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Joel Decaillon : “On ouvre une concurrence entre travailleurs européens qui est extrêmement dangereuse pour l’avenir”

Alors que le Conseil européen a présenté hier ses grandes orientations pour une régulation financière plus efficace, et en faveur d’une gouvernance économique de l’Union européenne, les Etats membres continuent de présenter un à un leur plan d’austérité. Une fausse réponse à la crise selon Joël Decaillon, Secrétaire général adjoint de la Confédération européenne des syndicats, qui appelle l’Europe à soigner la crise par la relance.

Touteleurope : Les plans d’austérité qui se multiplient en Europe suscitent de très fortes réactions sociales. Comment réagissent les syndicats en Europe ?

Joël Decaillon : Il y a eu une réaction commune de l’ensemble des organisations syndicales. Nous avons pris la décision d’une journée d’action le 29 septembre prochain. Nous avons envoyé une première lettre au Conseil qui s’est réuni le 17 juin.

Le premier effet est que les Espagnols ont décidé d’une grève générale le 29 septembre. Les syndicats tchèques feront le même jour une grande journée de mobilisation, et déjà presque toutes les organisations françaises et allemandes répondent à cet appel. On est dans la mise en place d’une très grande journée de mobilisation sociale en Europe - qui sera sans doute l’une des plus grandes.

Touteleurope : Face au problème généralisé de la dette publique, quelle serait l’alternative à ces plans d’austérité qui permette de redresser les comptes publics sans porter atteinte aux minimas sociaux ?

JD : Le déficit public de l’Europe était de 2.5 en 2008. Il est passé à 7.5 en 2010. Cela veut dire que c’est la crise financière qui a accru le déficit public dans tous les pays. Aujourd’hui on transfère tout sur la dette publique et la nécessité pour les Etats de créer l’austérité.

Or l’austérité ne relance pas l’activité économique. Tous les grands économistes, comme Aglietta, Artus ou Fitoussi, ou les économistes anglo-saxons, le disent : une austérité ne colle pas dans une période aussi difficile, sans croissance, et risque de conduire à la récession.

Les Etats-Unis, avec une dette bien supérieure à celle de l’Europe, ont une croissance, plan de relance à l’appui, de 6.5%, alors que la croissance de l’Europe est de 1.5%. L’Europe ne joue pas son rôle ! Le fait de ne pas avoir de plan de relance Européen conduit à une telle situation. Or aujourd’hui, on n’entend que la France et l’Allemagne. Il nous faudrait une Commission active pour que les petits pays puissent eux aussi participer au débat politique sur le développement de l’Europe.

Touteleurope : Comment avez-vous réagi sur la lettre conjointe franco allemande ?

JD : L’Europe oublie pourquoi elle a été créée. Elle a été créée pour exercer la solidarité entre pays pauvres et pays riches, c’était le sens de l’Europe : avoir une unité politique, démocratique et solidaire, une vraie cohésion. Si chaque pays considère que demain il pourra s’en sortir sans s’occuper des autres …

Aujourd’hui, on peut aller vers un éclatement de l’Espagne assez rapidement, on a une crise en Belgique. Je ne crois pas que ça soit sur cette base qu’on pourra construire l’Europe de demain.

Si l’on considère la démographie : parmi les 20 pays les plus peuplés, il n’y a aucun pays européen. Le 21e pays c’est la Turquie. Mais l’Europe dans son ensemble est 3e au niveau mondial. L’enjeu est bien de savoir si les Européens vont se décider à avoir une coopération et une gouvernance totale de leurs ambitions politiques, un projet de développement européen ; ou s’ils vont se contenter d’additionner des actions prises individuellement dans chaque pays.

Touteleurope : Quel est l’espoir que vous portiez sur le Conseil européen qui a eu lieu hier ?

JD : Le Conseil a été réduit de deux jours à une journée. On a l’impression que les Allemands et les Français considèrent que quand ils ont réglé les choses entre eux tout est réglé ! Il est temps que les autres Etats européens réagissent pour faire une Europe à 27, et pas une Europe à deux et les autres qui suivent.

Touteleurope : La France va-t-elle elle aussi vers un plan d’austérité ?

JD : Aujourd’hui on considère qu’on n’a que la compétitivité et qu’elle ne se fait que sur la baisse des coûts ! Les Allemands ont réduit les coûts sociaux comme élément de compétitivité. On ouvre une concurrence entre travailleurs européens qui est extrêmement dangereuse pour l’avenir - non seulement l’avenir social de l’Europe mais aussi celui de la démocratie. On assistera à une poussée des partis populistes et indépendantistes si les politiques considèrent que la seule voie est celle du moins-disant social.

Touteleurope : En tant que confédération européenne, arrivez-vous à communiquer avec la Commission Barroso ? Vous sentez-vous entendu ?

JD : On a rencontré Barroso le 4 juin dernier. Le débat était extrêmement vif, parce qu’il y avait le Président des syndicats grecs, qui n’était pas venu d’Athènes pour lui dire que tout allait bien.

On l’a averti des dangers d’une poudrière sociale européenne. Les risques de conflit vont augmenter partout. Il sait à quoi s’en tenir. On lui a expliqué qu’il fallait changer de dynamique de relance, qu’il fallait être beaucoup plus audacieux.

Mais visiblement, si je suis bien les communiqués de presse de la Commission de ces derniers jours, il félicite les Etats de faire des plans d’austérité… Donc il nous a écoutés poliment, mais il ne nous a pas entendus…

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Conseil européen : la gouvernance économique avance à petits pas - Touteleurope.fr

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