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Comment Bruxelles va “aider l’industrie européenne à prendre le virage du numérique”

Priorité de la Commission européenne, le développement du marché unique numérique devrait connaître une accélération en 2016. Cloud européen, intégration des technologies dans les entreprises, commerce électronique… Bruxelles dévoilera prochainement de nouvelles propositions pour aider l’Europe à faire face à la révolution numérique en cours. Avec quels objectifs ? Quel constat sur les blocages de l’Europe ? Et quelle vision du futur ? Nous avons posé ces questions au directeur général de la DG Connect, le service en charge du numérique au sein de la Commission : Roberto Viola.

Roberto Viola (DG Connect) (c) Commission européenne

Touteleurope.eu : Vous êtes responsable de la DG Connect depuis le 1er septembre 2015 : quelles sont aujourd’hui vos priorités ?

Roberto Viola est directeur général de la DG CONNECT à la Commission européenne depuis 2015. Ancien chef du service des télécommunications et de la radiodiffusion par satellite au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA), il dirige à partir de 1999 le département de la réglementation au sein de l’Autorité italienne de régulation des télécommunications (AGCOM), dont il devient secrétaire général en 2005. En 2010 il préside le groupe pour la politique en matière de spectre radioélectrique (RSPG). Il entre au conseil d’administration du BEREC (Organe des régulateurs européens des télécommunications) et préside le Groupe des Régulateurs Européens (ERG).

Roberto Viola : Ma priorité principale, qui est par ailleurs l’une des 10 priorités de la Commission européenne, est la création d’un Marché Unique Numérique en Europe.

Le Marché Unique Numérique est un espace sans frontières, où particuliers et entreprises peuvent produire et échanger des biens et des services, innover et interagir en toute légalité et en sécurité. Ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui est loin d’être idéal. Des obstacles qui n’existent pas au sein du marché unique ‘physique’ nous freinent encore dans le monde numérique. Cela doit changer.

Pour atteindre ce but, il faut agir dans plusieurs domaines.

Nous essayons tout d’abord de faire en sorte que le commerce électronique transfrontalier soit plus simple, en particulier pour les PME. Ce qui est possible dans le monde physique doit être possible en ligne. Pour cela nous voulons régler le problème du ‘geo-blocking’ sur Internet, qui empêche encore beaucoup d’Européens de commander des biens et des services dans d’autres Etats membres.

Nous allons revoir le cadre réglementaire des télécommunications, avec comme objectif d’assurer une connectivité maximale pour les Européens, via le déploiement de réseaux d’accès plus rapides et plus fiables dans toute l’Europe.

Nous sommes en train de revoir les règles dans le secteur de l’audiovisuel et des médias et d’évaluer le rôle des plateformes en ligne, en particulier leur transparence vis-à-vis des utilisateurs, la manière dont elles gèrent les données collectées, mais aussi la manière dont elles traitent les contenus illégaux, par exemple le contenu piraté.

Nous allons lancer plusieurs initiatives pour la création d’une économie européenne de la donnée, en déployant des infrastructures numériques de pointe et en permettant la libre circulation des données au sein du Marché Unique Numérique.

Nous allons moderniser le cadre sur les droits d’auteur et simplifier les règles sur la TVA.

Nous travaillons d’arrache-pied sur tous ces projets et nous ferons des propositions concrètes dès 2016.

Touteleurope.eu : Comment voyez-vous le futur marché numérique européen ?

Roberto Viola : Le numérique n’est pas vraiment un secteur distinct de notre économie. Les technologies numériques sont partout : dans les réseaux électriques, dans les usines et les centres de recherche, à l’école et dans les administrations publiques. Lorsque nous imaginons notre avenir numérique, plutôt que de nous concentrer sur un secteur donné, nous devons nous demander comment l’économie et la société dans leur ensemble peuvent s’adapter et tirer profit des changements qu’apporte la révolution numérique.

Les technologies numériques ont déjà amélioré la croissance européenne : entre 2001 et 2011 par exemple, la numérisation a été directement responsable de 30% de la croissance du PIB au sein de l’UE.

