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“Crise et voies de sortie de crise dans les Pays partenaires Méditerranéens de la FEMIP” : une étude du FEMISE pour la BEI

La crise a touché de plein fouet l’Europe. Mais qu’en est-il en pour ses partenaires méditerranéens ? Afin d’en évaluer les conséquences, la Banque européenne d’investissement a commandé, par la voix de son vice-président en charge de la FEMIP, Philippe Fontaine-Vive, une étude au Forum Euro-méditerranéen des Instituts de Sciences Économiques (FEMISE). Présentée officiellement le 29 novembre dernier à Marseille, cette étude souligne que le contexte mondial de sortie de crise offre aux pays partenaires une opportunité pour développer de nouvelles formes de croissance. Toute l’Europe vous propose d’en découvrir une version synthétisée.


Les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée n’ont pas échappé à la crise économique mondiale, mais ils ont démontré une forte capacité de réaction. En vue d’apporter des clés d’analyse pertinentes, le Forum Euro-méditerranéen des Instituts de Sciences Économiques (FEMISE) a réalisé, à la demande de la Banque européenne d’investissement (BEI), une étude inédite dont les éléments principaux peuvent être ainsi résumés.

Dans quelle situation étaient les pays méditerranéens avant la crise et par quels canaux ont-ils été touchés ?

Les efforts menés depuis 1995, sous l’impulsion du partenariat euro-méditerranéen, pour une plus grande ouverture des pays de la FEMIP aux échanges internationaux avaient porté leurs fruits : la croissance avait été en moyenne de 4 à 6% par an et la part des échanges dans le PIB avait progressé de 20 points. Néanmoins, cette évolution laissait encore un grand potentiel en termes d’extension des accords de libre-échange à l’ensemble de la région (notamment pour les échanges sud-sud), de contenu de ces accords (inclusion des services et des produits agricoles) et de mise à niveau des entreprises des pays du sud aux standards européens. Ainsi la position commerciale des pays de la FEMIP restait-elle fortement déséquilibrée en faveur de l’Europe, son principal fournisseur et client.

En termes financiers, la progression avait été plus limitée : la faible ouverture du compte de capital (convertibilité des monnaies et politique des changes) s’est avéré un atout dans le contexte de la crise : elle a évité la fuite des capitaux et la contamination du secteur bancaire local. Mais cet atout devient un inconvénient pour la sortie de crise, car il prive les acteurs privés et les États de l’accès aux marchés des capitaux mondiaux, donc au financement à long terme.

Pour ces raisons, les pays de la FEMIP n’ont pas été contaminés par les mêmes canaux que les pays développés : ce n’est pas la crise financière qui les a impactés, mais la récession des pays développés (notamment en Europe) qui a entrainé une baisse brutale de la demande externe et des flux financiers internationaux (transferts financiers des expatriés, commerce extérieur, IDE ). Cette baisse a eu des répercussions sur la demande interne et sur les équilibres budgétaires (eux-mêmes sollicités par les plans de relance nationaux mis en place pour soutenir la consommation) ; au total, la croissance du PIB a été ramenée à 3,7% en 2009.

Le système bancaire, peu affecté, est resté solvable et profitable. Pour autant, il ne participe qu’insuffisamment au financement de la reprise en demeurant peu enclin à augmenter ses crédits à l’investissement privé.

Si le secteur financier local a été peu touché et si la dette extérieure a été bien maitrisée, la faible reprise des flux financiers extérieurs et le solde toujours négatif du commerce extérieur en 2010-2011 font craindre une détérioration économique persistante par le manque de liquidités et la diminution sensible des réserves. Dans ce contexte, le renchérissement des matières premières importées (énergie, produits alimentaires) fait peser un risque additionnel non négligeable.

Effets de la crise sur les équilibres macro-économiques et l’attractivité

Les années 2010-2011 vont confronter les pays de la FEMIP à trois types de difficultés : a) une croissance affaiblie, donc un chômage en hausse et des déficits budgétaires persistants ; b) des comptes extérieurs toujours en déséquilibre ; c) moins d’entrées de capitaux. Les pays à taux de changes fixes et marges budgétaires faibles (Jordanie, Liban, Syrie) seront les plus affectés. Les pays à taux de change plus flexibles (Égypte, Algérie, Tunisie, Maroc) pourront s’autoriser des politiques monétaires contra-cycliques à l’abri d’une liberté restreinte des mouvements de capitaux.

Si les pays de la FEMIP ont réussi à maintenir une confiance certaine de la part des financiers internationaux , il reste que la gestion de la dette extérieure demeure un exercice délicat, tant les spreads et les CDS sur la dette en devises ont été volatils en 2009-2010.

