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Agnès Bénassy-Quéré : “La tenue d’un référendum en Grèce est improbable”

Le conseil extraordinaire du 26 octobre achevé, les dirigeants européens pensaient arriver au sommet du G20, les 3 et 4 novembre à Cannes, plutôt confiants sur leur capacité à faire face à la crise. Mais le Premier ministre grec en a décidé autrement : sa décision unilatérale de soumettre à référendum les récentes décisions sur la Grèce risque d’amputer l’Union européenne de sa crédibilité pendant deux jours déterminants. Agnès Bénassy-Quéré, Professeur à l’Université Paris 1 Sorbonne et Directrice du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), analyse les enjeux du dernier G20 sous présidence française.

Touteleurope.eu : Aujourd’hui débute le dernier sommet du G20 sous présidence française : quelle place va y occuper la crise de la zone euro ?

Agnès Bénassy-Quéré : La crise de la zone euro va être au cœur des discussions pendant ces deux jours. Ce n’était pas dans les priorités de la présidence française, mais cela fait déjà plusieurs semaines que l’on avait prévu de se concentrer sur cette crise.

Cependant, les autres sujets de la présidence française ne devraient pas être occultés. Des groupes techniques ont été réunis et des accords trouvés, comme lors du dernier “G20 Finances” des 14 et 15 octobre sur contrôle des capitaux par exemple… mais ces sujets sont déjà bouclés.

L’essentiel des discussions portera effectivement sur la zone euro, qui est un sujet mondial. Heureusement pour nous, l’Europe est trop grande pour faire faillite ! Donc les partenaires concernés, en particulier les Chinois, ont annoncés qu’ils étaient prêts à contribuer à un fonds spécial. On attend encore des annonces du FMI sur ce point.

Touteleurope.eu : L’Europe pensait avoir rempli ses objectifs et participer à ce sommet en position solide. A quel point la décision du Premier ministre grec décrédibilise-t-elle l’Europe aux yeux de ses partenaires ?

A.B.-Q.: Il est sûr que les partenaires du G20 vont être agacés : ils avaient sermonné la zone euro pour venir avec un plan commun cohérent. Ce n’est évidemment pas le cas, et cela change beaucoup la donne.

Je ne pense pas qu’il puisse y avoir un référendum en Grèce, parce que les marchés ne pourront probablement pas tenir jusqu’en décembre. Deux scénarios me semblent donc envisageables. Le “bon scénario” voit le gouvernement grec démissionner, ce qui peut aller très vite, puis un accord entre la Troïka et l’opposition grecque, avec des modifications à la marge des plans d’ajustement.

Dans l’autre scénario, le gouvernement ne démissionne pas, d’où une incertitude terrible. Le plan européen repose sur quatre piliers : l’aide européenne,l’aide du FMI, l’implication du secteur privé, l’effort des Grecs eux-mêmes. Ce dernier pilier étant remis en question, la situation devient instable, même si paradoxalement elle pourrait encourager le secteur privé à échanger rapidement ses titres de dette plutôt que d’attendre un vrai défaut ! Quant au FMI et aux Européens, le risque d’arrêter les frais est réel. Dès lors, la Grèce se retrouverait rapidement en cessation de paiement, incapable d’honorer sa dette. Un tel défaut pourrait alors déclencher des CDS, qui sont une source de propagation de la crise, et rendrait les banques grecques incapables de se financer. Pour éviter une faillite totale, la Grèce n’aurait pas d’autre choix que de quitter la zone euro. C’est une option dont la probabilité a beaucoup augmenté depuis deux jours.

Dans ce cadre, on peut attendre deux choses du G20 : d’une part, une pression colossale sur les Grecs, pour que Georges Papandreou démissionne par exemple ; d’autre part, c’est l’occasion de se préparer à une sortie de la Grèce de la zone euro, en mettant en place tous les éléments de lutte contre la contagion si un tel événement voit le jour.

Touteleurope.eu : Y a-t-il un risque que l’Europe soit “mise sous tutelle” par les pays émergents tels que la Chine ?

A.B.-Q. : L’expression “mise sous tutelle” est vraiment très excessive. L’accord du 26 octobre implique une participation marginale des pays émergents, et de plus ce n’est pas parce qu’un pays achète des obligations dans un autre qu’il y prend le pouvoir ! Je ne pense pas qu’il y ait une volonté “impérialiste” de la Chine : celle-ci souhaite d’abord préserver son économie et n’a pas du tout intérêt à ce que l’euro s’effondre, mais aussi maintenir un équilibre avec les Etats-Unis dans lequel l’Europe fait un peu contrepoids, enfin préserver le marché européen. Ce sont des intérêts légitimes !

Bien sûr, les Chinois ne vont pas se priver s’ils peuvent racheter des entreprises technologiques européennes au passage. Mais ce n’est ni à l’ordre du jour, ni à l’agenda de négociations internationales comme le G20. De plus, il faut rappeler que la zone euro est dans une situation budgétaire meilleure que les Etats-Unis. Enfin s’il y a tutelle, il faudrait plutôt regarder du côté du FMI.

Touteleurope.eu : Malgré la multiplication des décisions prises par l’Europe contre la crise, celle-ci ne parvient pas à rassurer les marchés. Pensez-vous que l’Union avance dans le bon sens ?

A.B.-Q. : Oui, je pense qu’on va dans le bon sens. Ce qui manque maintenant, c’est de savoir où l’on va. Tant que cela ne sera pas clair, on ne va pas rassurer les marchés.

S’est-on engagé dans une voie fédérale ? Même si cela prend du temps, de changer les traités, les constitutions, cela constituerait un vrai signal pour les marchés. Il faut maintenant réfléchir sérieusement à la solution des euro-obligations, même si ce n’est pas forcément avec la Grèce.

Touteleurope.eu : Quel est l’agenda des futures réunions du G20 ? Peut-on en attendre plus ?

A.B.-Q. : Après la France, le G20 va passer sous présidence mexicaine. Le Mexique est considéré comme suspect par ses partenaires, car trop proche des Etats-Unis. Aux dernières nouvelles, ses priorités pourraient concerner notamment le climat.

Une question importante est celle de la légitimité du G20 : jusqu’à maintenant, il n’a pas été capable de débloquer le cycle de Doha ou de pacifier les relations sino-américaines sur le taux de change, et piétine sur la régulation de la finance mondiale. De ce point de vue, Cannes constitue un vrai test. Si le sommet des 3 et 4 novembre n’impulse pas de solutions à la crise européenne, à quoi sert-il ? Il faudra un jour se poser la question. Pour le moment, il agit encore, mais le risque d’essoufflement et de désillusion existe.

Pour les Français, c’est dur : 90% du sommet de Cannes va être consacré à d’autres priorités que celles annoncées. Et en même temps, cette réunion de Cannes vient à point nommé, juste après l’accord du 26 octobre et la décision de Papandréou.

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Centre d’études prospectives et d’informations internationales - CEPII

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