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Commerce : que sont les “clauses miroir” proposées par la présidence française du Conseil de l’UE ?

Pour protéger le secteur agricole européen de la concurrence étrangère, la France souhaite instaurer plus de réciprocité dans les accords commerciaux conclus avec les pays tiers. L’idée, qui reste encore à préciser, pourrait toutefois poser certaines difficultés.

Le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie lors du premier Conseil de l'UE présidé par la France, le 17 janvier 2022 à Bruxelles - Crédits : Conseil de l'Union européenne
Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie lors du premier Conseil de l’UE présidé par la France, le 17 janvier 2022 à Bruxelles - Crédits : Conseil de l’Union européenne

C’est lors du premier Conseil de l’UE sous présidence française (PFUE), le 17 janvier 2022, que le ministre français de l’Agriculture Julien Denormandie a mis sur la table le sujet des “clauses miroir”. Déjà évoqué par Emmanuel Macron lors de précédents discours, ces mesures imposeraient aux partenaires commerciaux qui souhaitent exporter leurs produits agricoles vers l’UE de se conformer au préalable à ses normes sanitaires et environnementales.

La Commission européenne met régulièrement en avant les “normes élevées de protection des consommateurs dans quelque accord commercial que ce soit”. De fait, les traités commerciaux conclus par l’Union européenne imposent des règles pour les biens importés. Le marché européen fait ainsi partie “des plus difficiles d’accès pour les pays tiers en termes de respect des normes”, explique Charlotte Emlinger, économiste spécialiste du commerce agricole.

Différences de traitement

Toutefois, ces obligations sont souvent moins élevées que pour les biens produits sur le territoire des Etats membres. Du moins ceux destinés aux Européens – et pas nécessairement à l’export. Des pesticides et antibiotiques non autorisés dans l’UE peuvent notamment être utilisés à l’étranger et se retrouver dans nos assiettes.

C’est le cas par exemple pour la lentille canadienne. “Les producteurs canadiens utilisent des pesticides interdits dans l’Union européenne, qui leur permettent d’augmenter leurs volumes de récoltes” et donc de réduire les coûts. Le CETA (accord de libre-échange entre l’UE et le Canada) fixe déjà des règles mais “les normes négociées entre l’UE et le Canada sont moins restrictives que les normes qui sont imposées aux agriculteurs français”, analyse Charlotte Emlinger.

Une différence de traitement qui, pour la France, peut être assimilée à de la concurrence déloyale. Et qui devrait s’accentuer : dans sa stratégie “de la ferme à la fourchette”, la Commission européenne encourage d’ici à 2030 la réduction de 50 % de l’utilisation de pesticides et le passage à 25 % de surfaces consacrées à l’agriculture biologique. Ces objectifs, approuvés par le Parlement européen le 19 octobre 2021, doivent être traduits par des propositions concrètes dans les prochains mois.

Pour le gouvernement français, l’instauration de “clauses miroir” dans les accords commerciaux serait un moyen de renforcer les normes exigées sur les biens en provenance de l’étranger, et de limiter ainsi la concurrence à laquelle font face les agriculteurs européens. Autre objectif souligné par le chef d’Etat français lors de sa présentation des priorités de la PFUE le 9 décembre : mettre “en cohérence [l’] agenda commercial avec [les] objectifs climatiques”.

Blocages

Mais l’idée pose plusieurs problèmes. Le premier tient à la définition même de ces “clauses” : “Est-ce que cela va concerner tous les produits qui entrent dans l’Union ou bien les produits provenant de pays liés à l’UE par un accord de libre-échange ?”, s’interroge Charlotte Emlinger. Deuxième difficulté, sa mise en œuvre impliquerait “la mise en place de contrôles sur toute la filière, en plus des contrôles à la frontière. Or cela paraît compliqué de vérifier la manière dont sont nourris les bœufs dans une ferme en Argentine !”

Les règles de l’OMC pourraient constituer un troisième blocage. “Actuellement, chaque pays ne peut mettre en place des normes de production, plus ou moins restrictives, que si elles sont justifiées scientifiquement. En Europe, et surtout en France, les normes sont souvent motivées par des questions de société, de protection des consommateurs, qui ne rentrent pas forcément dans le codex Alimentarius (recueil de normes de l’ONU). Donc imposer des clauses miroir sur ces bases-là expose l’Union européenne à des plaintes qu’elle pourrait perdre.”

“La solution la plus efficace serait de décider de normes environnementales et sanitaires bien plus strictes directement au sein de l’OMC !”, juge l’économiste, qui y voit un vrai levier pour lutter contre les distorsions de concurrence.

Enfin, ces “clauses miroir” font l’impasse sur un élément central : le manque d’harmonisation des conditions de production au sein même de l’UE. “La vraie concurrence déloyale est ici !”, poursuit Charlotte Emlinger. Car les normes européennes minimum peuvent être renforcées par les Etats membres qui le souhaitent. Et en la matière, “la France impose des contraintes fortes, notamment environnementales, sur la production, à l’inverse d’autres pays de l’Union”. Quoi qu’il en soit le sujet devrait être central pour Paris, même après la fin de sa présidence du Conseil de l’UE le 30 juin prochain.

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1 commentaire

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    Daniel Croci

    Laissez entrer des produits non conformes aux règles et normes nationales et européennes n’a aucun sens. En refusant ces productions (cf lentilles canadiennes ou viande Argentine) on imprime une dynamique nouvelle dans ces pays producteurs avec le double avantage d’une évolution vers une alimentation plus healthy et une agriculture plus respectueuse de la santé. La question de la santé des consommateurs dans ces pays producteurs doit également être au centre de la réflexion : ce qui n’est pas bon pour le consommateur de l’UE, ne peut l’être pour les consommateurs de ces pays producteurs ! Il s’agit bien aussi avec ces clauses miroir de faire évoluer les pratiques agricoles à l’échelon international. Il reste donc à convaincre les lobbies « pesticides », à mon sens le frein majeur pour la mise en place de ces clauses.