Ceci indique que, dès la sortie de crise, les pays concernés devront veiller à maintenir la confiance par une gestion rigoureuse des grands équilibres et par une ouverture très prudente aux marchés internationaux (pourtant indispensable). Le bon mix de politique économique serait donc un équilibre délicat à trouver entre flexibilité des taux de change et ouverture à une plus grande convertibilité du compte de capital

Sortie de crise et croissance future

La sortie de crise est de nature à modifier la hiérarchie des économies au niveau mondial. Ainsi, de la part des pays développés, on assiste à la mise en place de programmes destinés à modifier le contenu de la croissance (investissement dans de nouvelles activités : environnement, économie de la connaissance, renforcement de l’attractivité des territoires) et à établir des mesures défensives (limitation des délocalisations, renforcement des normes, etc.). Pour leur part, les “grands” pays émergents (BRIC) renforcent leur attractivité par des progrès institutionnels, une plus grande ouverture aux échanges et la création de grandes entreprises capables de porter des IDE à l’étranger . Enfin, au plan international, on observe un renforcement des espaces régionaux de coopération (cf. l’Agenda “Europe 2020” , ou l’accord régional sur les IDE de l’ASEAN ).

Ce contexte mondial offre aux pays de la FEMIP l’opportunité de renforcer leur compétitivité, à condition qu’ils développent de nouveaux vecteurs de croissance afin de relever un double défi : celui de la convergence avec les pays de la rive nord méditerranéenne et celui de la création d’emplois pour répondre à l’arrivée de 60 millions de nouveaux actifs d’ici à 2030 (ce qui implique une croissance annuelle de 7 à 8%).

A cet égard, trois leviers sont à considérer :

- Une politique plus active en faveur des IDE

Au cours de la dernière décennie, les pays de la FEMIP ont réussi à doubler le volume des IDE qu’ils ont attiré dans leurs économies , signe tangible des progrès accomplis en termes d’attractivité économique et de confiance ressentie. Après une baisse significative en 2009 (voir note 2), les flux d’IDE ont sensiblement repris en 2010. Toutefois, la compétition mondiale dans ce domaine et la discrimination dont font preuve les investisseurs appellent les pays FEMIP à renforcer leur attractivité en jouant sur plusieurs facteurs :

progresser sur la voie de l’intégration sud-sud, afin d’offrir aux investisseurs un marché qui, potentiellement, représente plus de 200 millions de consommateurs (voir note 5);

  • poursuivre l’amélioration du climat des affaires et la création d’un environnement favorable à l’investissement privé. A cet égard, la mise en place de politiques de recours au modèle concessif et aux partenariats public-privés pour le développement des services collectifs est une priorité ;
  • cibler systématiquement les IDE qui conduisent à des transferts de technologies et induisent des spécialisations à haute valeur ajoutée pour les PME locales.
  • Une dynamique de croissance par la productivité globale des facteurs (PGF)


A l’exception notable de la Tunisie et d’Israël, la croissance dans les pays de la FEMIP ces 20 dernières années a été tirée par deux facteurs : l’accumulation du capital physique et l’accroissement démographique. Ce modèle est doublement remis en cause : d’une part, en raison de l’affaissement de la “cloche démographique” à l’horizon 2020-2030, d’autre part, parce que l’accumulation extensive du capital entraine un ralentissement de la productivité par tête, sans pour autant préserver l’emploi. Plusieurs pays, tels le Maroc, la Jordanie et le Liban, en ont pris conscience et commencé à investir fortement, ces dernières années, sur une croissance par la productivité du travail avec des résultats convaincants.

Comment s’incarne cette évolution ? Schématiquement, par deux déterminants :

  • un déplacement de la frontière technologique : investir sur la formation (capital humain) et sur l’innovation (processus de production et d’organisation) ;
  • une allocation plus efficace des facteurs de production par la mobilité : des personnes/emplois, des capitaux/investissements et des entreprises (système relationnel et concurrence).


Le passage à une croissance par la productivité suppose donc des évolutions majeures, notamment au niveau de l’organisation de la société (éducation, libéralisation, mobilité, etc.). Elle est pourtant la seule voie de croissance durable compatible avec d’une part, les déterminants économiques propres aux pays méditerranéens et d’autre part, la compétition imposée par une économie globalisée.

Des actions structurelles à moderniser et renforcer

La nouvelle hiérarchie mondiale des économies, dont la crise accélère la réalisation, provoque une forte résurgence des politiques volontaristes tant chez les pays développés, que les chez les émergents (cf. le 1er § du point 3, ci-dessus). Pour les pays de la FEMIP ces bouleversements sont une opportunité à saisir d’autant que : a) la faiblesse des avancées dans la coordination économique mondiale laisse une large place aux initiatives régionales, et b) les pays méditerranéens ont un long historique des politiques structurelles. Cependant, jusqu’à présent ces politiques n’ont pas connu les succès escomptés. Sans doute parce qu’elles se résumaient le plus souvent à des actions sectorielles fondées sur la protection du marché domestique et de la prédominance du secteur public. Mais aussi parce que des préoccupations de redistribution des revenus ont souvent pris le pas sur l’objectif de la modernisation des structures de production. La tradition des politiques structurelles doit donc être à la fois modernisée et renforcée chez les pays méditerranéens de la FEMIP, dans trois directions :

