Toute L'Europe – Comprendre l'Europe

Jérôme Creel (OFCE) : “On ne peut pas démontrer que l’euro a eu des effets défavorables”

La sortie de la France de la zone euro est l’un des principaux marqueurs politiques du Front national. Mais alors que les Français sont largement défavorables à cette idée, Marine Le Pen tâche désormais de revoir sa copie. En cas de victoire, l’objectif serait plutôt de revenir à l’ECU qui était, avant l’adoption de l’euro, un panier de monnaies par rapport auquel les monnaies nationales étaient fixées.

Un système “complexe” et “instable”, nous explique Jérôme Creel, directeur du département des études à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et qui a justement incité le passage à l’euro.

Siège de la BCE

Touteleurope.eu : L’euro est l’une des grandes questions de cette fin de campagne électorale. Pouvez-vous nous résumer, en langage de profane, les conséquences d’une sortie de la France de la monnaie unique ?

Jérôme Creel : Premièrement, la sortie de la France de la zone euro impliquerait inévitablement la sortie de la France de l’Union européenne. Ce qui élargit logiquement l’ensemble des conséquences.

Ensuite, la première chose que le pays aurait à faire serait d’émettre sa propre monnaie par l’intermédiaire de sa banque centrale nationale. On retrouverait donc notre souveraineté monétaire, ce qui nous permettrait de créer de la monnaie au rythme voulu compte tenu des conditions économiques en France, et exclusivement en France.

Jérôme Creel

Jérôme Creel est directeur du département des études à l’OFCE. Professeur à l’ESCP Europe, il est le coordinateur de l’ouvrage L’Economie européenne 2017 (collection Repères, éditions La Découverte).

En revanche, cette monnaie serait concurrente des autres monnaies nationales sur les marchés de change et verrait sa valeur fluctuer. Elle se déprécierait vis-à-vis des monnaies des pays avec lesquels nous sommes en déficit commercial et, à l’inverse, s’apprécierait face aux monnaies des pays avec lesquels nous sommes en excédent. Et se poserait la question du régime de change. La nouvelle monnaie française serait-elle parfaitement flexible ? Cela signifierait que sa valeur est fixée exclusivement par le marché. Ou bien l’Etat français déciderait-il d’un régime de change fixe ? Il y a là une grande incertitude.

En termes de souveraineté monétaire, il est également important d’avoir à l’esprit qu’une sortie de la France de l’euro n’engendrerait probablement pas beaucoup de création de monnaie par rapport à la situation présente. En effet, la politique monétaire de la zone euro, qui ne tient pas exclusivement compte de la situation française, est d’ores et déjà très expansionniste. Il y aurait donc peu de chance que la politique d’une Banque de France indépendante le soit davantage à court terme. Cet élément limite fortement, selon moi, le gain de souveraineté monétaire attendu d’une sortie de l’euro.

On parle également beaucoup du renchérissement du coût de la dette comme conséquence néfaste d’une sortie de la France de la zone euro…

Effectivement, parmi les conséquences principales d’une sortie de la France de la zone euro figure le fait que la perception par les marchés financiers de la soutenabilité des finances publiques françaises les amènera sans doute à réévaluer à la hausse les taux d’intérêt sur la dette du pays.

L’isolement de la France, associé à des politiques probablement expansionnistes, pourrait remettre en cause le taux d’intérêt actuel sur la dette française, qui est aujourd’hui faible. Il a beau avoir récemment augmenté, son niveau demeure historiquement bas. Sa hausse substantielle obligerait l’Etat à payer plus de charges d’intérêt. Et pour faire face à cela, il y a plusieurs options. D’abord s’endetter plus mais à un coût plus grand, nous faisant entrer dans un cercle vicieux. Deuxièmement, renoncer à certaines dépenses. Troisièmement, augmenter les impôts. Quatrièmement, renoncer à financer la dette sur les marchés financiers en obligeant éventuellement les banques nationales à prendre le relai, mais en risquant la contagion des difficultés budgétaires vers le secteur bancaire. Et cinquièmement, obliger la Banque de France à monétiser la dette, ce qui entraînerait l’augmentation de l’inflation puis, donc, des taux d’intérêt à nouveau : les entreprises et les ménages finiraient par être touchés.

La position de Mme Le Pen est à cet égard très mouvante. A quelques jours du second tour, elle propose désormais d’accompagner la sortie de l’euro par le retour de l’ECU, qui était un panier de monnaies par rapport auquel les monnaies nationales européennes étaient fixées avant l’adoption de l’euro. Qu’en pensez-vous ?

Le retour à un panier de monnaies impliquerait un accord international des différents Etats membres de l’actuelle zone euro. Il s’agirait d’un retour en arrière par lequel l’euro disparaîtrait au profit d’un panier de monnaies - appelons-le l’ECU - tandis que les Etats membres recouvreraient une politique de change puisqu’ils auraient de nouveau une monnaie nationale.

Qu’une candidate à l’élection présidentielle le souhaite pour la France, pourquoi pas. Mais qu’en même temps elle l’impose à tous ses partenaires européens me paraît être une sorte d’illusion. Il n’y a aucune raison qu’on réussisse à imposer une telle politique aux 18 autres Etats membres de la zone euro. Le caractère réaliste de cette proposition me semble donc extrêmement faible.

