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Conditions de travail, pollution… comment l’Europe tente de réformer le transport routier

Les institutions européennes planchent depuis désormais 18 mois sur le “paquet mobilité”, une série de lois qui vise à profondément réformer les règles du transport routier. Mais qu’il s’agisse des droits des chauffeurs ou des normes d’émissions de gaz à effet de serre, la discorde est de mise entre gouvernements et députés européens.

Le paquet mobilité vise à réformer le transport routier - Crédits : iStock
Le paquet mobilité vise à réformer le transport routier - Crédits : iStock

Le “paquet mobilité” désigne un ensemble de textes, proposés par la Commission européenne entre mai 2017 et mai 2018, qui visent à réformer profondément les règles du transport routier en Europe. Un domaine qui relève de la compétence partagée entre l’Union européenne et les Etats membres dans la mesure où il joue un rôle fondamental dans le bon fonctionnement du marché unique.

On entend ici par “transport routier” l’ensemble de la circulation routière, des particuliers et des entreprises sur tous types de véhicules motorisés.

Il s’agit également d’un champ d’action incontournable dans la transition écologique et l’application des accords de Paris sur le climat. De fait, comme l’indique Franceinfo dans une série d’infographies, dans un pays comme la France, les transports sont responsables de 28,5% des émissions de gaz à effet de serre, 94% de cette part revenant au seul trafic routier.

Premier volet : le détachement des travailleurs et les conditions de travail

Traité en premier, le volet social du paquet mobilité s’inscrit dans l’exact prolongement des longues discussions, conclues en mai dernier, sur la révision de la directive sur les travailleurs détachés. En effet, à la demande des pays d’Europe centrale et orientale ainsi que de l’Espagne et du Portugal, le transport routier a été exclu du champ d’application de cette directive. Et force est de constater que partisans et pourfendeurs de la révision jouent aujourd’hui le “match retour” de cet âpre combat sur le terrain des transports.

Les sujets de confrontation ?

  • La question du détachement tout d’abord. En effet, l’exemption totale des chauffeurs routiers du détachement (qui seraient donc toujours considérés comme des travailleurs de leurs pays d’origine), au nom de la spécificité de leur activité, est défendue par les pays d’Europe de l’Est et une partie de la droite européenne. Inacceptable pour les autres, qui arguent que les entreprises seraient alors autorisées à rémunérer les chauffeurs selon le régime national le “moins-disant” socialement.
  • La question du cabotage (faculté accordée à titre temporaire à un transporteur issu d’un autre État membre de l’UE de réaliser un transport intérieur sur le territoire national) ensuite. Les tenants d’une large dérégulation espèrent un seuil de 7 jours par mois. Tandis que les pays d’Europe occidentale estiment que cela pénaliserait fortement les entreprises nationales aux coûts, sociaux notamment, plus élevés.
  • La question des conditions de travail enfin. En la matière, l’option la plus libérale serait une durée maximale de travail de 45 heures par semaine, la possibilité de rouler sans jour de repos pendant deux semaines consécutives et l’autorisation pour les chauffeurs de dormir dans leurs cabines s’ils stationnent dans des parkings surveillés. Des règles qui s’apparenteraient à un profond retour en arrière, ont immédiatement dénoncé les syndicats européens, car elles seraient encore moins protectrices pour les chauffeurs que celles actuellement en vigueur.

L’ensemble de ces dispositions ont été rejetées par les députés européens réunis en session plénière en juin, malgré un premier avis favorable de la commission des transports. Cette dernière a par conséquent repris le travail afin de proposer un nouveau texte aux eurodéputés. En parallèle, les ministres européens des Transports poursuivent également les négociations, sans qu’une position commune n’ait pour l’heure été obtenue. Sachant qu’en dernière étape, Parlement et Conseil, en tant que colégislateurs, devront concilier leurs positions.

