Toute L'Europe – Comprendre l'Europe
  • Actualité

Isabelle Saporta : “J’aimerais pouvoir vanter le modèle agricole français”

En plein salon de l’agriculture, la campagne de France Nature Environnement a fait des ravages, jusqu’à susciter l’ire du président de la République. Dans la même veine, le Livre noir de l’agriculture a fait aussi parler de lui, en dénonçant les dérives sociales, sanitaires et écologiques d’un modèle agricole et alimentaire français pourtant vanté. Nous avons rencontré son auteur, Isabelle Saporta.

Voir la vidéo (5’38)

Touteleurope.eu : Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

Isabelle Saporta est journaliste. Elle a longtemps préparé les émissions de Jean-Pierre Coffe sur France Inter. Elle est l’auteur de documentaires, dont Manger peut-il nuire à notre santé ? et collabore à Marianne.

Isabelle Saporta : Cela fait un bout de temps que je me balade dans les campagnes de France et que je travaille sur ces questions, avec Jean-Pierre Coffe et Marianne notamment. Au fur et à mesure, je me suis rendue compte qu’un système complètement absurde s’était mis en place au cours de ces dernières années. J’ai eu envie de le démonter “de la fourche à la fourchette” , et de voir comment il était possible qu’un système qui coûte si cher (la Politique agricole commune, c’est 57 milliards d’euros pour 2010) rende les paysans exsangues, mourant de faim et les mette dans des situations financières hallucinantes, fasse perdre aux consommateurs la confiance dans notre assiette (souvent à juste titre), que l’on paie la facture environnementale de dépollution, et qu’en plus on paie la facture de santé publique.

J’avais envie de mettre au jour tout ce système et voir un peu si toutes les sommes mises dans l’agriculture ne pouvaient pas être orientées différemment pour que tout le monde soit gagnant, alors que pour le moment tout le monde est perdant.

Touteleurope.eu : Comment le livre noir a-t-il été accueilli, en particulier par les agriculteurs eux-mêmes ?

“L’INRA est formel : cela coûte moins cher aux paysans de produire vertueux pour l’environnement que de polluer” - Le Livre noir de l’agriculture, p. 236


Isabelle Saporta : Mon livre a beaucoup déplu à la FNSEA, le syndicat majoritaire, dont je suis devenue, “cocorico” , l’ennemi numéro 1 ! Effectivement ça ne peut pas lui plaire, lui qui depuis plusieurs années a poussé, sous prétexte de nourrir le monde, à toujours plus de productivisme. Et quelque part je suis très contente que ça ne leur ait pas plu.

L’idée était effectivement de dénoncer ce système, de dire “produire toujours plus, pour toujours moins cher et avec toujours moins de paysans” , c’est une bataille qu’on ne gagnera pas. Et on est déjà en train de la perdre.

Par contre, je peux vous dire que j’ai reçu énormément de messages d’agriculteurs bio, de maraichers, de petits paysans, d’éleveurs extensifs qui m’ont dit : “nous ça fait des années qu’on se bat, on est super contents” , “les captages d’eau à côté de chez moi sont ‘nickel’, j’en suis fier” , “on a dépollué comme cela notre environnement, je gagne mieux ma vie comme ça…” . Ce sont ces gens-là qu’il faut entendre, ce sont ceux-là que j’avais envie de toucher et je suis très fière de l’avoir fait.

Touteleurope.eu : Exploitation intensive du porc, pollution de l’eau, impact sur la santé humaine… le “modèle agricole français” tant vanté fait pâle figure… est-ce pire dans les autres pays d’Europe ?

“Ces quarante dernières années, les Français ont consommé 40% de lipides en plus (…) à cause de deux facteurs : la consommation accrue d’huile végétale et la modification de l’alimentation animale” - Le Livre noir de l’agriculture, p. 124


Isabelle Saporta : C’est vrai que la FNSEA veut qu’on vante les mérites du système agricole français. Moi aussi j’aimerais vraiment qu’on en vante les mérites. Le problème c’est qu’aujourd’hui, on fait à peu près la même chose, et un peu plus cher, que tous les autres. En Allemagne par exemple, ils produisent encore plus pour encore moins cher, parce qu’ils ne paient pas la main d’oeuvre des abattoirs : les salariés viennent en effet des anciens pays de l’Est. Est-ce le modèle qu’on veut ? Des agriculteurs et des salariés qui ne gagnent pas leur vie, avec encore plus de pollution ?

