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Frederico Steinberg : “Nous devons montrer que l’Europe peut résoudre ses problèmes seule”

Après la Grèce et l’Irlande, l’Espagne doit aujourd’hui trouver les moyens de résorber un déficit public important et de faire face à la crise économique qui a fortement touché le pays. Touteleurope a contacté Frederico Steinberg, expert en économie et commerce international à l’Institut Royal Elcano et professeur d’analyse économique à l’Université autonome de Madrid. Il nous livre son analyse de la situation espagnole.

Quelle est la situation économique actuelle en Espagne et quelles sont les perspectives pour 2010-2011 ?

La situation économique en Espagne est similaire à celle des autres pays européens.

La récession a frappé l’Espagne très durement, le PIB s’est contracté de 3,6 % en 2009, et le problème est que les projections de croissance pour 2010 et 2011 sont un peu moins bonnes en Espagne que dans les autres Etats membres de l’Union européenne, même si nous devons prendre en compte qu’une part de ces projections peut changer.

Ainsi, l’Allemagne avait prévu une reprise de la croissance dès cette année, mais les derniers chiffres démontrent que son économie stagne encore.

Le problème en Espagne est que, au-delà de la crise financière internationale, nous avons souffert d’une bulle immobilière qui s’est développée après 14 ans de forte croissance économique, autour de 4 %.

De plus, l’économie espagnole a du faire face à deux problèmes qui étaient corrélés, additionnés à la crise financière internationale : d’une part la dépendance à l’égard des capitaux étrangers qui finançaient cette bulle immobilière, et lorsque la crise s’est abattue sur l’Espagne et que les flux de capitaux étrangers se sont contractés, le pays a eu plus de difficultés à résorber son déficit des comptes courants ; et puis d’un autre côté, l’Espagne souffre également d’un manque de compétitivité face à des partenaires commerciaux solides.

Ajoutons à cela que l’Espagne est membre de la zone euro et qu’elle commerce essentiellement avec des pays européens (pour plus de 65 % des échanges commerciaux), et cela explique ce qu’il est arrivé : les prix en Espagne se sont envolés plus vite que dans les autres pays, notamment en Allemagne, et au fil des ans l’Espagne a perdu de la compétitivité par rapport à ses partenaires commerciaux.

Cela a accru son déficit des comptes courants, et l’Espagne doit aujourd’hui faire face a une récession forte, la demande intérieure s’est contractée et nous n’avons pas pu utiliser la demande étrangère, c’est-à-dire exporter le coût de ce manque de compétitivité.

D’un point de vue plus positif il faut noter qu’au cours des quarante dernière année de croissance économique forte l’Espagne a drastiquement réduit son niveau de dette-PIB (dette publique divisé par le Produit intérieur brut) à 35 % du PIB (à titre de comparaison la Grèce est à 115 %, l’Allemagne autour des 60 %, l’Italie et la Belgique autour des 80 %).

Cela signifie donc que l’Espagne, qui a certes toujours un déficit public important, a des portes de sortie de la dette puisque son niveau d’endettement est relativement bas. Elle est statistiquement dans une meilleure position que la Grèce ou le Portugal.

Peut-on considérer que l’Espagne est aujourd’hui dans la même situation que la Grèce, l’Irlande et le Portugal ?

Pour répondre rapidement, non. L’Espagne est dans une situation bien meilleure que la Grèce, et même que le Portugal.

L’Irlande est également dans une meilleure situation que la Grèce, et l’Espagne et l’Irlande présentent elles-mêmes des situations différences. Toutes deux ont un niveau de dette-PIB relativement bas, mais l’Irlande a un potentiel d’exportation plus important que l’Espagne.

Donc sur cet aspect particulier, l’Espagne est au-dessus de la Grèce et, ce qui est plus important, l’Espagne n’a pas à faire face à une nouvelle dette sur le marché international.

Ce que je veux dire, c’est que le marché considère que les finances publiques espagnoles sont sur le chemin de la stabilité, si l’Espagne fait des réformes bien entendu.

L’Espagne est donc dans une situation plus ‘confortable’ que la Grèce même si elle doit aujourd’hui faire les réformes nécessaires à la relance de sa compétitivité et à la transformation de ses structures de production.

Ces réformes doivent débuter maintenant afin d’être prêtes dans un ou deux ans, afin que la croissance espagnole puisse être plus stable après la crise.

Quelles mesures doit prendre le gouvernement espagnol pour contrecarrer les effets de la crise ?

Il y a en fait deux aspects à prendre en compte. Il faut dans un premier temps s’attaquer au déficit public. Il s’agit d’un enjeu de court terme et c’est primordial pour calmer le marché financier et montrer que l’Espagne s’engage réellement à réduire son déficit à moyen terme.

Sur ce point il nous faut agir comme la Grèce, même si cette dernière est dans une situation bien pire et qu’elle devra donc faire face à plus de difficultés.

Mais en Espagne, nous devons réduire les dépenses publiques, et la présidence doit présenter cette semaine un plan qui définira ces réductions. Le budget 2010 a d’ailleurs déjà été voté dans ce sens, en tenant compte de ses restrictions, et c’est essentiel.