Nous devons poursuivre sur cette lancée et nous assurer que les entreprises et les administrations européennes sont au premier plan pour le développement et l’exploitation des technologies de l’information et des communications. Pour cela, il nous faut investir dans des infrastructures numériques de classe mondiale, telles que les réseaux très haut-débit, l’informatique distribuée (Cloud computing), le calcul haute performance (HPC) et les méga-données (Big Data). Nous devons investir dans la recherche et le développement et faire en sorte que les résultats donnent lieu à des innovations qui soient commercialisées par nos entreprises.

Le numérique peut également rendre la société plus inclusive. Encore aujourd’hui les citoyens européens ne profitent pas pleinement de tous les avantages liés aux services numériques, de l’administration électronique à la santé en ligne en passant par les transports intelligents.

La stratégie pour un Marché Unique Numérique est notre feuille de route pour construire une économie de la donnée moderne en Europe, en s’appuyant sur des investissements ciblés dans des infrastructures numériques de pointe et un cadre réglementaire qui stimule notre compétitivité et assure une société numérique inclusive. On estime que le Marché Unique Numérique pourrait contribuer à hauteur de 415 milliards d’euros à l’économie européenne.

Touteleurope.eu : Face à la domination américaine sur le numérique, quelle peut-être la place de l’Europe ?

Roberto Viola : L’Europe joue un rôle majeur dans des domaines essentiels : les technologies émergentes, les nanotechnologies, la photonique, les biotechnologies, et beaucoup d’autres encore. Nous comptons de nombreux Prix Nobel et nos chercheurs peuvent rivaliser avec les meilleurs chercheurs du monde. Là où nous sommes moins efficaces, c’est lorsqu’il s’agit de transformer les résultats de notre recherche en innovations commerciales, qui permettraient de faire croître nos entreprises technologiques pour en faire des leaders mondiaux.

Et c’est là que le Marché Unique Numérique se révèle utile : des marchés fragmentés sont un obstacle pour les entreprises, pour les gouvernements et pour les citoyens. Les technologies numériques - qui ne connaissent pas de frontières - permettent au contraire aux entreprises de s’adresser au plus grand nombre de consommateurs, à moindre coût. Le Marché Unique Numérique permettra aux entreprises européennes, en particulier les PME, de bénéficier des effets d’échelle d’un véritable Marché Unique.

Pour être compétitive au niveau mondial, l’Europe doit également déployer des infrastructures numériques qui soient accessible à nos chercheurs et à nos ingénieurs partout en Europe. L’initiative pour un Cloud européen, qui sera dévoilée le 6 avril prochain dans le cadre d’un paquet de mesures pour les technologies numériques et la numérisation de l’administration publique, a pour objectif de donner à l’Europe un rôle majeur dans la science ouverte, les infrastructures de données et le calcul à haute performance. Déployer une telle infrastructure renforcera aussi nos compétences industrielles dans la chaîne de valeur du calcul à haute performance.

Mais j’aimerais aussi souligner que l’Europe et les Etats-Unis partagent avant tout une vision commune de notre avenir numérique. Nous collaborons étroitement par exemple avec nos partenaires américains et internationaux pour assurer un Internet libre et ouvert. Nous avons également récemment conclu un accord qui assure la protection des données personnelles des européens dans les échanges de données transatlantiques. Nous espérons qu’en travaillant ensemble, nous servons d’autant mieux les intérêts des européens et des citoyens du monde entier.

Touteleurope.eu : Selon vous, quels sont les principaux atouts de notre continent dans ce domaine ?

Roberto Viola : Je dirais incontestablement que ce sont les Européens eux-mêmes. Nous avons en Europe des personnes de talent, bien formées et qui ont des idées. La Commission européenne est fière de financer plusieurs centaines de ces jeunes talents, qu’ils conduisent leurs recherches dans le domaine du numérique ou qu’ils créent leur propre entreprise. Nous souhaitons que les Européens utilisent leur créativité et leur esprit d’innovation pour transformer l’héritage européen et créer de nouveaux biens, de nouveaux services ou de nouveaux contenus qui améliorent le vie de tous.

