’Europe a déjà exprimé son inquiétude face à la montée de l’Aube dorée et l’UE pourrait très bien entamer une campagne paneuropéenne anti-extrême droite. Toutefois, toute initiative prise au niveau européen risque de se percevoir par la population grecque comme encore une intrusion dans les affaires internes du pays. Vu l’hostilité envers l’UE qui représente actuellement le monstre de l’austérité, l’initiative se heurterait au problème de légitimité en Grèce. C’est pourquoi, comme je l’ai souligné de nombreuses fois, il faut que tous les partis politiques se mettent d’accord et commencent ensemble une campagne qui viserait à prohiber l’activité politique de l’Aube dorée et ensuite cette campagne pourrait éventuellement être relayée et coordonnée par l’UE” .

En savoir plus

Baromètres économiques de la chambre du commerce et de l’industrie d’Athènes

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale examine le rapport périodique de la Grèce sur les mesures prises pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

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