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Fusion Siemens-Alstom : un nouveau modèle pour l’industrie européenne ?

Mercredi 27 septembre, le Français Alstom et l’Allemand Siemens ont annoncé leur rapprochement en matière de ferroviaire. Une fusion attendue, mais critiquée en France en raison de la future prééminence de la branche allemande sur l’entreprise. Pour Emmanuel Macron, qui s’est impliqué dans l’opération, ces reproches ne tiennent pas. Selon lui, la constitution de “champions européens” est le seul moyen de faire face à la nouvelle concurrence mondiale et notamment chinoise.

Train construit par Alstom en gare de Nancy
Train construit par Alstom en gare de Nancy - Crédits : Nico54300

Leadership allemand

Le rapprochement entre Siemens et Alstom était attendu de longue date. Il a été officialisé par les deux entreprises dans un communiqué commun publié le 27 septembre. Selon l’accord, la firme allemande sera en position de leader sur la société française, en détenant 50% du capital et en disposant de 6 membres sur 11 au sein du conseil d’administration. Une prééminence qui se reflète dans le nom choisi par les deux entités : “Siemens-Alstom” .

Dans l’élaboration de la fusion, la France a toutefois obtenu plusieurs assurances significatives sur le fonctionnement de la future entreprise. Ainsi, Henri Poupart-Lafarge, actuel patron d’Alstom, dirigera la société, qui sera cotée à Paris. De plus, Siemens n’aura pas la possibilité d’acquérir davantage de parts dans l’entreprise pendant 4 ans. Un laps de temps au cours duquel les employés des deux branches auront également la garantie de l’emploi en France et en Allemagne. Le personnel d’Alstom s’élève à 8 500 personnes en France et 3 000 en Allemagne. Tandis que Siemens compte 500 employés en France et 12 000 en Allemagne. Et c’est Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, qui présidera le comité national de suivi de la future entreprise.

Ces “garde-fous” demandés par Paris ont, logiquement, vocation à éviter une restructuration rapide d’Alstom, des destructions d’emplois ou encore une perte d’influence de la France dans l’avenir de l’entreprise. Créée en 1928, Alstom est en effet considérée comme l’un des fleurons de l’industrie française. La vente de sa branche énergétique à l’Américain General Electric en 2014 avait suscité de nombreuses interrogations et, à ce jour, la perte de 1 200 emplois.

Interrogé par Toute l’Europe, Jean-Philippe Tropéano, professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris et professeur à Paris 1, le confirme : pour la France “il y a un risque net” . En effet, dans de nombreuses fusions, notamment dans les secteurs de l’aluminium ou de la sidérurgie, “celui qui a acheté s’est approprié la technologie” , note M. Tropéano. Ce dernier ajoute qu’on ne peut donc pas exclure “qu’il y ait des sites de production et de décision qui, à terme, en faisant jouer les synergies internes, soient rapatriés sur Siemens” .

Manque de patriotisme économique ?

Dans ce contexte, la multiplication des critiques de la part de différents responsables politiques était à prévoir. En effet, pour des partis comme La France insoumise (FI), Les Républicains (LR) ou encore le Front national (FN), le choix du gouvernement français de laisser Alstom passer sous pavillon allemand est décrit comme un manque de patriotisme économique. Pour Eric Woerth (LR) par exemple, président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a littéralement “offert Alstom à la chancelière Merkel” . Une opinion partagée par Xavier Bertrand (LR), président de la région des Hauts-de-France, selon qui “avec cette opération, on ne construit par un champion européen, mais un champion allemand” .

Arnaud Montebourg, ministre de l’Industrie de 2012 à 2014, ne dit pas autre chose. Dans une tribune parue dans Le Monde, M. Montebourg regrette en effet que le rapprochement entre Alstom et Siemens ne soit pas intervenu au moment de la cession des activités énergétiques d’Alstom à General Electric, qui s’est déroulée alors qu’il était en poste. Selon lui, François Hollande et Jean-Marc Ayrault avaient, déjà, renoncé au patriotisme économique en n’annulant pas la vente à General Electric au profit d’un accord global et paritaire à la fois sur l’énergie et le ferroviaire avec Siemens, comme M. Montebourg le proposait. Amer, ce dernier regrette d’assister, trois ans plus tard, à la fin d’un “siècle d’aventure Alstom” , avec une fusion qui aura le “prix exorbitant d’aliéner davantage nos outils industriels stratégiques, et leurs centres de décision, car nous avons déjà trop perdu, par notre faute, de notre substance industrielle” .

Train construit par Siemens pour la ligne Pékin-Tianjin en Chine - Crédits : Terrazzo

A cet égard, le rapprochement simultané des chantiers navals STX de Saint-Nazaire à l’Italien Fincantieri, annoncé également le 27 septembre, n’est pas de nature à rassurer les opposants à la fusion Siemens-Alstom. En effet, si l’entité italienne ne disposera “que” de 50% des parts de la future entreprise, elle en aura le contrôle effectif en étant majoritaire au sein du conseil d’administration et en se voyant prêter 1% supplémentaire des droits de vote par l’Etat français. Ce dernier aura toutefois la possibilité de retirer ce prêt pendant une période de 12 ans si Fincantieri ne respecte pas ses engagements, notamment en matière d’emploi. De plus, le gouvernement, pendant cette période, aura également la possibilité de reprendre le contrôle total des chantiers de Saint-Nazaire en cas de difficultés économiques graves.

