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Jérôme Creel : “L’appréciation de l’euro nuit à la compétitivité des produits européens qui sont en concurrence sur les marchés mondiaux”

Jérôme Creel est directeur-adjoint au département des études de l’OFCE et professeur d’économie à l’ESCP-EAP. Il revient sur les conséquences de l’appréciation de l’euro, le maintien des taux directeurs de la BCE, la montée de l’inflation dans la zone euro et l’indépendance de la BCE.

L’euro a récemment atteint un niveau record face au dollar. Le maintien d’un euro fort par rapport à la devise américaine peut-il avoir des effets négatifs sur la croissance de l’UE ?

La montée de l’euro par rapport au dollar a longtemps été amortie par les capacités de couverture du risque à la disposition des entreprises. Cependant, l’envolée de l’euro a sans doute dépassé les anticipations de hausse couvertes. La situation sur les marchés de change est donc grave pour l’ensemble des entreprises européennes engagées dans des activités internationales.

L’appréciation quasi-continue de l’euro par rapport au dollar américain depuis 2002 aura fait perdre environ 0,5 point de croissance annuel du PIB à la zone euro en 2006 et 2007.

L’intensification de cette appréciation, en phase de ralentissement de la croissance économique américaine, est une mauvaise nouvelle, comme l’est l’appréciation de l’euro par rapport au yuan, malgré la bonne volonté des autorités chinoises de limiter la sous-évaluation de leur monnaie par rapport à la devise américaine.

L’appréciation de l’euro nuit à la compétitivité des produits européens qui sont en concurrence sur les marchés mondiaux et elle peut inciter les entreprises européennes à délocaliser ou à faire pression sur leurs coûts. Dans les deux cas, les salaires vont avoir tendance à baisser, indirectement sous l’effet d’une nouvelle hausse du chômage en Europe dans le premier cas, directement dans le second.
Si une telle baisse des salaires devait se généraliser à l’ensemble de l’Europe, la contribution de la demande interne à la croissance européenne serait profondément diminuée ; l’UE rentrerait, au mieux en situation de ralentissement, et au pire, en situation de stagnation, voire de récession.

La BCE ne va-t-elle pas être obligée de diminuer ses taux directeurs si l’euro poursuit son envolée ?

Une baisse des taux ferait sans aucun doute baisser l’euro, mais elle est fortement improbable car elle prendrait les marchés par surprise, ce que souhaite éviter la BCE.

La gestion du taux de change de l’euro est une responsabilité partagée entre le Conseil européen et la BCE. Pour autant, il existe un garde-fou pour la BCE : une éventuelle intervention sur le marché des changes ne doit pas mettre en péril l’objectif de stabilité des prix imposé à la BCE par le traité d’Union européenne.

Lorsque l’euro se dépréciait par rapport au dollar entre 1999 et 2001, des interventions de change avaient été mises en œuvre pour rendre l’objectif de stabilité des prix plus facile à atteindre.

La situation est symétrique aujourd’hui : une intervention de change, si elle était efficace à stopper l’appréciation de l’euro - il faudrait pour cela une action concertée et durable des principales banques centrales mondiales - éloignerait les économies européennes de la stabilité des prix. La BCE n’en prendra pas le risque dans une phase de résurgence, momentanée ou durable, de l’inflation mondiale.

L’inflation dans la zone euro a atteint 3 % au mois de novembre 2007. Comment s’explique cette hausse ?

Les déterminants majeurs de l’inflation aujourd’hui sont le prix de l’énergie, et plus généralement le prix des matières premières ainsi que les loyers.

Parallèlement, certains biens et services voient leurs prix diminuer : c’est le cas des équipements multimédia, des voyages touristiques et des gros appareils ménagers.

La hausse de l’inflation, plus forte que prévue, en octobre amène deux remarques :

La BCE n’a pas su prévoir les conditions présentes. Or celles-ci auraient pu être anticipées. La croissance forte des pays émergents et la demande forte de biens et services qu’ils adressent au plan mondial, la pénurie anticipée des énergies fossiles, et les tensions sur le marché du pétrole dus à la spéculation ne sont pas des éléments nouveaux. L’efficacité de la BCE peut donc être à tout le moins discutée.

Les baisses de prix qui limitent l’augmentation des indices de prix à la consommation dans les pays européens ne touchent pas de la même manière les ménages selon leur niveau de vie : les ménages les moins aisés subissent de plein fouet l’augmentation des prix qui grève leur capacité de consommation, mais ne profitent sans doute que marginalement des baisses de prix. Il n’est pas étonnant qu’il en résulte, selon les classes sociales, une différence de perception de l’évolution des prix.

L’indépendance de la BCE est régulièrement remise en question. Qu’en pensez-vous ?

L’indépendance de la BCE n’est pas discutable : les partenaires européens de la France y sont unanimement hostiles. Il est donc inutile et stérile de tenter de la remettre en cause.

Pour autant, il est utile à la bonne marche de l’euro que les institutions en charge des politiques économiques dans la zone - politiques monétaire, budgétaires, fiscales et de change - discutent de ces politiques avant qu’elles soient mises en œuvre. Cela implique une véritable coordination entre le système européen de banques centrales et les gouvernements européens sur les objectifs de ces politiques et sur les moyens qui doivent leur être alloués.

Ceci renforcerait la cohésion européenne et permettrait à l’euro de ne plus être la variable d’ajustement du système financier international, fluctuant au gré des ambitions des autres grands Etats du monde : Etats-Unis, Japon, Chine et Inde.

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