Je ne le crois pas. J’aimerais que l’on puisse se vanter du modèle français, mais pour cela il faut que l’on se différencie des autres. La course au plus compétitif, produire le plus pour le plus bas coût, on l’a déjà perdue, et du coup ce modèle n’est pas exportable, cela n’a aucun sens. Mais si l’on fait de la qualité, on va s’en sortir, parce que ce qui marche en France, ce sont les AOC, les labels, nos vins, ce qu’on exporte c’est tout ça, c’est notre savoir-faire. C’est cela qu’il faut que l’on se réapproprie et que l’on vante. Pas le reste.

Touteleurope.eu : Quel rôle joue la Politique agricole commune dans la définition des systèmes agricoles nationaux (et en particulier sur l’environnement) ?

“Trop souvent, les aides versées par Bruxelles sont détournées de leur vocation initiale” - Le Livre noir de l’agriculture, p. 118

Isabelle Saporta : La PAC est une très bonne idée, soutenir les agriculteurs, l’alimentation me paraît une très bonne idée. Le problème est que cette politique commune, tout comme les politiques nationales, est constamment dévoyée, contournée, malmenée.

Prenons l’exemple de l’irrigation : à l’origine l’irrigation du maïs était prévue pour les petites exploitations de polyculture et d’élevage, en particulier pour gaver les canards avec ce maïs. Au final, on a mis tellement d’argent sur ce maïs irrigué que les gens en ont profité pour faire du business.

Du coup, on a mis deux fois plus d’argent sur ce maïs irrigué que sur celui qui ne l’était pas, ce qui a coûté des sommes astronomiques, tout cela pour mettre à mal les ressources en eau de la région. Dans le Sud on s’est retrouvé avec une situation de sécheresse, et on a du repayer des sommes folles pour aider les agriculteurs à subvenir à leurs besoins vu qu’ils subissaient la sécheresse de plein fouet.

Je sais que le commissaire européen Dacian Ciolos est en train de réfléchir à un plan protéines sur l’Europe, c’est très bien ! Faisons en sorte que l’on replante massivement des protéagineux chez nous, mais si c’est pour faire de la Roumanie une Argentine européenne, ce n’est pas la peine. Il faut reterritorialiser les aides, obliger les politiques nationales, notre ministre de l’Agriculture, à dire “cet argent servira pour cette région et cette culture” . Il faut que l’on contrôle beaucoup plus l’argent de Bruxelles.

La PAC met l’accent sur l’environnement, mais par exemple quand vous regardez les 12 milliards d’euros qui ont été versés aux paysans français cette année, vous n’avez que 487 millions qui passent dans les aides agro-environnementales. Donc oui on met l’accent, on en parle beaucoup, mais on y met très peu d’argent pour le moment !

Touteleurope.eu : Etes-vous confiante sur la future PAC ?

Isabelle Saporta : En tout cas, c’est maintenant qu’il faut se faire entendre pour que les choses bougent, parce que l’on est en pleine réforme de la PAC. On a un commissaire qui a l’air très bien, Dacian Ciolos a l’air d’être de très bonne volonté. Faisons pression pour que ça aille vraiment vers le mieux, et que les vieilles habitudes et les vieux lobbys ne reprennent pas le gouvernail !

En savoir plus

Isabelle Saporta : Le livre noir de l’agriculture, Comment on assassine nos paysans, notre santé et l’environnement, Editions Fayard

L’environnement, thème impromptu du salon de l’agriculture - Touteleurope.eu

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

À la une sur Touteleurope.eu

Flèche

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur Isabelle Saporta : "J'aimerais pouvoir vanter le modèle agricole français"

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide