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A qui profite la PAC ? Le débat en ligne

A qui profite la Politique agricole commune ? C’est la question à laquelle vont devoir répondre les 27 gouvernements dans les mois qui viennent. Objectif : définir ensemble une PAC plus verte et plus juste pour la période 2013 - 2020. Doit-on mieux répartir le budget de la PAC entre Etats membres ? La distribution actuelle des aides est-elle légitime ? Les consommateurs européens bénéficient-ils ou non de la PAC ? Enfin, le commerce international n’est-il pas entravé par les subventions de l’agriculture européenne ? Les interrogations sur la PAC sont multiples, mais chacun des 4 intervenants du débat organisé par Touteleurope.fr à Sciences-po a tenté d’y répondre.

Voir un extrait du débat (10’28)

Ont participé au débat :
Thijs Berman (Eurodéputé néerlandais S&D, ancien membre de la commission agriculture au Parlement européen ; Jean-Marc Bournigal (Directeur général des politiques agricole, de l’alimentation et des territoires au Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche) ; Jean-Christophe Bureau (Professeur à AgroParisTech et chercheur à l’INRA), Jean-Luc Demarty (Directeur général de l’agriculture et du développement rural à la Commission européenne). Le débat a été modéré par Erik Massin, président de l’Association Française des Journalistes Agricoles (AFJA).

Réformer la Politique agricole commune est un exercice périlleux. 2e budget de l’Union européenne, la PAC suscite autant d’approbations que de critiques parmi les Etats membres et les institutions européennes comme chez l’ensemble des acteurs européens de l’agriculture, des producteurs aux détaillants en passant par les industries de transformation…

Comme l’a justement rappelé le journaliste Erik Massin en introduction au débat, dès 2011 débuteront des négociations sur le budget général de l’UE, au sein desquelles la PAC occupe une place de premier choix. Confrontés à un endettement record, les Etats membres rechignent parfois à payer pour l’agriculture…

Le débat sur la PAC devrait déjà s’intensifier d’ici l’été 2010, avec une prochaine proposition commune franco-allemande pour une nouvelle PAC et un grand débat public initié par la Commission européenne. En prévision, Touteleurope.fr a lancé les premières grandes questions…

Budget de l’agriculture européenne : quels Etats membres en profitent ?

Avant d’entamer le débat sur la répartition du budget PAC entre les Etats membres, le Directeur général de la Commission Agriculture et Développement rural a commencé par rappeler les objectifs historiques et actuels de la PAC, à savoir :

  • Assurer la sécurité alimentaire de l’Union européenne, objectif sous-estimé mais qui reste largement valable avec la fluctuation récente des prix, et l’augmentation de la demande mondiale dans les années à venir ;
  • Assurer un revenu équitable aux agriculteurs, ce pour quoi il faut un soutien public, donc communautaire. Ce revenu a énormément chuté en 2009, mais les effets de la crise actuelle restent de moindre ampleur qu’en 1929 ;
  • Assurer des prix raisonnables pour les consommateurs ;
  • A quoi il faut ajouter de nouveaux objectifs, tels la protection de l’environnement et le changement climatique, la gestion de l’eau et de la biomasse…

La répartition des aides reflète le poids respectif des agricultures de chacun des Etats membres (et non le poids économique). La France, dont l’agriculture représente 20% de l’agriculture européenne, reçoit ainsi 20% du budget de la PAC, mais l’Allemagne seulement 15%.
Les intervenants ont rappelé que le budget de la PAC était d’environ 58 milliards d’Euro, ce qui ne représente que 0,4% du PIB européen (et peu de chose en comparaison du budget de la PAC à la fin des années 1980, ou des budgets nationaux de la défense).

Ce budget se décompose en trois parties : les aides directes aux agriculteurs (environ 40 milliards d’euros), les mesures de marché (4 milliards, dont les aides au stockage public qui ont permis de limiter la crise du lait) et le développement rural (14 milliards).

Pour les nouveaux Etats membres, ces aides augmentent progressivement tout en restant inférieures à celles des anciens Etats (pour ne pas engendrer de déséquilibres entre les agriculteurs et le reste de la population dans ces pays). L’un des enjeux de la réforme est ainsi de stabiliser ces aides.

