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Accord UE-Canada (CETA) : un sommet pour rien

Concernant l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, le CETA, c’est un Conseil européen à rebondissements qui vient de se dérouler hier et aujourd’hui à Bruxelles. Après deux jours de discussions, les deux parties ont été incapables de s’entendre. La raison ? Le Parlement de Wallonie a refusé de donner son feu vert, réclamant plus de temps pour poursuivre les négociations. Au grand dam des Etats membres, favorables au texte à une très large majorité et qui auront bien tenté d’infléchir cette décision, et du Canada, dont la représentante a annoncé, dépitée, son retour immédiat à Ottawa. La ratification de l’accord, initialement prévu le 27 octobre à Bruxelles, apparaît donc plus que compromise.

Louis Michel

Un accord économique de libre-échange contrarié

Aujourd’hui, aux alentours de 13h, Paul Magnette, ministre-président de la Wallonie, a annoncé qu’il réservait encore son accord à la signature du traité commercial de libre-échange - CETA - entre l’Union européenne et le Canada. Une conclusion fracassante à deux nouvelles journées de tractations à laquelle n’aura pas goûté Chrystia Freeland, ministre canadienne du Commerce, présente à Bruxelles pour discuter avec M. Magnette. Cette dernière, peu après 16h, quittait l’Elysette, siège du gouvernement wallon, et annonçait, visiblement dépitée, son retour au Canada.

Les négociations commerciales avec le Canada s’inscrivent dans l’horizon plus large de la politique commerciale commune, l’une des rares compétences exclusives de l’Union. Un des rôles principaux du commissaire européen au Commerce est donc de superviser la négociation des traités de libre-échange. Cette organisation, parfois critiquée pour son opacité vis-à-vis des parlements nationaux, présente l’avantage d’éviter de réunir tous les États à chaque étape de la négociation et a déjà fait ses preuves à l’occasion par exemple du traité signé en 2013 avec la Colombie et le Pérou. Si le CETA est aujourd’hui sous le feu des projecteurs, il est parfois présenté comme un laboratoire pour le TAFTA (ou TTIP), traité de libre-échange bien plus large en cours de négociations avec les États-Unis.

Il est bien entendu probable que la Commission européenne essaie de trouver une alternative à cet échec. Sur Twitter, Cecilia Malmström, commissaire au Commerce extérieur, déclarait, peu avant 18h, “espérer encore trouver une solution pour ratifier le CETA” . Mais il reste que l’intransigeance de la partie francophone de la Belgique n’a pas baissé d’un iota depuis le refus des assemblées des régions de Wallonie-Bruxelles et de Wallonie, respectivement le 12 et le 14 octobre derniers, d’approuver la ratification du traité avec le Canada. En cause, des inquiétudes persistantes concernant le secteur agricole wallon, ainsi que sur la sauvegarde du modèle social et environnemental européen.

Le CETA - Accord économique global et commercial - est pourtant discuté depuis plus de sept ans par les représentants de l’Union et les gouvernements canadiens successifs. Il fait partie de ces traités de libre-échange dits de “nouvelle génération” qui ne se contentent pas d’abaisser les tarifs douaniers, mais visent également à aligner les normes qui existent dans chaque pays, pour permettre de relancer la croissance des échanges commerciaux entre eux. Accord “mixte” , le CETA doit être approuvé à la fois par les autorités européennes, ainsi que par les Etats membres, selon leurs procédures législatives respectives.

L’ambition du traité n’est pas mince : il doit permettre de réduire à 3% le taux de produits impossibles à échanger entre les deux pays en raison de normes divergentes. Pour un traité de cette envergure, les institutions européennes avaient prévu de longue date un agenda de ratification et d’entrée en vigueur mis à mal ces derniers jours par les votes des assemblées locales belges.

