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Janusz Wojciechowski : “La politique agricole commune n’a jamais perdu son rôle d’assurer la sécurité alimentaire de l’Union européenne”

Le commissaire européen chargé de l’Agriculture revient pour Toute l’Europe sur la mise en place des nouvelles règles de la politique agricole commune mais également sur les conséquences importantes de la guerre en Ukraine sur le secteur.

Janusz Wojciechowski estime que l’intérêt récent du public pour les questions de sécurité alimentaire est “une bonne chose” - Crédits : Lukasz Kobus / Commission européenne

2023 est une année chargée pour l’agriculture européenne. Le 1er janvier dernier, les nouvelles règles de la politique agricole commune sont entrées en vigueur apportant leur lot de nouveautés. Parmi celles-ci, l’instauration de plans stratégiques nationaux, des feuilles de routes élaborées par chaque État membre pour prendre en compte les spécificités locales. De nouvelles aides en faveur d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement sont également apparues.

Si cette réforme était prévue de longue date, un autre événement, inattendu celui-là, est venu bouleverser le quotidien des agriculteurs. Débutée en février 2022, l’invasion russe de l’Ukraine a eu d’importantes répercussions sur l’agriculture européenne avec une hausse très importante des prix des denrées alimentaires ainsi que des matières premières et des intrants. Une situation qui pousse même certains à s’interroger sur la sécurité alimentaire de l’UE alors même que les institutions européennes débattent de plusieurs textes visant à rendre l’alimentation européenne plus durable.

C’est dans ce contexte particulier que le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski a accepté de répondre à nos questions. En poste depuis 2019, l’ancien eurodéputé polonais évoque notamment les outils de la politique agricole commune, taillés selon lui pour répondre aux défis qui touchent les agriculteurs européens. 

Toute l’Europe : Le 1er janvier 2023, une nouvelle politique agricole commune (PAC), “plus verte” selon la Commission européenne, est entrée en vigueur. Quels sont les mécanismes mis en place pour répondre aux exigences environnementales européennes ?

Janusz Wojciechowski : La nouvelle politique agricole commune aidera les agriculteurs à contribuer de manière beaucoup plus importante aux objectifs du Pacte vert pour l’Europe. Tout d’abord, dans leurs plans stratégiques, les États Membres doivent montrer leurs ambitions en matière d’environnement et d’action pour le climat. Ensuite, la nouvelle PAC, renforce la “conditionnalité” [pour obtenir des aides directes de la PAC, les agriculteurs doivent déjà répondre à un certain nombre d’exigences, ndlr]. Les bénéficiaires verront leurs paiements liés à un ensemble plus strict d’obligations.

Les programmes écologiques [également appelés écorégimes, ndlr] sont un autre point important : au moins 25 % du budget consacré aux paiements directs seront alloués à des programmes qui encourageront les pratiques agricoles respectueuses du climat et de l’environnement (comme l’agriculture biologique, l’agroécologie, ou le stockage du carbone dans les sols agricoles, etc.) ainsi que du bien-être animal.

La nouvelle PAC est un outil essentiel pour aider les agriculteurs à être encore plus performants et à travailler de manière plus respectueuse de l’environnement.

Les conséquences du réchauffement climatique sur l’agriculture européenne sont déjà visibles avec un épisode inédit de sécheresse l’été dernier et qui se poursuit actuellement. La PAC propose-t-elle une réponse adaptée pour répondre à ces aléas ?

Cette année, l’Europe a été frappée par de graves sécheresses et incendies de forêt. En tant que commissaire à l’Agriculture, je suis bien conscient des difficultés rencontrées par les agriculteurs européens touchés par ces épisodes sans précédent dans certaines régions. Nous avons été et nous sommes encore en contact permanent avec les États membres pour les aider à exploiter les possibilités de soutien qui existent déjà dans le cadre des règles de la politique agricole commune.

La nouvelle PAC 2023-2027 renforce les outils disponibles pour faire face à de tels phénomènes climatiques, par exemple en soutenant la gestion de l’eau et des sols afin de renforcer leur résilience face aux effets du changement climatique, les investissements liés à l’adaptation au changement climatique ou les outils de gestion des risques.

Nous avons encouragé les États membres à les utiliser pleinement dans leurs plans stratégiques. Ceux-ci contribuent aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de capture du carbone, en protégeant et en augmentant les puits de carbone, et en réduisant les émissions des engrais minéraux et du bétail.

Un autre événement a eu un impact majeur sur l’agriculture européenne depuis un an : la guerre en Ukraine. Peut-on dire que depuis ce jour, la PAC a retrouvé sa fonction historique (lors de sa mise en place en 1962) : assurer l’autosuffisance alimentaire du continent ?

La PAC n’a jamais perdu son rôle d’assurer la sécurité alimentaire de l’Union européenne. Elle le fait depuis 1962 et continue de le faire aujourd’hui, avec un ensemble différent d’outils politiques. L’intérêt du public pour la sécurité alimentaire est une bonne chose. Cela rend d’autant plus importante la nécessité de renforcer la résilience et la durabilité de l’agriculture européenne dans les décennies à venir. Garantir la disponibilité et l’accès à des denrées alimentaires pour les consommateurs à des prix raisonnables sont des objectifs énoncés à l’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

La situation actuelle a démontré que la réalisation de ces objectifs ne peut être tenue pour acquise. Elle nous a également montré que le véritable défi pour les décideurs politiques est d’initier la transition vers un système alimentaire durable et résilient qui satisfera et conciliera à la fois nos besoins à court et à long terme.

Le conflit remet-il en cause les grands objectifs de la stratégie “de la ferme à la table” comme la diminution de l’utilisation des pesticides (-50 % d’ici 2030) ou l’augmentation des surfaces consacrées à l’agriculture biologique (25 % d’ici 2030) ?

Au contraire, la stratégie “de la ferme à la table” vise à mettre en place un système alimentaire plus durable dans l’UE, ce qui est essentiel pour la sécurité alimentaire à long terme. Cela nécessite de passer à des pratiques agricoles dont l’impact environnemental est moindre, telles que l’agriculture biologique, et à des systèmes agricoles qui dépendent moins des pesticides chimiques. 

Ces pratiques peuvent exercer une pression sur les rendements, mais en parallèle, les innovations doivent apporter des alternatives aux pesticides, permettant cette transformation de l’agriculture.

La consommation d’aliments issus de l’agriculture bio est actuellement en baisse en Europe. Les aides à la transition sont-elles suffisantes pour les exploitants agricoles ?

Globalement, une diminution significative de la consommation de produits biologiques n’est pas observée dans l’UE. Il semble y avoir une baisse limitée de la demande de produits bio mais elle intervient après plusieurs années de croissance assez forte. 

Il est en plus difficile de mesurer les effets de la guerre en Ukraine sur la consommation de produits biologiques dans l’UE. Il nous appartient de créer de nouvelles opportunités pour la relancer en Europe. C’est pourquoi, nous avons lancé un plan d’action pour accompagner le secteur à atteindre l’objectif de porter à 25 % la surface agricole consacrée à l’agriculture biologique d’ici à 2030.

Les plans stratégiques nationaux, validés par la Commission européenne pour chaque Etat membre, peuvent-ils être modifiés pour tenir compte des conséquences du conflit ?

Oui, en effet, les États membres ont la possibilité de modifier leurs plans une fois par an et disposent également de trois possibilités supplémentaires de modification. Bien entendu, des amendements peuvent également être apportés pour refléter les effets de la guerre d’agression russe sur le secteur agricole. 

La Commission a proposé une série de mesures visant à atténuer les effets du conflit en Ukraine sur les marchés agricoles. Notamment à travers le soutien exceptionnel dans le cadre des programmes de développement rural du Feader. Les États membres ont également été encouragés à prendre en compte l’impact de l’agression russe contre l’Ukraine dans leurs plans stratégiques de la PAC, lors du dialogue structuré l’année dernière, avant la soumission finale des plans nationaux.

Tous les exploitants n’ont pas souffert des conséquences du conflit ukrainien de la même manière. En France, les céréaliers ont réalisé une très bonne année 2022. A l’inverse, les éleveurs ont souffert de la guerre, mais également de la peste porcine et de la grippe aviaire. Comment l’UE et les Etats membres peuvent-ils cibler les exploitations les plus à risque ?

Avec la Direction générale de l’Agriculture, nous surveillons de très près les conséquences de la guerre en Ukraine sur les marchés agricoles. L’organisation commune dans l’UE prévoit différentes mesures visant à stabiliser les marchés et à apporter un filet de sécurité aux agriculteurs des différents secteurs grâce à des outils d’intervention. En outre, si la situation du marché l’exige, nous pouvons recourir à des mesures exceptionnelles pour réagir aux perturbations du marché, dues par exemple à la propagation de maladies animales et de phytoravageurs.

Ces mesures sont adoptées par la Commission sur la base d’une évaluation de la situation du marché et visent à résoudre temporairement des problèmes concrets, afin d’éviter que la situation ne se détériore pour les agriculteurs. C’est au cas par cas et celles-ci peuvent prendre différentes formes.

En mars 2022, nous avons détaillé un certain nombre d’actions à court et à moyen terme visant à renforcer la sécurité alimentaire mondiale et à soutenir les agriculteurs et les consommateurs de l’UE face à la hausse des prix des denrées alimentaires et des coûts des intrants. Ces actions comprennent, entre autres, une enveloppe de soutien de 500 millions d’euros, incluant la réserve de crise, pour soutenir les producteurs les plus touchés par les conséquences de la guerre en Ukraine.

Le conflit fait également planer des risques de pénuries dans des pays en développement. Auprès de ces Etats, la Russie mène une propagande pour rendre responsable les sanctions européennes à l’encontre de Moscou. Quelle réponse l’UE apporte-t-elle ?

La propagande russe selon laquelle les sanctions occidentales contre la Russie sont la cause de la crise alimentaire est bien évidemment fallacieuse. Les autorités russes utilisent la nourriture comme une arme. Les sanctions adoptées par l’UE ne visent pas le commerce des produits agricoles et alimentaires (y compris le blé et les engrais) avec l’UE ainsi qu’entre les pays tiers et la Russie.

Pour les pays en développement, l’impact de l’agression russe contre l’Ukraine s’est ajouté à la pandémie de Covid-19 et à la hausse des prix mondiaux des matières premières. Elle a fait grimper les prix de l’énergie et des produits agricoles. Un an après le début de la guerre, la hausse de la faim dans le monde a été stupéfiante. 222 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë en 2022. Elles étaient 193 millions à la fin de 2021. 

L’Union européenne a agi rapidement et de manière décisive en débloquant 8,3 milliards d’euros pour aider les pays tiers à assurer la sécurité alimentaire au cours de la période 2020-2024. De plus, elle lutte contre les restrictions commerciales injustifiées et met tout en œuvre pour renforcer les corridors de solidarité entre l’UE et l’Ukraine, permettant des itinéraires alternatifs pour exporter les céréales ukrainiennes. Ces corridors ont permis l’exportation de plus de 23 millions de tonnes de céréales. Elle soutient également l’Initiative céréalière de la mer Noire [qui a été prolongée de 60 jours le 18 mars, ndlr].

Enfin, l’UE continue à promouvoir le multilatéralisme, à travailler avec les partenaires internationaux et les organisations internationales afin de trouver des solutions coordonnées au niveau mondial.

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