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Françoise Castex : “l’Union européenne ne doit pas définir ce qu’est un service public marchand ou pas”

Vus de France, Europe et services publics ne font pas bon ménage. Françoise Castex (PS-PSE) soutient, dans un essai réalisé avec Pierre Bauby et paru aux éditions de la Fondation Jean Jaurès, que les réelles opportunités offertes par le traité de Lisbonne et une forte mobilisation politique et citoyenne pourraient créer de nouvelles perspectives politiques. Une chance venue d’Europe ?

Touteleurope.eu : Services publics et traité de Lisbonne, où en est-on ?

Françoise Castex : Le traité de Lisbonne précise certains points que l’on peut désormais utiliser pour légiférer et sécuriser les services publics. On ne peut pas dire que le traité de Lisbonne règle la question des services publics en Europe. En revanche, il offre une base juridique en droit primaire sur laquelle on peut s’appuyer.

Le traité de Lisbonne comporte un nouveau protocole (n°26) sur les services d’intérêt général qui interprète la notion de valeur commune de l’Union à leur sujet. Ce protocole y affirme notamment le large pouvoir discrétionnaire des autorités publiques nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser ces services. Il établit notamment un principe de diversité des services d’intérêt général en référence à des préférences collectives et à la perception des besoins des utilisateurs à satisfaire localement (article 1er du Protocole 26).

Cette base juridique est le protocole 26, qui a été rajouté à la demande du Premier ministre des Pays-Bas. Ce protocole utilise les deux termes - services d’intérêt général (SIG) et les services d’intérêt économique général (SIEG) - pratiquement comme des synonimes. C’est bien la preuve que la distinction entre les deux n’est pas facile à faire. Il serait vain de perdre du temps sur une définition, d’une distinction des SIG, SIEG, SSIG et maintenant même avec les services non économiques d’intérêt général (SNEIG)…

Touteleurope.eu : il ne faudrait donc pas prendre en compte cette distinction entre SIG et SIEG ?

Françoise Castex : De mon point de vue, la distinction n’est pas pertinente et n’est pas opératoire pour clarifier juridiquement les pouvoirs des élus locaux en terme de financement et d’organisation de leurs services publics. Selon les situations, on s’aperçoit que la nature économique de ces services généraux peut être soumise à interprétation. Ainsi, peut être reconnue comme économique un service dont la prestation est payée par un tiers dans le cadre d’un tiers-payant ou la prise en charge par la communauté.

C’est la raison pour laquelle dans l’intergroupe nous avons choisi le terme de “service public” . Ce terme est d’ailleurs repris par la Confédération économique et sociale, le Conseil économique et social… Plutôt que de partir de la définition juridique, nous partons de l’objectif. Cet objectif met l’accent sur la finalité des ces services particuliers que sont les services publics.

Au niveau européen, le seul terme validé depuis le traité de Rome est le SIEG. Les différents traités reconnaissent que ces services peuvent constituer une exception aux règles de la concurrence qui doivent être appliquer sans que leurs missions particulières ne soient impactées par la concurrence. En 1957, on ne parlait que de “missions particulières” . Le but était de ne pas entrer dans des distinctions d’appellation de structures qui existaient déjà dans les Etats-membres. Comme çela, tout le monde pouvait s’y retrouver.

Quant à l’expression SIG ou services sociaux d’intérêt général, elle n’apparait que dans les communications de la Commission. Et pas en droit primaire.

Touteleurope.eu : les associations classées ‘à gauche’ ont souvent une vision négative de l’action de Bruxelles concernant les services publics. N’y a-t-il pas aussi une part de responsabilité des gouvernements nationaux ?

Françoise Castex : Les services publics ont été pris dans les années 80 sous une double instrumentalisation. Tout d’abord, le cadre juridique de l’Union européenne a construit le marché unique sous les règles de la concurrence. Or, même dans l’Acte unique, qui est l’acte de naissance du marché unique, l’organisation des quatre libertés de circulations (capitaux, personnes, marchandises et services) inclut tous les services sans faire de distinction.

Les premiers types de services concernés sont les services de réseaux (transports, énergie, communication). Pour créer cet espace de libre-échange au sein d’une Union européenne alors en pleine reconstruction en 1957, notre continent avait besoin d’un développement des grands services de réseaux. Ceux-ci étaient à l’origine des monopoles d’Etat. L’objectif était de fluidifier les services de réseaux en utilisant une méthode d’ouverture à la concurrence.

Touteleurope.eu : Les Etats se sont alors déchargés sur l’UE ?

Françoise Castex : Les seuls exemples de grands services publics pour les citoyens étaient des monopoles d’Etat existant depuis la Libération. D’un coup, ils sont démantelés, désorganisés, privatisés. Mais il y a là une responsabilité des Etats-membres. Dans les années quatre-vingts, l’idéologie dominante est très libérale. Et ce sont alors les gouvernements socialistes et sociaux-démocrates qui portent une espèce de suspicion sur le service de l’Etat et le monopole public.

Nous avons donc eu d’une part l’objectif de l’Union européenne de fluidifier ces services de réseaux et d’autre part la volonté des Etats de casser ces monopoles publics qui sont souvent constitués comme des Etats dans l’Etats (on pense à La Poste, EDF ou France Télécom de ces années-là).

Touteleurope.eu : par exemple pour La Poste, l’ouverture à la concurrence européenne oblige-t-elle l’Etat français à privatiser le service postal ?

Françoise Castex : Souvent les Etats-membres sont allés au-delà de ce que demandait Bruxelles. Soit par idéologie, soit pour casser ces entreprises publiques qui constituaient une force, que cela soit du point de vue de la gestion ou de l’opposition qu’elles constituaient avec la présence forte des syndicats.