L’autre commentaire que l’on peut faire, c’est qu’on a adopté l’euro justement pour échapper à la complexité de ce système et à son instabilité intrinsèque. Au début des années 1990, le système qui permettait de faire exister cet ECU était le Système monétaire européen. Il avait failli disparaître en raison de phénomènes spéculatifs. En effet, il a suffi d’une personne, le financier George Soros (dont on entend aujourd’hui parler car l’université qu’il a fondée en Hongrie est en passe d’être interdite par le pouvoir en place), qui a fait fortune sur l’instabilité de ce Système monétaire européen vers lequel Mme Le Pen voudrait revenir.

Pour toutes ces raisons, les économistes sont plus que dubitatifs vis-à-vis de ce retour en arrière proposé par le Front national, qui était justement la raison pour laquelle le processus d’intégration monétaire s’est accéléré.

Comment analyser ce louvoiement de Mme Le Pen ? Est-ce parce que les Français sont majoritairement contre la sortie de l’euro ou est-ce que parce que le FN a conscience des risques économiques que représente une sortie de l’euro ?

Les enquêtes d’opinion régulièrement réalisées sont formelles : la majorité des Français est attachée à l’euro et à la stabilité qu’il a permis d’obtenir. Par conséquent, la perspective de quitter la zone euro leur paraît très aventureuse.

J’espère également que l’un des arguments incitant le Front national à revoir sa copie sur la sortie de la zone euro a trait aux performances économiques de la France. Quand on les observe attentivement, avant et après l’adoption de l’euro, on ne peut pas démontrer que la monnaie unique a eu des effets défavorables.

Dans ce contexte, quitter la zone euro et provoquer une instabilité telle qu’elle serait de nature à engendrer une nouvelle crise financière et bancaire en Europe, me paraît plus qu’hasardeux et à rebours de ce dont la France a besoin.

Pour sa part, Emmanuel Macron souhaite un saut institutionnel et démocratique pour la zone euro et un rééquilibrage de la politique économique européenne avec plus d’investissement ou encore des droits sociaux renforcés. Qu’en pensez-vous ?

Si on devait trouver un slogan pour départager sur l’Europe les deux candidats pour la présidentielle, on pourrait dire qu’avec Marine Le Pen on court le risque d’un changement majeur, tandis qu’avec Emmanuel Macron on prend le risque de n’avoir aucun changement.

Le projet d’Emmanuel Macron est certainement raisonnable et va en théorie dans la bonne direction. Obtenir des instruments de politique économique qui permettent d’améliorer les perspectives de croissance de la zone euro et de la France et d’améliorer la capacité de réaction de la zone euro lors des crises économiques serait effectivement une bonne option. Et ce serait aller vers davantage de fédéralisme en mettant en place plus de coordination dans les politiques budgétaires actuellement éclatées entre les différents Etats membres.

Mais si ces réformes sont désirables, la question que cela pose, c’est la possibilité de mettre ce programme effectivement en œuvre. Et donc de convaincre les 18 partenaires de la France, au sein de la zone euro, qu’il faut changer les règles et qu’il faut adopter un budget de la zone euro dont la taille serait suffisante pour être crédible et faire face aux chocs. Après, évidemment, cette question de la faisabilité, dans le programme du Front national, est aussi posée.

Pour inciter les partenaires de la France, particulièrement l’Allemagne, à aller vers plus d’intégration économique et monétaire, Emmanuel Macron s’engage à respecter le Pacte budgétaire et la règle des 3% de déficit. Est-ce une bonne stratégie selon vous ? Ces règles budgétaires, régulièrement critiquées, vous semblent-elles pertinentes ?

S’agissant de la pertinence des règles budgétaires européennes, ma position est la même depuis longtemps. Je ne les trouve pas du tout pertinentes. Les seuils des 3% de déficit et des 60% de dette me semblent être sortis de nulle part et n’ont aucune pertinence macroéconomique. Il me semble que les politiques budgétaires doivent être jugées en fonction des circonstances dans lesquelles elles sont menées. Avoir des règles absolues est pour moi un absolu contresens.

Cela étant dit, le fait de respecter les engagements de la France peut être analysé de deux façons. Premièrement, cela peut permettre de nouer des relations de confiance avec un pays qui considère cela important. En l’occurrence, il est indéniable que la France pourra plus facilement se coordonner avec les autorités allemandes si elle respecte les règles budgétaires. Mais en même temps ce serait une forme de renoncement au caractère discrétionnaire potentiel de la politique économique. Nous votons aussi pour que celles et ceux que nous élisons mènent des politiques, notamment économiques, de manière libre. Donc si nous ne faisons que voter pour des personnes qui ont en réalité les mains liées par les engagements pris par leurs prédécesseurs, il n’y a plus de marges de manœuvre. Et on peut en venir à se demander à quoi sert la démocratie.

Je trouve qu’il faudrait que le prochain président de la République soit aussi à même de réorienter les politiques économiques de manière à ne pas renoncer à son projet. En discutant de cela au préalable avec ses partenaires européens, et pas seulement avec l’Allemagne. Le tout est d’obtenir des compromis en échappant aux compromissions.

Propos recueillis par Jules Lastennet

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

À la une sur Touteleurope.eu

Flèche

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur Jérôme Creel (OFCE) : "On ne peut pas démontrer que l'euro a eu des effets défavorables"

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide