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JEFTA : qu’est-ce que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon ?

Le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon entre en vigueur vendredi 1er février 2019. Il facilite l’arrivée des voitures japonaises sur le marché de l’UE, en l’échange de droits de douane supprimés sur les vins, les fromages, la viande ou les cosmétiques européens. D’un point de vue stratégique, il marque surtout le rapprochement des deux puissances mondiales face à la Chine et aux Etats-Unis.

Shinzo Abe, le premier ministre du Japon, et Donald Tusk, le président du Conseil européen - Crédits : Wikicommons / 2017
Shinzo Abe, le premier ministre du Japon, et Donald Tusk, le président du Conseil européen - Crédits : Wikicommons / 2017

Qu’est-ce que le JEFTA ?

JEFTA signifie “Japan-EU free trade agreement” , ou accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne.

Après plus de quatre ans de négociations, les deux parties se sont entendues sur ce “partenariat stratégique” en décembre 2017. Signé à l’occasion du sommet bilatéral de juillet 2018, ce tout premier accord-cadre négocié par la Commission européenne avec les autorités nippones a ensuite été ratifié par les parlements japonais et européen à la fin de l’année 2018.

Son volet commercial (le plus prégnant dans l’accord) entre en vigueur dès le 1er février 2019, créant une zone de libre-échange englobant 635 millions d’habitants et représentant près d’un tiers du PIB mondial.

Au-delà du commerce, d’un accès facilité aux marchés publics et d’une ouverture des marchés de services, l’UE et le Japon espèrent que le JEFTA favorisera leur coopération sur la politique étrangère, le changement climatique, l’énergie ou la cybersécurité par exemple. Une alliance dont les deux parties mesurent particulièrement la valeur en 2019, face au protectionnisme de Donald Trump et aux appétits insatiables de la Chine.

Quels sont les avantages pour l’Europe ?

Sur le plan commercial, en associant deux des quatre plus grosses économies mondiales, le JEFTA est l’accord de libre-échange le plus important jamais conclu. Alors que le Japon est déjà le sixième partenaire commercial de l’UE, il améliore encore les perspectives d’exportation des entreprises européennes, en supprimant - à terme - l’équivalent d’un milliard d’euros de droits de douane dont elles s’acquittaient jusqu’à présent chaque année pour pénétrer le marché nippon. 8000 entreprises françaises, notamment, envoient aujourd’hui leurs produits vers le Japon, dont 87 % de PME.

Depuis le 1er février, “plus de 90 % des exportations de l’UE vers le Japon sont en franchise de droits” , souligne la Commission européenne, qui se félicite de cet accès facilité à un marché colossal de 127 millions de consommateurs, friands de produits hauts-de-gamme. Les études d’impact misent sur une augmentation de 16 à 24 % des exportations européennes en moyenne dans les 10 à 15 prochaines années.

  • Fromages, vins, viandes et autres produits agricoles européens

Le Japon a notamment accepté d’ouvrir librement son marché à plusieurs produits agricoles européens déjà très présents sur ses étals.

Les droits de douane sont ainsi supprimés sur les vins (actuellement taxés à 15 % en moyenne) et les autres boissons alcoolisées dès le 1er février, et progressivement sur de nombreux fromages à pâte dure comme le gouda et le cheddar (actuellement taxés jusqu’à 30 %) et sur un quota de fromages frais comme la mozzarella.

Les droits de douane sur la viande bovine seront aussi quasiment divisés par quatre en quinze ans, tandis que le commerce de viande de porc - la principale exportation agricole de l’UE au Japon - se fait dès le 1er février en franchise presque totale.

Le Japon est déjà le quatrième marché de l’UE pour les exportations agricoles (plus de 5,7 milliards d’euros par an). Avec le JEFTA, celles-ci devraient être multipliées par trois. “Sur le bœuf, on exportera plus au Japon que ce qui doit arriver du Canada avec le CETA” (l’accord de libre-échange UE-Canada), souffle par exemple un fonctionnaire européen.

A terme, les droits de douane seront également supprimés sur des produits transformés comme les pâtes alimentaires, le chocolat, les confiseries ou les préparations de tomates par exemple. Ils sont aussi réduits ou levés sur un quota de malt, de fécule de pomme de terre ou encore de beurre.

  • Pêche, bois et produits industriels

Tout ou partie des droits de douane sont aussi abolis sur les produits européens de la pêche, du bois, ou certains produits industriels comme les cosmétiques, les produits chimiques, le textile et l’habillement.

Pour les sacs à main en cuir envoyés au Japon par exemple, les droits seront supprimés progressivement dans les dix prochaines années.

  • Accès des entreprises européennes aux marchés publics

Le Japon s’est engagé à permettre aux entreprises de l’UE d’accéder sans discrimination aux marchés publics de 54 grandes villes japonaises.

Les entreprises européennes vont également pouvoir participer aux marchés publics dans le secteur ferroviaire, jusque-là verrouillés au Japon.

Qu’y gagne le Japon ?

Cet accord est également historique pour le Japon, lui qui s’était développé dans les années 1970 et 80 en menant une politique commerciale très agressive, comme le fait la Chine actuellement.

Aujourd’hui, c’est face à l’offensive de ses voisins, et notamment pour ne pas rester en retrait par rapport à la Corée du Sud qui a signé un accord de libre-échange avec l’UE en 2009, que le Pays du soleil levant a donné son feu vert au JEFTA.

En contrepartie de l’élimination des droits de douane pour les produits agricoles et industriels européens, le Japon peut lui aussi exporter plus facilement certaines de ses spécialités en Europe (riz, bœuf, sake,…). Les procédures d’autorisation sont simplifiées en matières sanitaire et phytosanitaire. Toutefois, “l’accord n’abaisse pas les normes de sécurité et n’oblige pas non plus les parties à modifier leurs choix politiques internes sur des questions telles que l’utilisation des hormones ou les organismes génétiquement modifiés (OGM)” , précise la Commission.

Mais c’est surtout sur l’électronique et l’automobile que le Japon tire avantage du JEFTA. Progressivement, l’UE supprimera notamment ses droits de douane sur les voitures japonaises (actuellement taxées à 10%).

En parallèle, le Japon supprimera lui aussi un certain nombre d’obstacles réglementaires qui limitaient jusqu’à présent l’entrée sur son marché des automobiles européennes (notamment le respect des règles techniques internationales).

L’accord UE-Corée, qui se rapproche du JEFTA sur plusieurs points, a permis une augmentation de 55 % en 5 ans des exportations coréennes de voitures vers l’Union. Dans le même temps, l’UE qui n’était pas très présente dans ce pays a multiplié les siennes par trois. S’agissant du Japon, la balance commerciale, à peu près équilibrée dans le secteur automobile aujourd’hui, devrait le rester, selon les études d’impact.

Quels sont les garde-fous ?

  • Indications géographiques

Malgré les pressions des Etats-Unis qui souhaitaient laisser le champ libre à leurs produits au Japon, le JEFTA y garantit la protection de plus de 200 indications géographiques européennes comme le roquefort, le champagne, le prosecco, le tiroler speck, la polska wódka, ou l’Irish whiskey. Réciproquement, des indications géographiques japonaises seront protégées dans l’UE, comme le bœuf de Kobe ou diverses variétés de sake.

  • Droits de propriété intellectuelle

Au-delà des engagements pris dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le JEFTA prévoit des dispositions sur la protection du secret industriel et commercial, des marques, des droits d’auteur et des brevets, des règles communes minimales sur la protection des données relatives aux essais réglementaires dans le domaine pharmaceutique,…

  • La protection des investissements remise à plus tard

Des divergences persistant sur les tribunaux arbitraux, le JEFTA ne touche pas au domaine de la protection des investissements. Des discussions sont néanmoins en cours entre l’UE et le Japon à ce sujet et devront faire l’objet d’un autre accord.

Environnement, baleines : quels sont les engagements pris par les parties ?

S’il a été ratifié à une large majorité par le Parlement européen en décembre 2018, comprenant aussi bien les libéraux et les conservateurs que la majeure partie des socialistes et des souverainistes (474 voix pour, 152 voix contre, 40 abstentions), le JEFTA a été rejeté par les représentants de la gauche radicale, qui y voient un nouveau vecteur du capitalisme mondialisé, et par le groupe des Verts/ALE.

Il s’agit du premier accord commercial à faire explicitement référence à l’accord de Paris sur le climat, l’UE et le Japon s’engageant notamment à coopérer pour le mettre en œuvre. Les écologistes relèvent néanmoins que son “chapitre sur le développement durable est un outil de communication à destination des opinions publiques, aucunement un impératif”.

Les deux parties promettent par exemple de “ne pas affaiblir les législations nationales en matière de travail et d’environnement dans le but d’attirer des échanges commerciaux et des investissements” , selon la Commission. Mais alors que les ONG de défense des droits des travailleurs et de l’environnement souhaitaient des sanctions commerciales en cas de manquement, le JEFTA ne prévoit qu’une condamnation politique avec la publication du rapport d’un groupe d’experts indépendants. “En pratique, ça suffit pour faire bouger les choses” , souligne une source européenne en évoquant, notamment, la crainte d’une mauvaise publicité pour attirer les investissements étrangers. Un argument loin d’être suffisant pour les écologistes.

Concernant la chasse à la baleine, une tradition très chère aux Japonais, l’UE continue d’interdire toute importation de produits dérivés de ce cétacé. Mais le JEFTA ne prévoit pas de mécanismes incitatifs ou contraignants pour faire cesser cette pratique.

Que change cet accord sur le plan géostratégique ?

S’il représente d’immenses volumes sur le plan commercial, cet accord de libre-échange entre l’UE et le Japon comporte aussi une dimension stratégique non négligeable, actant le rapprochement de ces deux puissances face à la Chine d’une part, et aux Etats-Unis de l’autre.

Pour les Européens, ce serait un signal envoyé à Donald Trump, après que celui-ci s’est éloigné de ses partenaires historiques. Les accords commerciaux négociés à l’avenir par l’UE ou le Japon avec les Etats-Unis devront ainsi prendre en compte le JEFTA, y compris la reconnaissance des indications géographiques par exemple.

Plus proches que jamais depuis le JEFTA, les deux puissances espèrent surtout peser dans les débats qu’elles mènent depuis 2017 avec les Etats-Unis sur le renforcement des règles de l’OMC, notamment concernant les transferts de technologie (propriété intellectuelle) et les subventions nationales qui faussent la concurrence. Un enjeu majeur pour les années à venir, et un bras de fer d’autant plus important que Donald Trump souffle actuellement le chaud et le froid sur ses intentions vis-à-vis de la Chine.

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