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José Bové : “J’ai toujours été un Européen convaincu”

Une rencontre entre le correspondant de Libération auprès de l’UE, Jean Quatremer, et l’altermondialiste partisan du “non” à la constitution européenne en 2005, aujourd’hui député européen, ça donne quoi ? Réponse dans ce recueil sorti mi-février aux Editions du Cherche Midi, “Du Larzac à Bruxelles”. Où l’on (re)découvre un José Bové toujours aussi engagé en faveur d’une agriculture saine et responsable, mais aussi partisan d’un dépassement des Etats-nations pour construire une Europe fédérale. Interview.

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Touteleurope.eu : Votre livre d’entretiens avec Jean Quatremer retrace votre engagement politique : “Du Larzac à Bruxelles” , même combat ?

José Bové : Du Larzac à Bruxelles

“Comment a-t-il pu devenir député européen en 2009 sur la liste Europe Écologie, conduite avec succès et conjointement avec Daniel Cohn-Bendit et Eva Joly, un mouvement pro-européen, lui qui a milité pour le ‘non’ au traité constitutionnel européen lors du référendum de 2005 ? Comment concilie-t-il son ‘non’ de 2005 avec le ‘oui’ de Cohn-Bendit ? Comment a-t-il pu devenir un rouage important d’une Union dont il a combattu les politiques agricoles pendant trente ans, lui qui est désormais vice-président de la commission agriculture du Parlement européen ? De quelle Europe rêve celui qui continue à cultiver son lopin de terre sur le Larzac ?”

José Bové : Pour moi ces deux mots, “Larzac” et “Bruxelles” , sont importants : le premier représente le lieu où j’ai été paysan jusqu’à ce que je sois élu, le second est là où je travaille dans le cadre du Parlement européen.

Il y a une vraie continuité de mon engagement local, enraciné comme paysan puis comme syndicaliste, et le travail que je fais au Parlement européen, notamment avec la réforme de la PAC et l’ensemble des questions qui touchent à l’agriculture, en Europe mais aussi dans le reste du monde.

Sur l’aspect du traité constitutionnel européen, la campagne à laquelle j’ai participé pour le “non” en France s’est basée d’abord sur la question de l’agriculture. Nous n’avons pas accepté que soit introduite au traité cette fameuse troisième partie, où l’ensemble des traités ont été mis au même niveau que les réformes institutionnelles ou les droits. Le vote s’est fait non pas sur la question de l’Europe, mais sur le modèle économique et social européen qu’on voulait nous imposer à travers ce “fourre-tout” . C’est pour ça qu’il y a peut-être eu une confusion dans l’interprétation du “non” en France, or une grande partie des gens qui ont voté “non” n’ont pas dit “non” à l’Europe mais à ce traité qui inscrivait clairement l’Europe dans le modèle libéral.

Donc pour moi il n’y a eu aucun souci, alors que j’ai toujours été européen, en tant que syndicaliste à Bruxelles etc. Il n’y avait pas de hiatus entre le fait de voter non et d’être engagé depuis des années pour une Europe fédérale et un renforcement de l’Europe par rapport aux Etats-nations qui sont à mon avis un frein à sa construction.

Touteleurope.eu : Vous êtes un fédéraliste convaincu. Entre approfondissement de l’intégration, perte de pouvoir du politique face à l’économie et montée des populismes et nationalismes, gardez-vous confiance dans l’avenir européen ?

“L’Europe est le seul cadre dans lequel on pourra avancer” - José Bové

José Bové : L’idée d’Europe est toujours en mouvement : il y a des moments où ça avance, d’autres où ça stagne, parfois certains ont la volonté de faire exploser cette réflexion… Pour être très pragmatique, l’Europe est le seul cadre dans lequel on pourra avancer et répondre à un certain nombre de crises : écologique, sociale et économique.

