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Stéphane Travert : “20 pays portent une ambition légitime pour la PAC”

C’est dans les jardins de la rue de Varenne que la rédaction de Toute l’Europe a rencontré le 19 juin le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Stéphane Travert, au lendemain d’un Conseil des ministres européens placé sous le signe de la politique agricole commune (PAC). Détendu suite au ralliement de 14 nouveaux Etats membres contre la réduction de 5% du budget de la PAC, il est revenu sur les grands enjeux agricoles européens.

Stéphane Travert
Stéphane Travert - ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation 

19 pays se sont ralliés à la position de la France contre la proposition de la Commission européenne de réduire le budget de la PAC de 5%. Peut-on parler d’un succès de la démarche française ? Quelle stratégie allez-vous maintenant adopter ?

Nous parlerons de “succès” lorsque nous aurons réussi à faire infléchir la Commission sur sa proposition. Nous l’avons dit dès le début, le 2 mai, ce projet de budget est inacceptable. C’est pourquoi nous avons souhaité travailler avec d’autres pays, d’abord au sein d’un premier groupe -constitué de l’Espagne, du Portugal, de la Finlande, de l’Irlande, de la Grèce, et de la France - pour faire en sorte de proposer un mémorandum qui rappelle les ambitions que nous souhaitons porter pour la PAC. Puis nous avons passé beaucoup de temps au téléphone pour tenter de convaincre d’autres collègues européens. Hier encore, juste avant le début du Conseil, nous étions dans les couloirs de la Commission pour aller chercher celles et ceux qui pourraient soutenir notre démarche.

Désormais donc, 20 pays souhaitent et portent une ambition légitime pour la PAC. Une PAC qui soit dotée d’un budget ambitieux, soit équivalent à l’actuel dans une Europe à 27, mais aussi une politique agricole commune qui ne soit pas la variable d’ajustement d’autres politiques, comme le Brexit. Même si nous savons par ailleurs que ces mesures doivent être mises en œuvre.

PAC simplifiée, PAC qui protège, PAC aux ambitions environnementales renforcées… Finalement votre projet semble très similaire à celui présenté par la Commission européenne. Proposez-vous des voies alternatives ou achoppez-vous uniquement sur le budget ?

Notre agriculture est actuellement en transition. Nous devons donc accompagner ce processus. Cependant cela ne pourra pas se faire sans un budget adéquat. Par exemple, on demande aujourd’hui aux agriculteurs de faire de nombreux d’efforts : sur la qualité des produits, sur la réduction de l’usage des produits phytosanitaires, sur le bien-être animal… On leur demande également d’assurer cette transition environnementale dans laquelle tous nos concitoyens sont engagés. Et dans le même temps on viendrait leur retirer ce qui peut leur permettre demain d’assurer cette transition et de faire ce travail ? Pour notre part, nous souhaitons joindre les actes aux paroles, en faisant en sorte d’avoir un projet ambitieux pour tenir nos objectifs et porter notre agriculture vers le haut. N’oublions pas aussi que l’agriculture européenne est confrontée actuellement à la concurrence des pays d’Amérique du sud, du continent australien, océanique et de la Chine. Cela suppose de proposer, à l’intérieur des frontières européennes, une réponse adaptée.

Néanmoins, les Etats membres se sont fixé de nouvelles priorités (défense - immigration - Brexit), qu’il faudra demain financer. N’est-il donc pas possible de faire mieux en agriculture avec un peu moins d’argent ?

Que souhaitons nous faire de notre agriculture européenne ? Que cette dernière reste et demeure une priorité ? Oui, car l’agriculture est marquée par des enjeux économiques forts. Ce secteur représente de nombreux emplois et impacte directement l’aménagement du territoire. Si en amont il y a effectivement la production, derrière il y a également des entreprises de transformation, des PME, des TPE et toute l’économie de nos territoires, de nos bourgs, de nos villages. L’agriculture entraîne donc tout un pays ! C’est parce que ce secteur a un impact économique fort que nous devons réfléchir afin de trouver les voies et les moyens budgétaires qui permettront de remplir nos objectifs.

La France envisage-t-elle de revoir sa contribution ?

Aujourd’hui, un certain nombre d’Etats membres ont signalé qu’ils étaient prêts à revoir leur contribution. La France se pose elle aussi cette question et c’est bien normal, mais regardons également ce qu’il se passe autour de nous. Qui demain est prêt à mettre de l’argent frais sur la table ? Qui est en capacité de pouvoir le faire ? Et à quelle condition ? C’est aussi en répondant à ces questions, à 27, de façon claire et précise, que nous pourrons dire s’il est possible avec ce budget de faire fonctionner notre agriculture. La France a clairement dit qu’une augmentation de la contribution ne pourrait s’envisager que si une réelle modernisation des politiques était engagée.

En parlant de compétitivité, ne craignez-vous pas que la proposition de la Commission européenne de redonner davantage de marge de manœuvre aux Etats membres ne créée une sorte de distorsion de concurrence intra-européenne ?

La France avait dès le départ fixé une ligne rouge. Nous avons indiqué que nous n’accepterons pas de cofinancement sur le premier pilier. En effet, ce dernier doit rester cet élément essentiel de la politique agricole commune, et donc conserver des financements européens. Sur le deuxième pilier en revanche, je pense qu’il est nécessaire que les Etats puissent bénéficier de souplesse, car l’agriculture est différente aujourd’hui entre un pays comme la France et la Pologne, par exemple.

Quelles différences notez-vous ?