Deuxième volet : les émissions des voitures

La deuxième série de propositions de la Commission européenne porte sur les émissions de gaz à effet de serre des véhicules et utilitaires légers neufs. Des textes qui s’inscrivent dans la stratégie globale de lutte contre le changement climatique, de réduction de la consommation d’énergie et aussi d’amélioration de la compétitivité des entreprises dont les dépenses notamment en carburant seraient réduites.

En la matière, le Parlement européen a adopté sa position au début du mois d’octobre et s’est prononcé en faveur d’un objectif d’une réduction des émissions de 40% pour l’horizon 2030 concernant les véhicules légers commercialisés à partir de 2020. Une position plus ambitieuse que celle initialement prévue par la Commission européenne (30% d’ici 2030).

Parmi les mesures validées par les eurodéputés, figure également celle de la création d’une “euro-redevance” . Si elle devait être approuvée par les ministres européens à l’issue de la phase de conciliation, cela signifierait l’abolition des vignettes pour les camions à partir de 2023 et pour les utilitaires légers d’ici à 2028. Un véritable “tournant” , estime Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy (PS), rapporteure du Parlement européen sur ce texte, car le coût des péages serait désormais calculé en fonction de la distance effectivement parcourue et non plus de manière forfaitaire. De plus, une redevance spécifique pour tous les véhicules est également prévue par les eurodéputés en fonction du niveau de pollution.

Les négociations entre le Parlement européen et le Conseil des ministres s’annoncent toutefois délicates. A cet égard, l’Allemagne devrait se montrer particulièrement dure en affaires. Très soucieuse de protéger son industrie automobile, également menacée par les mesures douanières agressives des Etats-Unis, Berlin préfèrerait des normes nettement moins drastiques, et faire plutôt contribuer financièrement les constructeurs au remplacement des vieux véhicules polluants. “Après l’affaire du Dieselgate, on aurait pu croire que l’Allemagne prendrait le leadership” sur la question des émissions des véhicules, or “on voit bien que le gouvernement fait tout pour amoindrir les normes antipollution” , confirme avec amertume Karima Delli (Verts), présidente de la commission des transports au Parlement européen.

Troisième volet : les émissions des poids lourds

Dernière série de mesures, celles concernant les émissions de gaz à effet de serre des poids lourds neufs. Un enjeu de taille dans la mesure où, comme le rappelle le Parlement européen, ces derniers sont responsables d’environ 25% des émissions totales du secteur des transports, alors qu’ils ne représentent que 5% de la flotte des véhicules en circulation.

Sur ce troisième volet, le Parlement européen s’est prononcé ce mercredi 14 novembre. A une courte majorité - 373 voix pour, 285 voix contre et 16 abstentions - illustrant à nouveau les divergences importantes parmi les Européens, le rapport conduit par l’eurodéputé néerlandais Bas Eickhout (Verts) a été approuvé. Des objectifs de réductions des émissions de 20% d’ici 2025 et de 35% d’ici 2030 sont prévus pour les poids lourds neufs à partir de 2020. Des cibles plus ambitieuses que celles proposées par Bruxelles (15% d’ici 2025 et 30% d’ici 2030).

Exactement comme pour les deux autres volets du paquet mobilité, les négociations s’annoncent longues voire houleuses avec les capitales européennes. Une nouvelle fois, le Conseil de l’UE devrait défendre des objectifs moins importants. La “pression” de la part du lobby automobile est “forte” reconnaît Karima Delli, mais en votant en faveur du rapport de son collègue écologiste, le Parlement européen a envoyé le signal selon lequel “on n’est pas là pour faire plaisir aux intérêts privés” , estime-t-elle.

Il s’impose désormais aux parlementaires de “jouer sur tous les fronts” , explique encore la présidente de la commission des transports. Car la planète et les citoyens européens, qui ont encore été 500 000 à mourir prématurément en 2016 en raison de la pollution de l’air rappelle-t-elle, ne peuvent pas attendre. Pas plus que les 12 millions d’employés du secteur automobile “qu’il va falloir accompagner” dans l’inévitable et profonde mutation que leur industrie va connaître au cours des prochaines décennies.

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