Aujourd’hui, la crise dont tout le monde parle n’est pas la crise de l’Europe, mais celle de la manière dont la majorité des gouvernements se conduisent à l’intérieur de l’Europe : l’égoïsme national prend le pas sur l’intérêt commun, et chacun veut défendre son bout de gras. Quand les choses vont mal, on accuse Bruxelles, et quand elles vont bien, le discours est “on a réussi à imposer à Bruxelles notre façon de voir” .

Si on continue de cette manière, on va droit dans le mur. Et cela pose la question des institutions européennes et de la nécessité de renforcer le Parlement européen et d’intégrer aux élections européennes de vraies listes européennes avec des candidats transnationaux, pour sortir de la logique dans laquelle les candidats ne sont élus que dans leur propre pays.

Touteleurope.eu : En quoi le Parlement européen vous permet-il de faire avancer vos idées ?

José Bové : Le Parlement européen est le contrepoids du Conseil et de la Commission. C’est l’organe qui a la plus grande légitimité, dans la mesure où ses représentants sont élus au suffrage universel à la proportionnelle dans les 27 pays. Mais malgré le traité de Lisbonne, qui étend son pouvoir de codécision (notamment sur l’agriculture ou sur les accords de libre-échange entre l’UE et les pays tiers, que désormais le Parlement peut rejeter), ce pouvoir n’est pas encore assez important.

Il faut continuer à avancer, et on peut imaginer (c’est faisable et très concret) que la Commission soit élue à partir du vote du Parlement européen, que ce soit une continuité du vote au suffrage universel et non des gouvernements des Etats membres. Cela renforcerait la volonté intégratrice de l’Union.

Touteleurope.eu : Peut-on aujourd’hui concilier production agricole, environnement et autosuffisance alimentaire ?

José Bové : Je pense qu’aujourd’hui, le problème est lié à la façon dont on a conçu l’agriculture. La PAC s’est construite dans les années 1950, à un moment où l’Europe devait conquérir son autosuffisance pour nourrir sa population. Cela a été à la fois une chance et un problème, puisque depuis on n’a jamais réformé cette orientation, on est resté dans une logique selon laquelle il faut toujours produire plus, non plus simplement pour nourrir les Européens mais aussi pour devenir une force exportatrice de matières premières souvent.

On a tourné le dos à la fois à la question sociale, puisque cette marche en avant un peu forcée a conduit à l’élimination de millions de paysans européens, et par des très grandes disparités entre paysans et entre pays. Ensuite, ça a posé un problème majeur, car c’est une agriculture qui a été pensée dans les années 1950, sans absolument réfléchir aux conséquences en matière environnementale (pollution des nappes phréatiques, utilisation des pesticides, bien-être animal…).

“ll faut repenser le modèle agricole dans son ensemble” - José Bové

Le rôle de l’agriculture a complètement changé et ses missions se sont élargies. ll faut aujourd’hui repenser le modèle agricole dans son ensemble et non sur des zones marginales, à la fois pour maintenir des paysans sur le territoire, produire des aliments de qualité et protéger l’environnement. L’objectif : être moins dépendant des importations (d’où la nécessité d’un plan d’autonomie en protéines végétales dans le cadre européen), mais aussi changer le lien au sol (c’est pour cela que le commissaire européen parle de “verdissement de la PAC” et de transformation de la distribution des aides).

On est aujourd’hui à la croisée des chemins. Je crois qu’il faut sortir de l’influence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a complètement perverti la PAC en cassant les outils de régulation et en imposant sur le territoire le prix mondial comme un prix de référence alors que tout le monde sait que c’est un prix de dumping ou un produit de spéculation.

Il faut revenir à la base d’une agriculture organisée sur l’Europe, dont les productions sont maîtrisées et dont les soutiens doivent être légitimés par les 500 millions de consommateurs européens.

En savoir plus

José Bové, Du Larzac à Bruxelles, Entretiens avec Jean Quatremer, Editions Le Cherche midi

L’environnement, thème impromptu du salon de l’agriculture - Touteleurope.eu

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