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Conversation entre Michel Rocard et Frits Bolkestein

Peut-on réformer la France ? - © Autrement, 2006Faut-il dialoguer avec le diable ? C’est la question que se pose Michel Rocard, ancien Premier ministre, aujourd’hui député européen, avant d’entamer cette conversation avec Frits Bolkestein, l’ancien commissaire européen à l’origine d’une proposition de directive hautement controversée sur la libéralisation des services. Il en résulte une confrontation d’idées stimulante entre deux fins connaisseurs des arcanes de l’Union européenne et des mutations du capitalisme contemporain, un système économique dont tous deux s’accordent à penser qu’il est le plus efficace.

D’ailleurs, les deux hommes partagent souvent le même diagnostic et n’hésitent pas à tenir des propos qui les placent à contre-courant de leurs familles de pensée. Ainsi voit-on le libéral Frits Bolkestein s’indigner contre les rémunérations mirobolantes des grands patrons et les abus de certains employeurs. Quant au socialiste Michel Rocard, il revendique pleinement l’étiquette de “libéral” , avoue détester l’expression de “modèle social français” et déplore le jacobinisme de son pays.

“Pensez-vous, Michel, que ma directive soit la cause du non français ? J’aime à me donner de l’importance, mais tout de même…”

Les deux hommes n’en demeurent pas moins de farouches adversaires politiques, qui s’opposent sur les orientations socio-économiques à donner à l’Union européenne. Le libéralisme dont se réclame Michel Rocard ne peut s’épanouir que dans le cadre de règles “justes” . D’après lui, cet équilibre est aujourd’hui mis à mal par un capitalisme actionnarial qui creuse les écarts sociaux et suscite un fort rejet de la part des peuples, particulièrement des Français épris d’égalité.

Frits Bolkestein ne s’embarrasse pas d’idéologie. Son obsession, c’est la “décadence” annoncée d’une Europe économiquement atone, repliée sur ses “acquis” et frileuse face aux changements qui, selon lui, s’imposent d’urgence. Préférant le point de vue de l’entreprise aux abstractions macroéconomiques, il réclame de profondes réformes, seules à même de maintenir le rang de l’Europe dans la compétition mondiale. Dans ce “match” qui oppose les chantres de la flexibilité aux partisans d’une nouvelle régulation, la “droite” libérale, majoritaire dans l’Union européenne, a pour l’instant la main, constate Michel Rocard.

Si l’avenir de la France est le prétexte de ce dialogue, l’Europe, théâtre des affrontements passés entre le commissaire et le député européen, figure constamment à l’arrière-plan de leurs échanges. Pour Michel Rocard, le rêve d’une Europe fédérale, déjà mis à mal par l’adhésion britannique, est définitivement mort avec le “non” à la Constitution. Désormais, l’Union européenne devra se contenter d’édicter des règles plus justes à la mondialisation et de propager son modèle de proche en proche, jusqu’à intégrer l’ensemble du pourtour méditerranéen. Pour l’ancien Premier ministre, c’est en deçà de ses ambitions initiales, mais c’est déjà beaucoup.

“Votre étonnement me fait plaisir, j’y vois de la chaleur et de la dignité démocratique… Le diable Bolkestein est donc humain”

Frits Bolkestein envisage pour sa part une Europe modeste, dont l’objectif principal serait de favoriser la croissance économique de ses Etats membres, sans s’immiscer dans leurs modèles politiques et sociaux. Le Néerlandais rejette l’adhésion de la Turquie parce que celle-ci n’appartiendrait pas à l’histoire européenne et rendrait l’Union ingouvernable.

A travers ce dialogue, les deux hommes esquissent les grands traits de deux conceptions de l’Europe qui pourraient bien s’affronter dans les décennies à venir : un marché unique strictement européen contre un espace de régulation qui dépasserait les frontières du continent.

Frits Bolkestein & Michel Rocard, Peut-on réforme la France ?, Autrement, 2006

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