Les clauses de la fusion STX-Fincantieri, jugées insuffisantes par une partie du spectre politique français, ont également été dénoncées en Italie où elles sont vues comme trop avantageuses pour Paris. De fait, comme l’a rappelé le quotidien italien La Repubblica dans un éditorial acerbe, une première mouture de la fusion, proche d’être acceptée en juillet dernier, prévoyait une répartition des parts à 54-46 en faveur de Fincantieri.

Concurrence de la Chine

Ces critiques, Emmanuel Macron, qui s’est personnellement impliqué dans les accords Siemens-Alstom et Fincantieri-STX, les balaye. Comme le président l’a encore répété dans son vaste discours sur l’Europe, le 26 septembre à la Sorbonne, la souveraineté, dans de nombreux domaines, n’est plus nationale, mais européenne. Et seule la constitution de “champions européens” permettra au continent d’affronter la concurrence internationale, et notamment chinoise.

La montée en puissance industrielle de la Chine est confirmée par Jean-Philippe Tropéano. Et ce “d’ailleurs grâce aux Allemands” , note le chercheur, dans la mesure où des industriels de ce pays ont conclu “des accords industriels de transferts de technologies considérables” avec les Chinois. La fusion Siemens-Alstom doit à cet égard permettre “des gains d’efficacité, des synergies importantes en termes de coûts, de technologie et de produits” . Sur le marché mondial, l’entreprise commune devrait “être plus forte” , estime M. Tropéano.

Ces rapprochements de nos entreprises de taille mondiale se font à cause des mastodontes chinois créés de toutes pièces” , fait également valoir Franck Proust, chef de la délégation des Républicains au Parlement européen. “Pour Alstom et Siemens, c’est le groupe chinois CRRC, créé en 2015 seulement, qui pousse au rapprochement de deux entreprises centenaires” , poursuit-il. “Ce groupe chinois profite de la politique industrielle agressive menée par la Chine” , et il est par conséquent nécessaire de limiter les transferts de technologies en direction de ce pays, conclut M. Proust.

En matière industrielle, Emmanuel Macron entend donc jouer la carte européenne. En accord avec ses engagements de campagne et ses déclarations depuis son accession à l’Elysée, le chef de l’Etat mise sur la proximité de vues et d’intérêts entre Européens face à la concurrence internationale. Quitte à ne pas exiger des gouvernances d’entreprises parfaitement paritaires. De fait, la création de nouveaux “Airbus” , société née en 1970 et dirigée à égalité par les branches française et allemande, constamment évoquée, peine à se réaliser. D’autant, explique Jean-Philippe Tropéano, que ce modèle est particulièrement pertinent en cas de “retard technologique important” . C’était le cas en Europe dans le domaine de l’aéronautique au moment de la création d’Airbus, mais ça n’est pas le cas aujourd’hui concernant le ferroviaire avec Alstom et Siemens qui sont “leaders” sur le plan technologique.

Marché géographique pertinent

Quoi qu’il en soit, désormais lancée, la concrétisation opérationnelle de la fusion Siemens-Alstom devrait intervenir d’ici la fin 2018. Un laps de temps assez long au cours duquel les comités d’entreprise devront se prononcer, ainsi que l’Autorité des marchés financiers et les autorités de la concurrence. “Je suis très curieux de voir comment les autorités de la concurrence vont considérer cette fusion car il y a assez peu de concurrents, notamment en Europe, sur une multitude de produits : locomotives, tramways, métros, trains classiques et à grande vitesse, matériels de signalisation…” , explique M. Tropéano.

Selon lui, les autorités organisatrices de transport vont connaître des difficultés au moment d’émettre des appels d’offres car outre Siemens-Alstom, il n’y aura plus que Bombardier, entreprise québécoise présente en Europe, comme géant ferroviaire. La nouvelle entreprise franco-allemande va dès lors devoir justifier des “gains de productivité importants” pour “contrebalancer cette perte de concurrence” .

La Commission européenne, et la désormais bien connue Margrethe Vestager, commissaire à la Concurrence, risquent par conséquent d’avoir une décision politique forte à prendre au moment de définir le “marché géographique pertinent” de la fusion Siemens-Alstom. Dit autrement, les concurrents de cette nouvelle entité seront-ils à chercher en France, en Europe, ou dans le monde ? Dans les deux premiers cas, Bruxelles pourrait bien contester le rapprochement. Si le marché retenu est celui du monde en revanche, la fusion devrait être autorisée. Mais dans ce cas, cela pourrait avoir un “effet assez paradoxal” , soulève Jean-Philippe Tropéano, qui serait de devoir davantage ouvrir nos marchés à la concurrence internationale et donc à celle de la Chine.

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