Touteleurope.eu : Et ses principaux handicaps ?

Roberto Viola : Outre les obstacles réglementaires et l’insuffisance des investissements, pour lesquels nous faisons le nécessaire (via notamment le Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques), je suis très inquiet du retard de l’Europe en termes de compétences numériques. Alors que l’on sait que la plupart des métiers, quel que soit le secteur d’activité, exigent déjà des compétences numériques, 40% de la population et 32% des actifs en Europe manquent encore des compétences numériques de base. En outre, 40% des entreprises rencontrent des difficultés pour embaucher des professionnels du numérique. Si nous ne parvenons pas à régler ce problème, l’Europe pourrait manquer de plus de 800 000 employés qualifiés dans le domaine des technologies de l’information et des communications d’ici 2020. Et ce malgré un taux de chômage élevé, notamment chez les jeunes.

Nous devons nous attaquer à cette fracture numérique en Europe et voir comment l’UE peut aider les Etats membres à relever ce défi.

Touteleurope.eu : Le numérique est également au cœur des priorités du gouvernement français, qui souhaite peser sur l’agenda européen. Quels regards portez-vous sur les évolutions du numérique en France, et notamment le projet de loi pour une République numérique ?

Roberto Viola : Je suis très heureux de voir que la France, comme d’autres Etats membres, réalise pleinement l’importance et le potentiel de l’économie numérique et qu’elle décide de prendre des actions concrètes pour en tirer profit.

La révolution numérique est un défi pour toute l’Europe. Il est important que l’on donne une réponse forte et unie à la transformation en cours de notre économie et de notre société. Ce que l’on doit absolument éviter, c’est de voir chaque Etat membre créer ses propres règles sans qu’il y ait de coordination, car c’est comme cela que l’on (re-)crée les barrières nationales que nous souhaitons tous abolir. Il est donc essentiel de maintenir le dialogue entre les Etats membres, entre les Etats membres et l’UE et avec les parties prenantes pour bâtir un cadre d’intervention cohérent et efficace.

Nous avons récemment publié l’indice DESI qui mesure les progrès accomplis par les États membres vers une économie et une société numériques. La France, même si elle conserve d’indéniables points forts comme ses services publics numériques, a cette année progressé moins vite que le reste de l’UE et doit redoubler d’efforts pour raccrocher le wagon des pays les plus avancés. Nous présenterons au mois de mai des recommandations concrètes, élaborées sur la base de l’indice DESI, pour permettre à chaque État membre d’améliorer ses performances numériques.

Touteleurope.eu : Au-delà des propositions réglementaires envisagées, quelles sont les pistes d’études de la Commission - notamment en matière d’impact de la révolution numérique sur les business model et sur l’emploi.

Roberto Viola : La révolution numérique apporte des changements majeurs dans la façon dont nous produisons, dont nous commercialisons et dont nous exploitons les biens et les services. Des progrès technologiques tels que l’Internet des objets, l’analyse des données, la robotique, ou l’impression 3D sont en train de changer les produits, les processus et les modèles économiques dans tous les secteurs.

Cependant, l’intégration des technologies numériques dans les entreprises reste faible. Seules 1,7 % des entreprises de l’UE utilisent pleinement les technologies numériques de pointe quand 41% d’entre elles ne les utilisent pas du tout.

En coopérant étroitement avec les acteurs économiques, nous avons relevé un nombre de problèmes qui doivent être réglés au niveau européen. Il s’agit de la disparité en termes de maturité numérique entre industries et entre régions en Europe ; des risques de dépendance de certaines industries à des technologies ou à des plateformes de services ; du manque de normalisation et d’interopérabilité (une dimension particulièrement importante dans le domaine de l’Internet des objets ou du Big Data) ; de la fragmentation des efforts dans la recherche et le développement ; du manque de compétences numériques. Nous présenterons en avril des propositions concrètes pour nous attaquer collectivement à ces problèmes et aider l’industrie européenne à prendre le virage du numérique.

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