  • d’une part, celle de la définition d’une stratégie d’ensemble visant à l’amélioration de la cohésion sociale (« croissance inclusive » assurant la réduction de la pauvreté, la promotion d’une classe moyenne et l’équilibre des territoires) ;

  • d’autre part, celle des actions à privilégier : a) en premier lieu, la correction des conditions initiales (élévation des niveaux d’éducation, de formation, des infrastructures et services de base) ; b) en second lieu l’amélioration des conditions économiques courantes (modernisation des services financiers, amélioration l’environnement des entreprises, etc.) ; c) enfin, la promotion des compétences nouvelles (enrichissement du capital humain, recherche et développement, appui à l’innovation dans les entreprises) ;
  • le troisième axe est celui de l’orientation des politiques structurelles qui doit tendre à une ouverture maitrisée de ces économies vers l’international par le renforcement de la productivité des flux extérieurs (développement de nouvelles activités soutenant des exportations à plus forte valeur ajoutée ; politiques d’attractivité des IDE susceptibles de nourrir des PME en aval ; mobilisation du secteur privé au soutien d’investissements d’utilité collective ; renforcement des accords constitutifs d’un plus grand marché intérieur : coopération commerciale, reconnaissance mutuelle des compétences, achèvement de la zone de libre-échange).

Conséquences pour la relation Europe-Méditerranée

Les évolutions préconisées par le FEMISE impacteront nécessairement le contenu et le pilotage de la relation Europe-Méditerranée. A cet égard, on relèvera les points suivants :

  • l’achèvement de la zone régionale de libre-échange, objectif central, devra mobiliser au nord comme au sud des politiques d’accompagnement dans les domaines de l’accès au marché (produits agricoles et services), de mise à niveau des entreprises, de reconnaissance mutuelle des compétences et de gestion de la mobilité des personnes. De telles politiques n’auront de plein effet que si conçues et portées au niveau régional ;

  • l’objectif de codéveloppement et l’ “Union de projets” impliquera la satisfaction des besoins collectifs essentiels (rattrapage du sous-équipement en infrastructures sociales et économiques). Cependant, la contrainte budgétaire et le volume des investissements à réaliser (+/- 300 milliards d’€ d’ici à 2030) mobilisera des moyens innovants tant dans la forme (association du secteur privé), que dans le contenu (nouvelles spécialisations, essaimage sur les entreprises locales, etc.). De tels objectifs supposent, au sud, la mise en place de gouvernances sectorielles claires et, à l’échelle régionale, un pilotage partagé des priorités sectorielles et géographiques ;

  • enfin, la relation Europe-Méditerranée devra se poser la question de l’équation des transferts financiers entre le nord et le sud et des moyens pour y parvenir : recours au budget (transferts gratuits), à une institution financière régionale (agissant comme un orientateur et transformateur de l’épargne internationale), et/ou mise en place d’instruments d’accompagnement des politiques d’ouverture du compte de capital des pays partenaires (par ex : fonds de stabilisation pour éviter les crises de réserves) ?


En tout état de cause, la relation Europe-Méditerranée devra être approfondie dans le sens d’une gestion commune de la réflexion sur les projets, les hommes et les flux.


Etude réalisée par Ahmed Galal et Jean-Louis Reiffers ; coordinateurs du FEMISE

Notes de bas de pages

1. La FEMIP est l’instrument de la BEI dédié à la mise en œuvre des objectifs du Partenariat Euro-méditerranéen. Ses pays d’action sont : Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Jordanie, Israël, Palestine, Syrie, Liban.

2. Au plan régional, en 2009, les pays méditerranéens ont ressenti des baisses de 30% de leurs exportations de marchandises (faiblement compensée par une baisse de 18% des importations), de 31% des IDE (investissements directs étrangers), de près de 20% des transferts financiers des migrants, de 5% des recettes du tourisme, etc. Les soldes courants se sont affaissés de quelque 35 Mrds de $, soit 4,7% du PIB, entrainant un déficit de 2% du PIB.

3. Malgré la crise, la notation financière des pays ne s’est pas substantiellement dégradée. Dans le cas du Maroc, elle s’est même améliorée (BBB-).

4. Les IDE des grands émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont cru de 25% en 2009.

5. Accord ASEAN CIA : tout en maintenant la souveraineté des États en matière fiscale et de subventions, cet accord assure la clause du traitement national, les libertés de mouvements de capitaux et de circulation des emplois, établit une promotion commune de la région et garantit une gestion équitable des conflits par une cour arbitrale indépendante. Il est complété par la création du fonds ASEAN +3.

6. La part des pays de la FEMIP dans le volume mondial des IDE est passée de 1,5 à 3% entre 1995 et 2005 ; plus important, les IDE représentent une proportion essentielle de l’investissement total dans plusieurs de ces pays : 52% en Jordanie, 48% au Liban, 26% en Israël et en Égypte, 25% en Tunisie, 20% en Syrie et 8-10% seulement au Maroc. Seule l’Algérie reste peu attractive avec 4,8%.


En savoir plus

FEMIP Crise et voies de sortie de crise dans les pays méditerranéens [pdf] - Banque européenne d’investissement

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