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Croissance économique : que faut-il attendre du nouveau projet de Bruxelles ?

Le 16 novembre, la Commission européenne a profité de sa traditionnelle revue des budgets nationaux pour lancer une proposition peu habituelle. Elle a invité les Etats membres dont le déficit budgétaire est faible à augmenter leurs dépenses. Objectif : relancer la croissance de la zone euro. Une politique “expansionniste” efficace ? La réponse d’Agnès Bénassy-Quéré, économiste et présidente-déléguée au Conseil d’Analyse économique.

Croissance en zone euro

Quel est l’objectif de la nouvelle proposition de la Commission européenne ?

Agnès Bénassy-Quéré : L’idée est que les pays qui ont une marge de manœuvre budgétaire puissent se charger de cette légère relance (la Commission parle de 0,5% de PIB supplémentaire), pendant que les autres continueraient leur ajustement budgétaire comme prévu [i.e réduire leur déficit public pour orienter leur budget vers l’équilibre, ndlr].

Economiquement, cela peut-il fonctionner ?

Agnès Bénassy-Quéré : En temps normal, les effets d’une telle politique sont ambigus. Il est en effet difficile de prévoir les effets internationaux des politiques budgétaires. Par exemple, si l’Allemagne conduit une politique de relance, sa demande augmentera et la France pourra y augmenter ses exportations. Mais dans le même temps la Banque centrale européenne (BCE) pourrait remonter ses taux d’intérêt (pour éviter l’inflation), ce qui pénaliserait les investissements français.

En revanche, de nombreux travaux montrent que si les taux d’intérêt restent très bas comme actuellement (on peut s’attendre à ce que la BCE ne les remonte pas de sitôt), une politique de relance dans certains pays de la zone euro aura un impact positif sur les autres.

Le PIB potentiel d’un pays est une estimation du PIB qu’il peut atteindre lorsque toutes ses ressources productives sont utilisées. L’écart entre le PIB réel et le PIB potentiel est appelé écart de production, ou “output gap” : plus celui-ci est important, plus l’inflation est forte.

Par ailleurs, le PIB de l’Allemagne a aujourd’hui atteint son niveau potentiel. Du point de vue de l’Allemagne, une relance budgétaire n’aurait donc aucun sens. Elle risquerait même de créer de l’inflation. Mais on a peut-être justement besoin de cela, car pour que les autres pays améliorent leur compétitivité, il faut que leurs prix diminuent par rapport à l’Allemagne. Sans inflation en Allemagne, il leur faut une inflation négative, ce qui est très embêtant dans des économies endettées. En effet, la déflation alourdit mécaniquement le poids de la dette par rapport aux assiettes fiscales qui permettront de la rembourser.

S’agit-il d’un changement de politique européenne ?

Agnès Bénassy-Quéré : Il s’agit d’un véritable virage de la Commission. De manière similaire au cas Apple, la Commission pousse une vision de l’Europe comme un grand pays et non plus comme un ensemble de petits pays. Un grand pays, ça a du pouvoir contre les multinationales et ça mène une politique budgétaire. Mais c’est une vision assez française, que partage aussi l’Italie mais pas encore des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas.

Par ailleurs on ne peut pas forcer un pays à faire de la relance budgétaire s’il n’en a pas envie. Légalement, ce qui est dans le traité c’est le pacte de stabilité et de croissance, c’est-à-dire la contrainte d’équilibre budgétaire.

L’économie européenne est en train, certes mollement, de se redresser. Cependant il y a toujours un déficit de demande au niveau de la zone euro : le PIB est inférieur à son niveau potentiel, ce qui justifie une relance.

Compte tenu des incertitudes, cependant, il vaudrait mieux mettre en place une politique conditionnelle : l’ampleur de la relance devrait dépendre des chocs externes. Par exemple de la politique de la nouvelle administration Trump, dont on ne sait pas encore si elle va avoir des effets négatifs ou positifs sur l’économie européenne… on devrait surtout se tenir prêts à en faire plus ou moins, selon ce qui va se passer. C’est ce manque de flexibilité qui nous a nui en 2012-2013, où les gouvernements ont continué à ajuster leurs budgets malgré la rechute de l’activité.

Aujourd’hui, y a-t-il toujours un risque de dérapage budgétaire dans les pays de la zone euro ?

Agnès Bénassy-Quéré :La bonne nouvelle, c’est que l’ajustement budgétaire est en grande partie fait dans l’ensemble de la zone euro. Mais si l’on prend pays par pays c’est une autre histoire. Et ce que ne sait pas faire l’Europe, c’est distribuer les efforts en fonction des pays. L’Union européenne ne parvient pas à demander à un pays d’augmenter son déficit et exiger en même temps qu’un autre le réduise. C’est ce qu’essaie de faire la Commission européenne… mais j’ai quelques doutes sur ses chances de succès à cause de l’opposition de certains Etats membres.

A partir du moment où ceux-ci respectent le pacte de stabilité, ils considèrent qu’on ne peut rien leur demander. Pourtant, la procédure pour déséquilibre excessif, un autre instrument de coordination, suggère que chaque pays a non seulement la responsabilité d’ajuster ses finances publiques mais également de participer à la prospérité dans la zone euro.

Il y a toujours un risque que certains pays laissent filer le déficit. La France notamment, si c’est le choix du prochain gouvernement… le candidat de droite a affiché son intention de faire plus de déficit, tout comme l’extrême-gauche. Quant au Front national, il propose du déficit financé par la Banque centrale européenne avec la sortie de la zone euro.

Il est possible que l’Italie et l’Espagne fassent de même. Il y a aujourd’hui une certaine fatigue de l’ajustement budgétaire. Mais quitte à freiner cet ajustement, autant le faire en augmentant les investissements (par exemple pour réformer l’administration publique) plutôt que les dépenses courantes.

Pour les pays à l’équilibre budgétaire dont l’Allemagne, le risque que pose le déficit de leurs voisins, c’est simplement celui d’une nouvelle crise dans la zone euro qu’ils seraient obligés de financer. Au-delà d’une vision juridique ou “orthodoxe” de l’intégration et de l’économie, l’Allemagne souhaite éviter de devoir un jour aider la France ou l’Italie, comme elle a été obligée de le faire pour la Grèce (mais la France et l’Italie l’ont aussi aidée !), pour éviter un éclatement de la zone euro.

Propos recueillis par Vincent Lequeux

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