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Investissements de long terme : comment mettre un terme à la “tragédie des horizons” ?

Essentiels pour préparer l’avenir, et notamment permettre la bascule vers une économie durable, les investissements de long terme ne sont pas assez nombreux en Europe. Pour analyser les causes de cette situation et identifier des axes d’amélioration, la Caisse des dépôts a commandé un rapport à Bernard Attali, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes.

Comment réconcilier court et long termes ? - Crédits : abluecup / iStock
Comment réconcilier court et long termes ? - Crédits : abluecup / iStock

Tragédie des horizons”. Prononcée en septembre 2015 dans un discours de Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, l’expression a fait date. Elle renvoie au paradoxe d’une finance qui sera sur le long terme affectée par le changement climatique, alors que les acteurs privés et publics de la gouvernance financière sont avant tout mus par des considérations de court terme, déterminées par les cycles d’affaires ou leurs mandats politiques et technocratiques.

Ces mêmes acteurs favorisent ainsi des investissements sur le court terme, au détriment de projets courant sur de plus longues périodes. Des investissements pourtant nécessaires pour assurer un avenir serein, notamment face au dérèglement du climat.

La tragédie implique la fatalité. Mais en 2015, Mark Carney, dont le discours s’intitule “Mettre un terme à la tragédie des horizons – changement climatique et stabilité financière”, sonnait l’alarme pour en sortir. D’autres considèrent également que la situation actuelle n’est pas inéluctable, à l’instar de Bernard Attali.

Missionné par Eric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts (CDC), le conseiller maître honoraire à la Cour des comptes a présidé un groupe constitué d’une trentaine d’experts. Un groupe de travail animé par Laurent Zylberberg, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes à la CDC. Les travaux de ces contributeurs, économistes et praticiens de la finance, ont abouti à un rapport au titre éloquent, qui gage de dépasser l’apparente opposition entre court et long termes : “Investir à long terme, urgence à court terme”.

Un retard européen à rattraper

Si le rapport considère que l’investissement de long terme doit croître au plus vite, il part aussi du constat qu’il y a urgence à investir tout court. Entamée début 2020, la crise du Covid-19 l’exige pour permettre la relance de l’économie… mais pas de n’importe quelle manière.

Pour être en phase avec les objectifs climatiques du Pacte vert pour l’Europe, qui vise la neutralité climatique à l’horizon 2050, cette reprise se doit d’être durable. Et demande donc de se projeter au-delà du court terme. La pandémie a aussi mis en exergue le besoin de financer certains secteurs de manière plus pérenne, comme celui de la santé, pas assez préparé aux multiples vagues de coronavirus et à ses effets délétères.

Avant le choc du Covid-19, le continent européen avait connu la crise économique de 2008, mondiale elle aussi. Celle-ci aurait également dû pousser à investir sur le plus long terme pour écarter la perspective qu’un tel séisme pour l’économie de l’Europe ne se reproduise. En dépit des plans de relance alors engagés par les Etats membres de l’Union européenne, le nombre des investissements de long terme est resté faible en comparaison avec l’Amérique du Nord ou l’Asie, observe Bernard Attali dans son rapport.

Entre 2008 et 2020, la conscience du péril climatique a en revanche progressé. A l’heure où les pays de l’UE déploient de nouvelles dépenses publiques pour favoriser la reprise, abondées par un plan de relance européen de 750 milliards d’euros, viser des investissements de long terme orientés vers la durabilité apparaît ainsi crucial.

Définir correctement un investissement de long terme

Si l’importance d’investir à long terme est établie, définir ce qu’est un investissement de long terme est tout aussi nécessaire, afin de savoir ce qu’il convient d’encourager. Une tâche bien complexe, explique le rapport “Investir à long terme, urgence à court terme”. Selon Bernard Attali, les externalités, à savoir les impacts des acteurs économiques sur des agents tiers sans contrepartie financière, doivent être au cœur de l’appréciation des investissements, plus que leur durée ou leur objet.

Devraient être considérés de long terme “des investissements ou des dépenses produisant des externalités positives bénéficiant à l’ensemble de l’économie ou réduisant significativement les externalités négatives produites par d’autres”. Les externalités positives seraient ainsi à encourager, et les négatives à décourager.

En matière de développement durable, le rapport voit par exemple dans le projet de taxonomie verte de la Commission européenne, qui doit permettre de définir ce qu’est une activité économique climatiquement vertueuse, un instrument facilitant l’identification des investissements de long terme.

Finaliser les négociations relatives à la taxonomie serait ainsi bénéfique à une priorisation du temps long. D’autres évolutions normatives possibles sont mises en avant dans le rapport. Celles-ci concernent les acteurs financiers comme non financiers. A ce titre, il est indiqué à quel point les crises de 2008 et surtout celle de 2020 ont réaffirmé la pertinence des investisseurs publics.

Des pistes européennes

Le niveau européen est présenté en tant que cadre adéquat de plusieurs évolutions proposées. Parmi elles, le rapport avance une révision des critères de convergence, afin que les investissements de long terme des Etats membres ne soient pas contraints par des règles d’équilibre budgétaire.

Pour surmonter l’aversion au risque liée à ce type d’investissements, le texte propose aussi que les acteurs publics portent des incitations fortes à travers la mise en place d’une caisse de réassurance industrielle à l’échelle européenne. Celle-ci limiterait alors les risques financiers encourus par les investisseurs de long terme et contribuerait à ce qu’ils soient plus enclins à engager des fonds tournés vers des échéances lointaines.

Si la taxonomie verte doit aider à identifier les externalités positives en termes climatiques, d’autres initiatives, également au niveau de l’Europe, pourraient la compléter en élargissant la diversité des investissements dont l’inscription sur le long terme deviendrait plus aisément appréciable. Pour ce faire, le rapport recommande à ce titre la mise en place d’une instance européenne qui aurait pour tâche d’expliciter les externalités et de les hiérarchiser.

Ces propositions et d’autres – meilleure prise en compte de la comptabilité extra-financière des entreprises, mise en place par des acteurs publics d’une titrisation tournée vers le long terme ou encore, au niveau français, promulgation de lois de programmation budgétaire quinquennales – seront notamment débattues dans le cadre de l’Association européenne des investisseurs de long terme, organisation présidée par Laurent Zylberberg et à laquelle appartient la CDC.

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