Ainsi, la dernière étape de cette odyssée législative était prévue le 18 octobre dernier, lors d’une réunion à Luxembourg des ministres européens des Affaires étrangères. Mais étant donné le rejet des deux parlements régionaux de Belgique - le troisième, de Flandres étant favorable au texte - et le contentieux existant avec la Roumanie et la Bulgarie exigeant l’assouplissement des règles de visa avec le Canada, les ministres n’ont pu se mettre d’accord. Dans ce contexte, tout l’enjeu du Conseil européen des 20 et 21 octobre était dès lors de débloquer la situation en convainquant Paul Magnette d’avaliser un arrangement de dernière minute, au nom de son parlement local. En vain.

Bâtiment de la Commission européenne - Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016 © Clara Marchaud

Un Conseil européen sous tensions sur la question du CETA

Depuis les votes parlementaires négatifs des 12 et 14 octobre, les institutions européennes et les assemblées belges ont donné le spectacle d’un bras de fer riche en coups de théâtre. En effet, au lendemain de l’échec de la réunion de Luxembourg le 18 octobre, les initiatives et pressions se sont multipliées pour trouver une porte de sortie. Les tensions se sont notamment cristallisées autour d’une “note interprétative” que la Commission a consenti à ajouter au traité pour rassurer les Wallons sur les conséquences potentielles de l’entrée en vigueur de l’accord. Un geste jugé insuffisant par M. Magnette.

En arrivant au sommet européen, le 20 octobre, le Premier ministre belge Charles Michel savait donc qu’il allait devoir s’expliquer devant ses collègues. Et surtout faire face à un ultimatum de la Commission fixé au 21 octobre pour trouver un accord, faute de quoi la signature officielle en présence du Premier ministre canadien Justin Trudeau ne pourrait pas avoir lieu comme prévu le 27 octobre.

Mais alors que tous les yeux étaient tournés vers Bruxelles, un retournement de situation est intervenu à Namur hier, la capitale des institutions locales wallonnes. Le Ministre-président wallon quittait l’enceinte du parlement local au beau milieu d’une séance de travail, alimentant les rumeurs qui le voyaient déjà à Bruxelles, convoqué par le Conseil européen - pour en réalité examiner en urgence une nouvelle version de l’accord transmise par la Commission. Après une longue attente, l’ensemble du gouvernement wallon annonçait à 23h son rejet collectif de cette nouvelle proposition. Plus surprenant encore : Paul Magnette précisait qu’une ultime tentative de négociation aurait lieu le lendemain matin, non avec la Commission, mais directement avec le gouvernement canadien pour obtenir un texte conforme à ses exigences.

Paul Magnette, ministre-président de Wallonie

Le sort du CETA désormais en suspens

Les négociations ont donc repris le 21 octobre au matin sous haute tension, Charles Michel ayant notamment affirmé qu’il n’était “pas rassuré” pour l’avenir de l’accord malgré les négociations téléphoniques dans la nuit avec Justin Trudeau. Mais malgré les concessions de la Commission et la conciliation tentée directement avec le gouvernement canadien, Paul Magnette a confirmé, aujourd’hui vers 13h, que son gouvernement et son parlement n’acceptaient pas la dernière version de l’accord.

Cette situation inédite pose plusieurs questions majeures sur l’avenir de la politique commerciale en général, et sur l’avenir du CETA en particulier. Selon Paul Magnette, ce refus de se plier au calendrier de la Commission est une manière de respecter le vote de son parlement régional. Selon les gouvernements européens, la position wallonne apparaît au contraire comme un véto illégitime qui met en danger des années de négociation.

Le retour fracassant de la ministre canadienne à Ottawa n’augure évidemment rien de bon pour l’avenir de l’accord CETA. Et si la ratification par l’UE et le Canada le 27 octobre semble d’ores et déjà impossible, la fin pure et simple des négociations pourrait même avoir sonné.

Par Benoît Heurtel, dans le cadre de notre partenariat avec Open Diplomacy

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