Aussi parce que ces entreprises publiques avaient des objectifs concurrentiels non pas chez elles mais à l’extérieur.

Touteleurope.eu : C’est le cas de La Poste qui prend des marchés en Angleterre…

Françoise Castex : Ou dans les nouveaux Etats-membres. Protecteurs chez nous, prédateurs à l’extérieur. Il y aurait pourtant une autre manière de faire cette européanisation. Il y aurait pu y avoir des politiques de coopérations inter-étatiques entre ces entreprises publiques. Une intégration complète avec la création de réseaux européens est possible. La voie qui a été choisie, on en comprend la finalité sur la fluidification. Sur la méthode utilisée, il ne faut pas dire que c’était la seule façon de procéder. Si le but était bon, il y avait le choix des moyens.

Touteleurope.eu : Que proposez-vous avec M. Bauby pour la gestion des services publics dans un cadre européen ?

Françoise Castex : Nous partons d’un constat : durant les différentes étapes de la création du marché unique, et notamment concernant le marché des services, il y a une faute originelle. Celle de ne pas distinguer au sein de ces services ceux qui relèvent du service marchand (et qui peuvent obéir aux règles de la concurrence) et ceux qui sont non-marchands.

Quel que soit le terme utilisé, les traditions nationales, la nature du service rendu, tous les Etats-membres en Europe (et cela fait parti du modèle social européen) reconnaissent qu’il y a certains services qui sont rendus sous l’autorité et la responsabilité des pouvoirs publics (nationaux ou locaux). Ils considèrent que ces services sont dérogatoires aux règles du marché. Pour rendre ces services, les pouvoirs publics doivent avoir une grande liberté d’organisation ou de financement pour appliquer des conditions tarifaires qui sont soit de péréquation, soit d’indexation du tarif à des critères de revenus… des modes de financements aberrants dans une logique de marché.

Tout le monde reconnaît en Europe que ce type de services existe.

Touteleurope.eu : Quels sont ces services ?

Françoise Castex : Cela dépend des Etats. Si nous prenons l’exemple de l’eau : dans certains Etats comme les Pays-Bas, l’eau est un service public à 100% alors qu’en France, pourtant grand défenseur des services publics, l’eau est un service marchand avec des disparités de prix par fois à l’intérieur d’une même ville.

L’Education est pratiquement publique en France, en tous les cas assez sanctuarisée. Dans d’autres Etats comme la Grande-Bretagne, il y a une liberté de choisir de payer cher ou pas pour éduquer ses enfants apparaissant totalement logique. Le logement social idem. Aux Pays-Bas, le logement social est totalement public à la différence de la France. Etc.

Touteleurope.eu : vous proposez donc une distinction entre ce qui est marchand ou non-marchand ?

Françoise Castex : Oui, mais il ne faut pas pas dresser de liste a priori. Il n’appartient pas à l’Union européenne de dire ce qui est marchand ou pas. Il y a une large part de subsidiarité que l’Union européenne s’accorde à reconnaître. C’est de l’autorité des Etats-membres (voir infra). A partir du moment où une autorité locale décide que tel service soit rendu selon les règles d’un service public car elle veut en garder la responsabilité, le protocle 26 lui reconnaît le droit d’avoir un grand rôle discrétionnaire pour son organisation et son financement.

Touteleurope.eu : Les Etats ne doivent donc pas pouvoir prendre prétexte de la concurrence pour légiférer en la matière de service public ?

Françoise Castex : Les Etats et les autorités locales doivent avoir la possibilité de définir quel type de service est public et de quelle façon il faut le rendre. Ils garderaient leur prérogative politique. Ce que l’on dit dans cet essai, c’est qu’il ne faut pas prendre la question du service public d’un point de vue technique ou juridique mais d’un point de vue politique.

Le fondement du service public, c’est la relation entre l’autorité locale et l’usager. Le secteur que cette autorité choisit de rendre publique est un choix politique. Le débat démocratique se joue au niveau de compétences de l’autorité locale sur un territoire donné. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règles. Ce n’est pas parce que l’Union européenne ne légifère pas du point de vue de la concurrence dans ces domaines-là qu’on est dans une zone de non-droit. Il y a des règles nationales et locales qui s’appliquent. Il y a des cours régionales des comptes… On peut définir un cadre pour assurer plus de démocratie, de transparence dans la gestion.

Touteleurope.eu : peut-on réellement avoir les mêmes services publics partout en Europe sans tenir compte des traditions de l’Etat voisin ?

Françoise Castex : Dans un monde idéal, nous aurions une intégration parfaite de l’Europe où tous les citoyens auraient le même service public, avec les mêmes conditions et des tarifications régulés, etc. C’est un objectif à assez long terme. Pour le moment, il faut faire avec ce que l’on a : une superposition de compétences de pouvoirs locaux et d’autorités entre la commune et l’Union européenne.

Il faut déjà réaliser clairement cette répartition de compétences. La subsidiarité s’applique réellement dans un transfert de compétences laissant un large pouvoir discrétionnaire aux autorités publiques. Ceux qui doivent arbitrer, ce sont les citoyens.

En savoir plus

Europe : une nouvelle chance pour le service public ! - Fondation Jean Jaurès

La libéralisation des services postaux dans l’Union européenne - Touteleurope.eu

La politique européenne de concurrence - Touteleurope.eu

Questions-Réponses sur le statut de la SNCF - Touteleurope.eu

le site de Françoise Castex

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