Nous ne sommes pas sur le même type d’agriculture. Nous n’avons pas avancé de la même manière et à la même vitesse. D’ailleurs la France se caractérise elle-même par la grande diversité de ses cultures : l’agriculture en Occitanie est bien différente de celle que l’on peut trouver en Bretagne ou dans la plaine normande. C’est pourquoi je pense aujourd’hui qu’il faut laisser un peu de marge de manœuvre aux Etats membres sur ce deuxième pilier, afin d’adapter l’allocation des fonds et des moyens pour répondre au mieux aux besoins des territoires, des populations et des consommateurs.

Les agriculteurs sont les premiers concernés par cette réforme de la PAC. Aujourd’hui, un grand nombre d’entre eux vit uniquement grâce à ces aides. Ne sommes-nous pas arrivés au bout d’un système ?

C’est tout l’enjeu du projet de loi issu des Etats généraux de l’alimentation : comment redonner du revenu à nos agriculteurs ? Il faut faire en sorte que demain, à travers la contractualisation, le regroupement en organisations de producteurs, la montée en gamme, l’inversion de la construction du prix, nos agriculteurs puissent mieux gagner leur vie et qu’il y ait une meilleure répartition de la valeur entre le producteur, le transformateur et le distributeur. Et il faut que la PAC puisse accompagner cette transition.

Comment envisagez-vous de redonner de la valeur au travail des agriculteurs français ?

Il faudra également faire en sorte que cette répartition puisse permettre à l’agriculteur - parce qu’il gagnera mieux sa vie - de pouvoir demain investir et donc innover. Faire cela, c’est miser sur des politiques de qualité, c’est diversifier ses modèles de production et donc, à terme, avoir une exploitation plus compétitive qui dépendra moins des aides. L’idée n’est donc pas de dire aux agriculteurs que demain ils devront se passer des aides de la PAC, mais faire en sorte que ces dernières soient ciblées sur des besoins spécifiques et ne constituent pas l’élément principal de leur rémunération.

Les consommateurs européens s’interrogent de plus en plus sur leur alimentation. Le glyphosate est d’ailleurs au centre de nombreuses craintes. Pouvez-vous nous confirmer que la France sortira du glyphosate d’ici trois ans, comme vous l’avez annoncé ?

Le président de la République a été clair. L’Europe a prolongé l’utilisation du glyphosate pour 5 ans, mais la France a demandé à ce que nous puissions en sortir à 3 ans. Pour ce faire, nous avons besoin de mobiliser des instituts techniques, le monde de la recherche et les agriculteurs, afin de changer les pratiques agronomiques et travailler sur des techniques qui nous permettront demain de nous passer de ce produit. Aujourd’hui il existe déjà des solutions : l’assolement ou la rotation des cultures. Néanmoins pour certains types d’agriculture - de conservation, en terrasse, ou pour la production de fruits et légumes destinés à la transformation industrielle - nous ne disposons pas aujourd’hui d’alternative. Il faudra donc trouver des solutions.

Au sujet du bien-être animal, la France installera-t-elle à terme, comme d’autres pays européens, des caméras de surveillance dans ses abattoirs ?

Ce n’est pas moi qui prendrai cette décision. Aujourd’hui, pour garantir le bien-être animal dans les abattoirs, la France a choisi une certaine dynamique : accompagner, former et sanctionner, quand il y a nécessité de le faire. Néanmoins, nous avons aussi souhaité - car nous avons bien entendu cette demande des citoyens - faire en sorte que demain il puisse y avoir des expérimentations dans les abattoirs volontaires avec des caméras de surveillance. Puis, selon le retour d’expérience qui sera fait, nous jugerons si nous devons effectivement généraliser ce dispositif à l’ensemble des abattoirs français. Il faudra également observer la manière dont seront utilisées les images, la façon dont elles seront contrôlées. Nous devrons également solliciter l’avis du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, des personnels (CHSCT). En effet, filmer des personnes pendant 8 h par jour sur leur lieu de travail n’a rien d’un acte anodin. C’est un sujet qui mérite donc d’être étudié avec celles et ceux qui sont concernés.

Mais vous savez, à partir du moment où vous venez contrôler et sanctionner, et si vous accompagnez bien l’ensemble des opérateurs, il n’y a pas de raison ensuite de mettre en place des caméras de surveillance.

Le bio rencontre un franc succès auprès des consommateurs français et européens. Comment la France compte-t-elle s’organiser pour répondre à cette demande ?

La France s’est fixé un objectif très ambitieux : relancer le plan ambition bio, doté d’1,1 milliard d’euros. Nous avons également souhaité qu’à l’horizon 2022, la France passe de 6,5% à 15% de sa surface agricole utile dédiée à l’agriculture biologique. C’est pourquoi, nous avons besoin de structurer une offre, d’accompagner les conversions des agriculteurs, et de faire en sorte que nos consommateurs puissent trouver enfin les produits bio dont ils ont besoin. Ceci nous évitera d’aller les chercher à l’extérieur de nos frontières, ce qui est un non-sens environnemental. Aujourd’hui nous importons 1 milliard de produits bio…

Pour conclure cet entretien, pouvez-vous nous donner votre vision de l’agriculture française et européenne ?

D’abord c’est une agriculture diversifiée, riche de ses différents modèles et qui respecte l’environnement. C’est une agriculture qui se développe autour du bio, des productions en AOP, en AOC… Mais également une agriculture conventionnelle qui propose des produits de qualité.

C’est également une agriculture que l’on emmène vers toujours plus de qualité et de compétitivité Et enfin, vers l’innovation : technologique et numérique. Si je devais le résumer en un mot je dirais donc que c’est une agriculture française et européenne que l’on emmène toujours plus vers l’excellence.

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