D’autres enjeux ont été évoqués : pourra-t-on maintenir, en période de crise budgétaire, le budget actuel de la PAC ? Comment celui-ci sera-t-il réparti entre Etats membres (certains pays tels le Royaume-Uni refusant de payer autant) ? Quels critères prendre en compte pour l’attribution des aides (surface agricole, paiement unique à l’exploitation, références historiques…) ? M. Demarty a ajouté que le débat sur le “taux de retour” (le rapport entre la contribution de chaque Etat membre au budget de l’UE et ce qu’il touchait pour la PAC) ne pourra être évité.

Le député Thijs Berman a estimé que ce retour à la France était relativement injuste, en comparaison avec les Pays-Bas où le retour par personne était 3 fois inférieur. M. Berman a estimé que la PAC avait été un ‘désastre” du point de vue du revenu des agriculteurs, toujours en grandes difficultés financières. De plus, la PAC financerait “l’obésité” , la “graisse” au détriment des produits sains (fruits et légumes…)… davantage produits par les Pays-Bas.

Enfin, M. Bureau a mis en avant le consensus entre Etats sur le fait qu’on ne pouvait accroître le budget européen. Européaniser d’autres politiques (comme la recherche) impose alors de diminuer les sommes consacrées aux deux principales politiques communautaires : la politique de cohésion (fonds structurels) et la PAC. Il faut cependant rappeler que la PAC rend d’importants services en terme de biens publics, tels le développement rural et la sécurité alimentaire.

Agriculteurs, industriels… qui touche les aides de la Politique agricole commune ?

Entretiens vidéo

A l’occasion du débat, Touteleurope.fr a interviewé le directeur général Jean-Luc Demarty, le chercheur Jean-Christophe Bureau et le député Thijs Berman sur les enjeux de la réforme.
Faut-il aujourd’hui relégitimer les aides de la PAC en les “verdissant” et en les répartissant de manière plus juste, entre agriculteurs et industriels notamment ? Quels critères doivent être pris en compte ?

Les aides versées aux agriculteurs doivent les aider à faire face à trois types de risque : climatiques (aléas climatiques…), sanitaires (maladies animales…) et économiques (volatilité du cours des matières premières).

Si ces aides sont d’abord un soutien au revenu (qui serait sinon bien inférieur au reste de la population), elles constituent également une base de soutien aux biens publics tels que le développement rural, la protection de l’environnement et le bien-être animal (conditionnalité), qui a eu ses effets dans de nombreux pays (comme la directive “nitrates” en Grande-Bretagne).

En 2009, la publication en ligne des bénéficiaires français de la PAC avait créé une polémique. On y voyait les industries et des banques alimentaires toucher le gros des aides européennes de la PAC. Mais, selon M. Bureau cette opération de transparence a été mal interprétée, car les chiffres présentés étaient globaux, et masquaient le surcoût des subventions à l’exportation.

Cependant, beaucoup d’aides sont encore jugées illégitimes, car fondées sur des références historiques (il faut avoir touché des aides au cours d’une certaine période pour en toucher aujourd’hui), ce qui était nécessaire mais conduit aujourd’hui à de profondes inégalités entre agriculteurs et entre Etats membres.

Pour M. Berman, les jeunes agriculteurs sont aujourd’hui confrontés à des prix d’investissements qui les découragent. Partisan d’une plus grande libéralisation de l’agriculture européenne, le député a cité les exemples australiens et néo-zélandais (de mauvais exemples pour M. Demarty), où l’agriculture reste vivante.

Or, tous les systèmes de répartition d’aides ont, selon M. Bureau, des effets pervers. Un système de paiement unique par hectares, modulé en fonction des pays, resterait dès lors le moins inégal.

Concernant le pouvoir de négociation des différents acteurs, M. Demarty a confirmé que celui des producteurs agricoles devait être augmenté face à l’industrie de transformation et aux détaillants, via des dérogations aux règles de concurrence. Actuellement, les producteurs n’ont pas le droit de se regrouper pour négocier leur prix, car c’est contraire aux règles de concurrence.

M. Bureau a souligné que le traité de Lisbonne donnait un pouvoir important au Parlement européen en matière agricole, ce qui était une avancée démocratique, avec cependant un grand risque de sensibilité aux lobbys (comme le Congrès américain).