Mais au-delà des effets naturels de la croissance, je pense qu’il y a trois réponses à la crise espagnole : la première est de réformer le système des pensions de retraite, et nous devrons certainement reculer l’âge de la retraite à 67 ans, comme cela devrait être le cas également en France et en Allemagne. Cela est nécessaire pour des raisons démographiques avant même que ce le soit pour des raisons financières.

Ensuite, la réforme du marché du travail. Il nous faut en Espagne créer un marché du travail plus homogène puisque nous avons aujourd’hui un marché du travail divisé entre un régime très protecteur et un qui ne l’est pas du tout, ce qui explique le fort taux de chômage en Espagne.

Enfin, la troisième réponse est une réforme de l’éducation et de la R&D. Nous devons investir beaucoup puisque l’Espagne n’est plus un pays où nous pouvons utiliser une main d’œuvre bon marché pour exporter.

Nous devons donc améliorer notre système de production, en investissant plus dans la recherche et le développement, et pour cela il nous faut un meilleur système éducatif.

Après la réunion del’Eurogroupe, pensez-vous que les Etats membres de la zone euro vont aider financièrement la Grèce ? Quelle est la position du gouvernement espagnol ?

Oui je pense qu’ils vont aider la Grèce.

Le message du Conseil européen du 19 février dernier, qui a été plus ou moins confirmé par les réunions de l’Eurogroupe et du Conseil Ecofin cette semaine, est qu’il serait trop dangereux de laisser tomber la Grèce puisque cela aurait des conséquences sur la zone euro qui pourraient non seulement causer des dommages sur les banques qui détiennent la dette grecque, et en particulier les banques allemandes, mais qui de plus entraîneraient une crise de confiance à l’égard de l’ensemble des Etats membres de la zone euro.

Donc cela doit être évité et le message est clair : la Grèce doit être aidée.

Et l’Espagne fait partie des pays qui soutiennent fortement cette position, d’abord parce que l’Espagne a beaucoup bénéficié de l’euro, mais également parce que nous ne savons pas à quelle vitesse la panique peut se répandre sur l’ensemble de la zone euro.

Or l’Espagne, comme le Portugal ou l’Irlande, sont des pays qui sont à ce titre un peu plus vulnérables que d’autres, comme par exemple l’Allemagne.

De ce point de vue nous devons toujours décider quelles sont les mesures dont nous avons besoin.

En effet, les conséquences de la dette grecque vont vraiment se faire ressentir le mois prochain, et donc le refinancement de la majeur partie de cette dette va devoir se faire au printemps.

Pensez-vous que l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal vont également avoir besoin de cette aide ?

Je ne le pense pas. L’Irlande a déjà présenté un plan très crédible pour résoudre son déficit public. Elle le fera sur le marché international, sans aucune difficulté.

Pour l’Espagne c’est un peu la même chose : elle peut résorber son déficit.

Le Portugal pourrait éventuellement rencontrer des problèmes mais je ne le pense pas. Je pense que les marchés vont ré-investir dans la plupart des pays, et également en Grèce si elle fait les réformes qu’elle doit faire.

Que pensez-vous de l’idée de créer un Fonds Monétaire Européen ?

Je pense qu’il est important que nous résolvions ce problème à l’intérieur de l’Europe, nous ne voulons pas que le FMI s’ingère dans cette affaire.

Il ne s’agit pas d’un problème de droit matériel européen mais bien d’un projet politique. Et il faut montrer que nous sommes capables de gérer nos problèmes en interne.

Cependant je ne pense pas que nous puissions trouver un consensus politique sur la création d’une nouvelle institution qui devra de plus s’adapter aux traités actuels, qui sont complexes. Je pense donc qu’il vaudrait mieux utiliser les mécanismes existant pour soutenir les pays qui en ont besoin.

L’Europe a-t-elle besoin d’un gouvernement économique ?

C’est un sujet très controversé. Il y a deux choses : nous avons besoin d’un gouvernement économique, mais je ne pense pas que cela arrive. Pourtant je pense que nous avons besoin de plus de gouvernance économique, et cela à plusieurs niveaux.

Premièrement nous avons besoin d’une Commission européenne et d’un Eurogroupe plus forts, qui puissent dire aux Etats ce qu’ils doivent faire. Il faut donc renforcer le pacte de stabilité et de croissance pour pouvoir demander aux Etats, mais également des mécanismes qui puissent encourager les Etats à faire des réformes. Si cela avait été fait par le passé, la Grèce ne serait pas dans sa situation actuelle.

D’un autre côté, nous avons besoin de plus de gouvernance sur le plan économique pour dire à l’Allemagne qu’il faut dépenser plus, puisque si l’Allemagne consomme plus, achète plus auprès de ces partenaires européens comme l’Espagne, la Grèce ou la France, cela va relancer la consommation au niveau européen et aider l’économie à repartir.

Donc je pense que nous avons besoin de plus de gouvernance sur ces deux aspects.

Mais je ne pense pas que l’Allemagne souhaite avancer sur ce point. Je pense que les projections à ce niveau ne sont pas très positives. Peut-être que les réformes structurelles dans le cadre du programme ‘2020’ permettront de faire des progrès, mais pas dans un autre cadre.

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