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Jean-Michel Schaeffer : “L’agriculture est le seul terrain où les Etats membres agissent vraiment ensemble”

“Malaise paysan” : l’expression n’est pas nouvelle mais plus que jamais d’actualité. Elle désigne par euphémisme la profonde crise que traversent aujourd’hui les agriculteurs français, confrontés à l’ouverture des frontières européennes et à la libéralisation progressive de la Politique agricole commune (PAC). Pourtant, le métier attire encore de nombreux jeunes venus de tous horizons. Jean-Michel Schaeffer, Vice-Président des Jeunes Agriculteurs et responsable de l’accompagnement à l’installation, expose ses attentes.

Pour vous, quels sont les grands défis auxquels est confrontée l’agriculture en Europe ?

Syndicat professionnel né en 1947 et composé d’agriculteurs de moins de 35 ans, les Jeunes Agriculteurs
(JA) se donnent pour mission d’aider les jeunes agriculteurs à s’installer, de défendre leurs intérêts et d’assurer le renouvellement des générations agricoles dans les régions. Ils revendiquent leur implication dans les processus de transformation des métiers de l’agriculture, et s’attachent à former des responsables syndicaux et à communiquer sur le monde agricole. En ce moment, on est en pleine renégociation du budget européen, donc en particulier du budget destiné à l’agriculture. La question centrale est donc : “quelle mission pour l’agriculture européenne ?” Ce qui est important pour nous est que le citoyen européen puisse s’accaparer les bienfaits de l’agriculture, les voir et en être conscient. Il faut donc construire une politique alimentaire commune qui réponde à des enjeux politiques et sociétaux, et pas seulement financiers.

Un défi plus global est la sécurité alimentaire. L’alimentation doit être vue comme une énergie, ce qui pose donc la question de son standard et de sa qualité. Même si cela a un coût, la qualité de la production est essentielle aujourd’hui. On assiste à une vraie prise de conscience de cette question.

Il ne faut pas oublier non plus que l’activité agricole est génératrice d’activité économique, par le biais notamment de l’industrie agro-alimentaire. Elle crée de l’emploi, fait vivre des gens et permet également de maintenir des populations sur le territoire, ce qui lui donne du coup une vraie fonction d’aménagement du territoire.

Il faut donc réexpliquer aux citoyens européens l’importance de l’agriculture et les bénéfices qu’elle apporte à la population. Avec toujours trois défis à assurer : la sécurité alimentaire (taille et qualité de la production), le dynamisme économique et la présence des hommes sur tout le territoire.

Etre agriculteur, c’est un métier d’avenir ? Pourquoi doit-on défendre en particulier les « Jeunes agriculteurs » ?

Chez les « Jeunes Agriculteurs », je m’occupe particulièrement de l’installation des jeunes, qui est notre principal travail. Cette mission est cohérente avec les trois axes que je vous expliquais plus haut.

Concrètement, l’aide à l’installation est à la fois européenne et nationale, car les mises en place sont très différentes selon les pays. Pour nous, l’aide à l’investissement des jeunes est essentiel, et le coup de main de l’Europe en la matière est indispensable.

Notre question est : “comment les accompagner de la manière la plus efficace et personnalisée?” La France est en pointe là-dessus, et nous avons accompli l’année dernière un travail de fond.

Avec l’aide du Ministère de l’Agriculture, des collectivités territoriales et des partenaires, nous avons placé un point d’aide à l’installation dans chaque département. Un jeune qui veut se lancer peut s’y rendre pour être aidé dans son orientation par un conseiller, qui le suivra dans l’élaboration de son projet. Le but est que ce soit le plus personnalisé et le plus accessible possible, afin d’aider les jeunes à franchir le cap de l’installation.

Ce qui nous demande une adaptation constante : aujourd’hui, le jeune qui hésite à s’installer n’a plus 20 ans, mais plutôt 29, et arrive parfois à l’agriculture après des détours professionnels : il faut donc être toujours parfaitement en phase avec les attentes de chaque jeune !

Cette mission est essentielle pour nous, « Jeunes Agriculteurs », car tout est lié : la politique alimentaire, la prise de conscience des bienfaits de l’agriculture par la société, les mesures européennes et la politique d’installation !

Comment l’organisation de la filière agro-alimentaire française doit-elle être repensée ?

Cette organisation est très diverse selon les pays européens, et cela est lié à l’historique des agricultures nationales. Là-dessus, il y a un gros travail à faire et on en discute beaucoup : faut-il ouvrir ou non les marchés, quelle importance pour telle branche de la filière… ?