Prix, santé, environnement, sécurité alimentaire… : quels sont les bienfaits de la PAC pour les consommateurs ?

Le 12 avril, la Commission européenne a lancé un grand débat public sur la Politique agricole commune après 2013. Tous les citoyens européens sont invités à envoyer leurs contributions jusqu’au 3 juin 2010.
Le débat sur les conséquences de la PAC pour le consommateur a permis de se demander si la PAC permettait d’assurer des prix et une qualité des produits corrects, ainsi qu’une prise en compte de l’environnement.

M. Massin a cité un rapport britannique selon lequel la PAC maintenait des prix trop élevés pour le consommateur, rapport qui n’a pas grande valeur pour M. Demarty puisque les prix européens sont aujourd’hui relativement proches des prix mondiaux. L’augmentation des prix serait plutôt due à des augmentations de marges par les industries de transformation et le secteur de la distribution.

De plus, l’éventuel surcoût du produit reste très faible en comparaison de la sécurité alimentaire et du fait d’avoir des produits de qualité à demeure, que permettent la PAC.

Comment lutter contre le “cartel” des industries de transformation et de distribution ? M. Bureau a jugé que la proposition française d’instaurer un second cartel de producteurs en face serait néfaste pour le consommateur, mais que la solution “économiste” de faire tomber ce cartel était quant à elle peu réaliste.

M. Berman relève l’expérience néerlandaise d’un cartel dans le secteur des fruits et légumes (possible en raison d’une dérogation aux règles de concurrence pour ce secteur), qui n’a pas eu les effets escomptés, les prix de production étant restés bien inférieurs aux prix de vente.

Commerce international : Pourquoi la PAC est-elle si critiquée par les partenaires et concurrents de l’Union européenne ?

Beaucoup de pays hors de l’Union critiquent, depuis longtemps et de manière souvent virulente, la PAC et les distorsions de concurrence internationale qu’elle instaurait par ses subventions à l’exportation, ses incitations à la production et ses taxes à l’importation. Des critiques qui ont porté leurs fruits puisque l’OMC semble avoir fortement calibré l’évolution de la PAC. L’Europe est-elle toujours une citadelle agricole ?

Selon M. Demarty, les critiques sur la PAC ne sont plus d’actualité : on critique désormais la PAC d’hier en pensant qu’elle fonctionne toujours de la même manière, et de toute manière ces critiques se sont relativement tues. L’Europe a su faire reconnaître ses réformes dans les négociations à l’OMC, surtout depuis la réforme de 2003 avec le découplage des aides directes.


L’Union européenne est la 1ere puissance exportatrice et la 1ere puissance importatrice. 70 % de ses importations proviennent des pays en voie de développement.

Si le Brésil et les Etats-Unis veulent que l’UE baisse ses droits de douanes à l’importation sur des produits sensibles (comme sur la viande bovine et la volaille, où les contraintes environnementales et en termes de bien-être des animaux sont supérieures), la plupart des négociations commerciales sont redevenues “classiques” .

De plus, l’Europe ne pratique plus d’aides à l’exportation vers l’Afrique. Lorsqu’elle exporte de la poudre de lait écrémé, c’est souvent vers des pays en voie de développement qui ne peuvent de toute façon en produire.

A l’inverse, a insisté M. Demarty, les aides contra cycliques américaines sont néfastes pour la concurrence mondiale, et doivent prendre fin dans le cycle de Doha.

Enfin, les questions du public ont porté en particulier sur l’impact de la PAC sur les pays pauvres, la “préférence communautaire rénovée” prônée par Nicolas Sarkozy, le cynisme des intermédiaires agricoles et la volonté des paysans de vivre de leur métier, non pas d’aides, les conséquences de l’accord de libre-échange entre l’UE et la Colombie, l’avenir de la “modulation” des aides…

En savoir plus :

La politique agricole commune (PAC)

Association Française des Journalistes Agricoles (AFJA)

Commission européenne de l’agriculture et du développement rural

Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche (MAAP)

Institut national de la recherche agronomique (INRA)

AgroParisTech

Commission de l’agriculture et du développement rural (AGRI) du Parlement européen

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