En matière commerciale, la préférence communautaire
exprime la préférence naturelle des Etats membres de l’UE pour les produits des autres Etats de la communauté européenne. Cette préférence est possible par le biais de deux instruments : le tarif extérieur commun et la PAC, dont elle constitue l’un des principes.
Chez les JA, on pense que le mieux serait une sorte de préférence communautaire renouvelée aux frontières de l’Europe, qui imposerait à tous les mêmes standards de production. On éviterait ainsi la concurrence déloyale. L’idée globale est de s’organiser pour être en phase avec les structures de production qui achètent nos produits : si la loi de modernisation de l’agriculture nous donne un cadre clair, à nous d’être ensuite acteurs dans ce cadre.

En France, en raison de la diversité de notre territoire et de notre production agricole, il est difficile de nous unifier et de nous projeter tous ensemble dans l’avenir. En Franche-Comté par exemple, les enjeux sont différents de ceux de la Bretagne, zone de pêche tournée vers d’autres marchés. Pour le Danemark et l’Autriche au contraire, l’unification se fait plus facilement, par exemple autour d’une logique d’agriculture de montagne pour l’Autriche.

Pourtant, nous avons besoin d’une ligne directrice : en fonction du bassin de production dans lequel je suis, je dois m’organiser pour être le plus efficace possible. L’esprit collectif est important, nous devons garder un esprit d’équipe tout en connaissant les contraintes spécifiques de chaque zone agricole. Le défi est que toute la chaîne de valeur se mette autour de la table pour s’adapter collectivement aux évolutions constantes des marchés.

Quelles relations entretenez-vous avec les Jeunes agriculteurs des autres pays d’Europe ? Les positions sont-elles les mêmes ?

Les représentants de Jeunes Agriculteurs européens se rencontrent chaque mois, au sein du Conseil Européen des JA, qui regroupe environ vingt-cinq pays de l’Union. Nous pouvons aussi avoir des relations plus privilégiées avec nos homologues d’autres pays comme les Allemands.

Aujourd’hui plus qu’hier, une idée commune émerge entre les pays de l’UE : nous sommes tous d’accord pour le soutien à une politique d’installation dynamique, car l’enjeu pour tous est le renouvellement des générations agricoles. La question des prix de la production et de la stabilité des revenus est également un point d’accord.

A côté, il y a évidemment des subtilités, principalement entre l’est et l’ouest de l’Europe. La prise en compte de l’agriculture n’est pas la même en Roumanie, où elle occupe 25% de la population active, qu’en Allemagne ou en Italie ! Si parfois la voix de la France se détache, on essaie le plus possible de partager la même ligne, de discuter et de négocier.

Comment l’UE intervient-elle dans le quotidien des Jeunes agriculteurs ?

Comme agriculteurs, on sent la présence de l’UE quotidiennement, car ses aides et ses décisions nous touchent de près ! D’ailleurs, si il y a un secteur d’activité qui est sensibilisé à la politique européenne, c’est bien l’agriculture !

De toute façon, l’agriculture est le seul terrain où les pays de l’UE font vraiment quelque chose tous ensemble. C’est pour les politiques agricoles que nous avons mutualisé nos ressources, pas pour l’éducation ou les transports, qui sont traités à l’échelle nationale seulement !

Pensez-vous que la Politique Agricole Commune actuelle réponde à vos besoins, est adaptée à vos réalités ? Qu’attendez-vous de la réforme de la PAC ?

Nous attendons de la PAC qu’elle réponde aux grands enjeux dont nous avons parlé. Il est essentiel qu’elle apporte aux agriculteurs une lisibilité pour qu’ils puissent stabiliser leurs revenus et bénéficier d’une politique d’installation dynamique à l’intention des jeunes.

Il semble que nous entrons aujourd’hui dans une phase de prise de conscience du fait que l’agriculture est une activité stratégique qui demande un traitement un peu particulier. On sortirait alors d’une simple lecture du secteur avec une logique de marché.

Je ne peux pas dire que je suis totalement optimiste, ce serait naïf ! Mais je peux dire qu’on a l’espoir, nous Jeunes Agriculteurs, de construire quelque chose de bien. Et même si l’Europe évolue lentement car on est quand même 27, l’évolution semble meilleure que celle d’il y a deux ou trois ans. Ensuite, à nous d’en faire quelque chose de positif !

Article réalisé en partenariat avec les étudiants de Sciences-Po

En savoir plus :

Le site des Jeunes agriculteurs

La politique agricole commune - Touteleurope.fr

Au Salon de l’agriculture, chacun cherche sa PAC - Touteleurope.fr

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